"Dérapages" de Paul Arcand - Un film à voir absolument
Les tragédies routières sont tellement nombreuses de nos jours, qu’on n’y porte guère attention. Dans la majorité des cas, on se contente de lire en diagonale les articles de journaux portant sur les accidents mortels de la route pour ensuite passer aux pages sportives. C'est un fait divers comme les autres, sans plus. La banalisation des accidents de la route est telle que seulement les plus importants ou les plus spectaculaires attirent notre attention. Mais dans son film documentaire Dérapages, Paul Arcand revient sur les scènes des accidents, interroge les familles concernées, les blessés qui ont survécu à ces catastrophes de la route et finalement plusieurs jeunes. Car ils appartiennent à la catégorie le plus souvent impliquée dans des accidents routiers mortels.
Ce n'est pas un documentaire sensationnaliste. On ne fait pas non plus la morale aux jeunes et à leurs parents. Le film brosse tout simplement un tableau très dérangeant de la situation des jeunes contrevenants de la route et des conséquences de leurs gestes.
Ceux qui restent
L’une des forces de ce documentaire est le fait que Paul Arcand ne se contente pas de nous montrer des scènes d'accident. Il rencontre des jeunes qui ont survécu à la catastrophe, qui ont perdu des amis dans des accidents de la route, en plus de nous faire part de la situation de parents qui doivent s'occuper de grands blessés ou pleurer la perte d'un être cher. L'un des cas les plus touchants est celui de Mikael qui a subi de sévères traumatismes crâniens à la suite de deux accidents de la route. Il est paralysé, obligé de demeurer dans un CHSLD, incapable de s'alimenter seul et affligé de troubles comportementaux sérieux. Il y a aussi cette mère qui a perdu sa fillette, victime d'un chauffard qui a fauché son enfant. Il est impossible de ne pas être ému devant ces scènes.
Arcand donne également la parole aux occupants de voitures impliquées dans des accidents très graves et qui ont survécu sans nécessairement avoir subi de sévères blessures. Par contre, ils ne peuvent oublier ce moment fatidique où ils ont perdu un ou plusieurs de leurs amis en raison de la vitesse excessive et d’un conducteur dont les facultés étaient affaiblies.
« J’veux rien savoir! »
Mais l'élément qui m'a le plus secoué, et le plus découragé à la fois, est l'attitude des jeunes face à la conduite agressive, à la consommation d'alcool et de drogue et la mort. S'il faut croire ceux interrogés dans ce film, conduire en état d'ébriété est une chose quasiment normale, du moins le samedi soir. Il y a des scènes vraiment dérangeantes. Il y a celle filmée un beau soir d'été alors qu'une bonne partie des jeunes qui sont à l'extérieur d’un club sont très éméchés, certains sont même incapables de marcher. Et quand on sait que plusieurs vont prendre le volant quelques minutes plus tard, c'est vraiment déplorable.
De plus, il n'y a aucun remords, aucun regret, ça semble être la fatalité de cette génération. Un tel a survécu, l'autre est décédé, tant mieux pour l’un et tant pis pour l’autre. Et même si l’on admet avoir eu des comportements dangereux au volant, on est prêt à récidiver.
L'un des éléments les plus surprenants qui émanent de ce documentaire, c'est l'attitude des jeunes conducteurs face aux policiers. On voit un chauffard arrêté pour conduite à vitesse élevée, et qui traite avec arrogance l’agent qui l’intercepte. Deux autres jeunes sont arrêtés au volant de voitures dont la condition mécanique est dangereuse, mais qui n'ont pas envie de retourner chez eux sans leur bagnole. Même si cette dernière ne rencontre pas les règles les plus élémentaires de sécurité.
Jacques Villeneuve, ancien champion pilote de Formule Un, a collaboré à ce film. Si quelqu'un est habitué à la haute vitesse, c'est bien lui. Villeneuve prend le volant d'une VW Golf fortement modifiée, cela inclut une cage de protection antiroulis, et il est le premier à admettre qu'une telle voiture conduite à vitesse excessive est dangereuse. Et cet essai a été effectué par beau temps et sur une chaussée sèche. Imaginons-nous un pilote plus ou moins habile, intoxiqué plus que de raison, conduisant à pleine vitesse sur une route détrempée qu’il ne connaît pas. Si une catastrophe ne survient pas, on peut croire à l'existence des anges gardiens...
Un dialogue et des changements s'imposent
Paul Arcand ne pontifie pas, ne fait pas la leçon aux jeunes, mais nous brosse plutôt un tableau sans fard de la situation actuelle. Il fait part de plusieurs règlements adoptés dans d'autres provinces et d'autres pays afin de réduire le taux de mortalité des jeunes au volant. Mais il ne priorise aucune des solutions, il ne fait que nous souligner leur existence. Par contre, force est de conclure qu'il faut amorcer un dialogue entre les jeunes et les autres parties concernées par ce dossier. Tout au long du film, les jeunes blâment les parents qui ont supposément donné un mauvais exemple, ne se sentent pas visés par les publicités de la SAAQ quant à la conduite avec facultés affaiblies et n'ont aucun remords à conduire dangereusement.
Par ailleurs, les parents sont les grands absents de ce documentaire. Il y en a qui s'occupent de leurs enfants, mais seulement une fois la catastrophe survenue... À une exception près, du moins dans le film, il semble que certains parents donnent carte blanche à leurs enfants et les laissent libres de conduire à grande vitesse au volant de véhicules modifiés qui ne sont pas sécuritaires en plus d’avoir consommé.
Pas besoin d’être un parent pour visionner ce film. Si vous possédez un permis de conduire, peu importe votre âge, ce documentaire est à voir absolument. Il fait réfléchir. Et il faut espérer qu'un dialogue constructif s'établira au cours des semaines et des mois à venir.
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