Jaguar XK8, désir inassouvi

Publié le 22 mars 2005 dans 2005 par Jean-Georges Laliberté

Oscar Wilde écrivait : « Il y a deux tragédies dans la vie : l'une est de ne pas satisfaire son désir et l'autre de le satisfaire ». Après une longue période

d'éloignement, il vous est peut-être déjà arrivé de retrouver un amour de jeunesse perdu, pour vous rendre compte que le pasage des ans vous séparait maintenant irrémédiablement, et que cette relation risquait de s'avérer fort décevante.

Eh bien ! C'est exactement ce que je viens de vivre avec la Jaguar XK8. Depuis ma prime jeunesse, précisément en mars 1961, lors de l'apparition de la XK-E 3,8 , j'entretiens envers cette belle anglaise, une fascination qui relève du fantasme, même si les années ont depuis laissé leurs vilaines marques sur sa ligne. Elle a en effet connu moult avatars, mais finalement, elle fait de nouveau battre mon coeur depuis 1997, à la suite de son dernier "lifting", alors qu'elle en a profité pour adopter une nouvelle identité. Désormais connue sous le nom de XK8, elle a retrouvé une énergie nouvelle, et une allure presque presqu'aussi fascinante que celle qu'elle affichait lorsque je l'ai connue.

Attirante, mais un peu décevante

Imaginez donc mon impatience presque juvénile, lors de ma rencontre avec une XK8 cabriolet (évidemment! elle retire son top si facilement) qui partage son groupe motopropulseur avec la S-Type 4.2 et la XJ8. Elle a bien une soeur dénommée XKR, peut-être plus attirante, avec le chant de sirène qui émane de son compresseur pour faire galoper 390 beaux coursiers, mais je me dis qu'à mon âge, 294 chevaux réussiraient à étancher ma soif de sensations fortes. Il faut bien prendre soin de son coeur ! Arrivé sur les lieux de notre rendez-vous, la belle m'attend bien campée sur ses belles jantes de 17 pouces (elle chausse des talons hauts de 19 pouces en option, la XKR des 20), vêtue pour l'occasion d'une robe rouge toute simple mais extrêmement attrayante, sûrement griffée. Pudiquement couverte de sa capote, elle donne l'impression qu'elle peut m'emporter vers les sommets de la jouissance.

Première déception, madame (vu son âge) n'aime pas trop la compagnie, et même si elle offre des places à des invités à l'arrière, personne ne peut vraiment s'y asseoir, à moins d'être un enfant, et encore, amputé des deux jambes. Cela ne me dérange pas trop, car je préfère égoïstement nous réserver ces moments d'intimité, mais elle aurait pu faire montre de moins d'hypocrisie, et nous accorder plus d'espace de chargement. Pour ses escapades, elle peut emporter une quantité appréciable de bagages, mais sa soute manque de hauteur. Enfin ! Je me dis qu'elle me gâtera de ses attentions avec ses fauteuils tendus de peau bien lisse à l'avant, mais c'était sans compter sur leur forme insupportable. Malgré la présence d'accessoires empruntés à sa voisine Ford, et d'une planche de bord un peu caoutchouteuse (une Playtex?), son intérieur bien fini et chaleureux m'accueille avec une conviction certaine, mais l'espace est compté, et on s'y sent un peu mal à l'aise. Qu'à cela ne tienne, l'ergonomie est satisfaisante, les équipements ne manquent pas, et ses nombreux instruments me renseignent adéquatement sur ses humeurs.

Je m'aperçois rapidement qu'elle n'apprécie guère circuler dans les rues de la métropole, et elle manifeste son mécontentement en me donnant de rudes coups dans les fesses au passage des trous et des bosses.

Caractérielle compagne

Je nous avais préparé un petit week-end en amoureux, une espèce de ménage à trois, car bien entendu, ma dulcinée nous accompagnerait.

Impossible de faire autrement d'ailleurs ; depuis que je lui parle de la Jaguar, je vois souvent poindre un soupçon de jalousie dans son regard.

Nous voici sur l'autoroute 40, en direction des Mille-Îles, et les choses ne s'améliorent pas vraiment. La belle tremble de la colonne de direction, (pas vraiment excitant), en dépit d'un volant ajustable électriquement dans tous les sens, son beau body frissonne lorsqu'il rencontre des saignées, et elle suit les ornières avec une certaine obstination. Je me rends compte qu'elle préfère les beaux revêtements comme ceux de la 401 ontarienne, presqu'introuvables au Québec, alors qu'elle peut filer bon train, assez dignement. Elle s'accroche bien dans les courbes, pour peu qu'elles se révèlent lisses, freine avec compétence, et se permet peu d'écarts de conduite, faisant montre d'une telle retenue grâce à son système de stabilité électronique. Malgré une grille de sélection fantaisiste, sa boîte automatique à six rapports s'avère bonne complice, permettant des accélérations toniques et des reprises volontaires. Capote retirée, et à bonne allure, le bruit de roulement et de l'air sont difficiles à supporter, et lorsqu'elle est fermée, elle ne résiste pas complètement à une bonne douche. Ce petit strip-tease s'effectue électriquement, et, irrésistible excitation, même en déambulant lentement.

À la réflexion, j'aurais peut-être dû engager une relation avec une de ses soeurs (coupés XK8 et XKR), plus rigide, plus légère, et un tantinet plus rapide, même si l'habitacle se révèle presqu'aussi étriqué. Finalement, j'en suis quitte pour une certaine déception, et il me reste à attendre les résultats de sa prochaine chirurgie esthétique majeure, ce qui ne devrait pas tarder. Elle pourra alors, redevenir à mes yeux, un objet de désir, et à ceux de ma compagne, un motif à se faire du souci...

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