Maybach 5,7 / 6,2, sabler le champagne à 250 km/h

Publié le 30 mars 2004 dans 2004 par Jacques Duval

Quand les deux marques les plus prestigieuses du monde, Rolls-Royce et Bentley, ont été rachetées, la première par BMW et la deuxième par Volkswagen, Mercedes-Benz a soudainement vu son image commencer à pâlir. Jusque-là considérée comme la sommité du triumvirat des grands constructeurs allemands, la firme de Stuttgart risquait de perdre son auréole parmi les fournisseurs de voitures d'exception. La riposte n'a pas tardé à se manifester avec la création de la Maybach, une limousine de très haut de gamme qui, autant par son prix que par la richesse de ses équipements, peut rivaliser avec ce que l'union germano-britannique a de mieux à offrir. Sortons le dictionnaire des superlatifs et partons à la découverte des Maybach 5,7 et 6,2.

Bien calé dans l'un des fauteuils arrière de la Maybach 6,2, j'admire le paysage qui défile à 160 km/h par un triste après-midi d'automne. Soudain, notre chauffeur me demande s'il peut aller plus vite. Ayant parfaitement confiance en lui et en la voiture, je lui accorde ma bénédiction et je tourne mon attention vers l'indicateur de vitesse qui surplombe le compartiment arrière de ce palace roulant. En moins de temps qu'il n'en faut pour déboucher une bouteille de champagne, nous voilà à 250 km/h, la vitesse limite imposée par l'électronique. Au même moment, notre hôtesse, Zabina, se penche vers l'arrière afin d'extirper du minibar une bouteille de Veuve Clicquot bien rafraîchie qu'elle verse dans les flûtes en argent sterling qui font partie de l'équipement de série de la 6,2. Nous levons nos verres (ou nos flûtes) pour baptiser un moment spécial que nous ne revivrons sans doute jamais, à moins de gagner à la loterie et de déménager en Allemagne. Car cette petite aventure, vous vous en doutez bien, s'est déroulée au pays des autobahnen sans limite de vitesse dans la région de Lübeck, près de Hambourg. N'importe où ailleurs, une telle incartade nous aurait valu la prison à vie ou quelque sanction non moins désagréable.

Ce n'est pas par hasard que Mercedes-Benz avait choisi Hambourg comme point de ralliement pour ces premiers essais de la Maybach. Cette ville est la plus opulente d'Europe et l'on y trouve, dit-on, plus de 5000 millionnaires. C'est le genre d'aisance financière dont on a besoin pour s'offrir ce nouveau joyau de l'industrie automobile dont le prix (selon les versions) oscille entre 450 000 $ et 525 000 $.

Qu'est-ce que vous aurez pour cette petite fortune ?

Du jet privé à l'Orient-Express

Précisons d'abord que le programme d'essai de la Maybach était divisé en deux étapes : une au cours de laquelle nous avons eu droit au traitement VIP comme passager de la version 6,2 à empattement long et une autre qui nous a permis de conduire la 5,7 entre le Centre d'Excellence de Mercedes à Sindelfingen et Francfort.

Les deux modèles partagent le même moteur, un V12 6 litres biturbo de 550 chevaux dont le couple titanesque atteint 663 lb-pi. Mais il en faut du couple pour déplacer un véhicule d'environ trois tonnes qui voltige entre la salle de concert, le bureau particulier, la première classe d'un 747 et un hôtel cinq étoiles. Et tout cela avec les performances d'une Ferrari? ou presque. Chez Mercedes, on décrit d'ailleurs souvent la Maybach comme étant la version route d'un jet privé ou de l'Orient-Express. Pas étonnant qu'une telle masse s'allonge sur 6,2 mètres tout en offrant pas moins de 1,57 mètre d'espace entre le dossier du siège avant et les fauteuils arrière. Un peu plus et on nous servait la comparaison avec le terrain de football. Bref, on ne s'assoit pas à l'arrière, on s'y couche comme dans un Lay-z-Boy en contemplant le ciel à travers un toit panoramique à base de cristaux liquides (alimenté par 30 cellules solaires) qui devient opaque ou transparent sur la simple pression d'un bouton. Est-il nécessaire de préciser que ces sièges de relaxation (dixit Mercedes) possèdent une variété infinie de réglages incluant un système de massage pour le dos et huit ventilateurs. Les accessoires sont d'ailleurs si nombreux qu'il a fallu prévoir une seconde batterie pour épancher leur soif d'électricité. Sans vous faire crouler sous une avalanche de chiffres, mentionnons que le nouveau porte-étendard des gens riches et célèbres comporte une chaîne stéréo Dolby à effet surround de 600 watts crachés par 21 haut-parleurs. Sans oublier le lecteur DVD, la double climatisation, les deux téléviseurs et les 77 calculateurs électroniques. Si ces chiffres ne vous impressionnent pas, sachez que le programme de personnalisation de la Maybach offre plus de deux millions de possibilités différentes d'aménager l'habitacle selon vos goûts. Ouf ! Pas étonnant qu'il faille 57 jours et 330 personnes pour construire chaque Maybach.

Si chez vous le travail passe avant les divertissements, vous pouvez sortir la petite table de travail en bois précieux (noyer, amboine ou merisier au choix), y installer votre ordinateur portable et vous brancher sur Internet. Une fois arrivé à destination, vous n'aurez qu'à appuyer sur un bouton pour que la portière s'ouvre si jamais votre chauffeur a égaré les gants blanc pourtant fournis avec chaque Maybach 6,2.

Prêt pour le décollage ?

En décrivant la Maybach et ses somptueux aménagements, on a un peu tendance à perdre de vue qu'il s'agit avant tout d'une automobile. Or, si l'étoile à trois pointes (le symbole de Mercedes) n'apparaît nulle part dans ce noble salon sur roues, les ressources technologiques du constructeur allemand sont néanmoins présentes un peu partout. Que ce soit le groupe motopropulseur partagé avec le coupé CL, le freinage électrohydraulique d'abord apparu dans la SL500, la suspension pneumatique ou les divers systèmes d'assistance à la conduite, on est en terrain familier. Même la présentation intérieure ne peut nier son origine Mercedes, malgré qu'elle comporte une centaine de boiseries exclusives soigneusement travaillées à la main et de fins cuirs Grand Nappa.

Esthétiquement parlant, personne ne risque de tomber amoureux de la ligne de la Maybach. Elle est même un peu ratée, si vous voulez mon avis. Si l'on songe que la dernière Rolls Royce Phantom n'est guère mieux, plaignons les multimillionnaires qui seront contraints de rouler dans des voitures laides.

Cela dit, la conduite d'une Maybach 5,7 s'avère sans doute intimidante, mais pas particulièrement excitante. Malgré tous ses raffinements, ses dimensions et son poids imposent la conduite respectueuse habituellement pratiquée par les chauffeurs privés. La voiture refuse par exemple d'être bousculée dans les bretelles d'autoroute où sa direction à billes se durcit considérablement. Elle est par ailleurs d'une légèreté déconcertante à basse vitesse. Lorsque nous avons fait mention de ce qui précède aux ingénieurs, ceux-ci nous ont informés que les voitures essayées étaient des modèles de présérie et que les voitures destinées aux clients bénéficieraient de certaines modifications. On en profitera sans doute en même temps pour rectifier une électronique capricieuse qui nous a valu notamment un appel téléphonique composé à notre insu, une portière qui refusait d'obéir à sa commande électrique et la fermeture du rideau de lunette arrière causée par la trop grande sensibilité de certains boutons.

Moteur, silence

Une conduite un tantinet enlevée vous fait réaliser que si l'avant prend la direction voulue, cela ne veut pas dire nécessairement que l'arrière suivra malgré l'insistance des énormes Michelin de 19 pouces. Mais je fais mon difficile et si la Maybach refuse, de plein droit, de jouer les sportives, elle offre par ailleurs les qualités indispensables à son statut. À noter d'abord le silence qui règne à l'intérieur, à n'importe quelle vitesse. Royal, rien de moins. L'insonorisation est si poussée que les bruits éoliens ou mécaniques sont totalement absents. Enfin, presque. L'envers de la médaille est qu'un tel isolement éloigne encore davantage le plaisir de conduire. En revanche, le moteur peut s'avérer une source de divertissement tellement les reprises se révèlent phénoménales. À 200 km/h, (en Allemagne bien sûr), il suffit d'enfoncer l'accélérateur pour que la Maybach 5,7 bondisse en avant comme si l'on venait d'allumer les rétrofusées. Ce V12 possède une telle ardeur au travail que je lui concéderais facilement 600 chevaux au lieu des 550 annoncés. Pas étonnant que le 80-120 km/h soit expédié en 3,7 secondes.

Par un temps pluvieux, une légère éclaircie m'a permis de faire une pointe autour de 230 km/h, une vitesse à laquelle la voiture affiche une incroyable tenue de cap. Il est également rassurant de constater qu'à une telle vélocité, cette masse d'acier et d'aluminium peut être ralentie prestement par les huit circuits de son système de freinage. Et si jamais votre chauffeur s'endormait au volant, vous pourrez compter sur la protection de 10 coussins gonflables. Bref, il ne manque que la poupée.

Les gens de Mercedes prétendent que la Maybach représente l'apogée de la culture automobile. Bien que leurs voisins de Munich, responsables de la dernière Rolls Royce, soient sans doute d'avis contraire, on peut penser que du côté de Sindelfingen, on n'aura aucun mal à vendre les quelque 1000 exemplaires de la Maybach qui sortiront annuellement des chaînes de montage. Elle n'est ni belle ni passionnante, mais un fait demeure : en perpétuant la tradition des légendaires Maybach des années 1920 et 1930, elle marque un nouveau chapitre dans la longue histoire de l'automobile.

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