Bugatti Veyron CR: Un monstre de 1 500 chevaux à l'essai

Publié le 27 septembre 2013 dans Essais par Marc Lachapelle

Il n’y jamais eu de voiture comme la Bugatti Veyron et il n’y en aura sans doute jamais de semblable. Certainement aucune qui rassemble autant d’excès et d’extrêmes. Fabriquée à quelques dizaines d’exemplaires par année depuis 2005, elle est la voiture la plus puissante, la plus rapide et la plus chère au monde. Rien de moins. La plus gloutonne, aussi.

Facile à prouver. D’abord parce que la Veyron est équipée d’un 16 cylindres en W de 8,0 litres suralimenté par quatre turbos et refroidi par dix radiateurs qui produit 1 001 chevaux en version d’origine. Assez pour propulser ce coupé long, large et bas à plus de 400 km/h.

La Veyron 16.4 est la plus chère parce que les premières se vendaient déjà plus de 2 $ millions, avant options, et que le prix n’a cessé de grimper depuis. Et vous voulez vraiment savoir pour la consommation? Les cotes de la bête sont de 41,9 L/100 km en ville et 15,6 sur la route pour une cote combinée de 24,9 L/100 km sur le cycle européen.

On a sans doute trop des doigts d’une seule main pour compter les Bugatti Veyron qui roulent au Québec. Elles sont aussi rares que discrètes, la plupart du temps tapies dans le garage vaste et immaculé d’un manoir ou de quelque opulente demeure perchée à flanc de montagne. On les aperçoit à l’occasion, devant un club sélect ou aux abords d’un circuit réservé aux initiés. Des voitures d’essai? Vous voulez rire!

Et pourtant, le Guide de l’auto a pu conduire récemment la plus unique et la plus puissante des Bugatti qui roulent au Québec. Et même la pousser à fond, à deux reprises, sur la piste d’accélération du Circuit ICAR à Mirabel. Ce spécimen rarissime est une Veyron 16.4 produite en 2008 à l’usine Bugatti de Molsheim en Alsace, aux abords du château de Saint-Jean que le groupe Volkswagen a racheté de la famille après avoir acquis la marque Bugatti en 1998. Les Bugatti sont conçues en Allemagne par l’élite des ingénieurs du groupe, selon les volontés de son vrai patron, le visionnaire et vaguement tyrannique Ferdinand Piëch, petit-fils de Ferdinand Porsche. Chacune est toutefois fabriquée en France, un travail qui exige trois semaines de travail à cinq techniciens.

Le premier propriétaire de cette Veyron dont le châssis porte le numéro 175 était américain. Elle fut rachetée par un jeune entrepreneur québécois qui n’aimait pas tellement sa carrosserie peinte en rouge bourgogne et en noir, même si c’est un hommage aux Bugatti classiques.

Il l’a donc confiée aux bons soins de Laurent Nathan, préparateur hyperactif et surdoué dont l’atelier Custom Rides bonifie, modifie et répare les mécaniques européennes depuis une vingtaine d’années à Laval. Les deux se sont entendus sur une teinte inédite : « chrome noir ».

Nathan a dépouillé la Bugatti jusqu’à sa coque en fibre de carbone et a mis six mois à parfaire la technique qui allait lui permettre de « chromer » chaque panneau en aluminium de sa carrosserie sans électrolyse. Il a ensuite ajouté de minces couches d’un noir translucide et quelques autres de vernis et de laque.

Le résultat est surprenant, la Veyron méconnaissable. La calandre traditionnelle en fer à cheval des Bugatti et les prises d’air ont également été modifiées. Elle roule sur de nouvelles jantes d’alliage noires à douze rayons. Aussi spectaculaire que soit sa nouvelle robe, c’est une inscription sur ses flancs qui retient notre attention : « 1 500 hp ». Quoi? Mille cinq cents chevaux?

Parce que Laurent Nathan ne s’est pas contenté de soigner l’esthétique. Il a modifié les quatre turbocompresseurs de la Bugatti en créant carrément de nouvelles turbines avec l’aide d’ingénieurs et spécialistes américains et allemands. Il en a profité pour élargir les conduits d’entrée et de sortie. Plus d’air = plus de puissance et plus de couple.

L’échappement en titane d’origine a également été remplacé par un échappement en acier inoxydable que Laurent Nathan a fabriqué et soudé lui-même. C’est une œuvre d’art que je poserais volontiers dans mon salon!

Après avoir assemblé le tout et soigné la cartographie et les réglages du moteur, Nathan a vérifié la solidité et la docilité de cette mécanique modifiée. Il évalue la puissance à 1 500 chevaux à défaut de pouvoir la confirmer. Il n’a effectivement pu trouver chez nous un dynamomètre assez robuste pour encaisser les 922 lb-pi de couple du W16 de la Veyron en version de série. Encore moins le muscle additionnel de la Veyron modifiée par ses soins.

Les essais improvisés sont prometteurs. Sur une courte vidéo, on voit la Veyron de Custom Rides distancer une Bugatti Veyron Grand Sport Vitesse de 1 200 chevaux en départ roulant avec une facilité renversante. Cette deuxième voiture appartient au constructeur et se trouvait à Montréal pour le Grand Prix.

Après un an et demi de travail et deux allers-retours en avion vers Monaco où travaille son propriétaire, la transformation de la Bugatti est presque terminée début juillet, à quelques détails près. Le préparateur attend effectivement de nouvelles roues en fibre de carbone qui seront chaussées de pneus Pirelli au lieu des Michelin d’origine, conçus spécialement pour la Bugatti. Le projet aura couté environ 500 000 $, selon Laurent Nathan.

Custom Rides veut bien sûr montrer fièrement sa création. La Veyron est d’ailleurs resplendissante dans sa nouvelle robe noire, avec son capot en fibre de carbone, sur le document très soigné qui invite les médias à une présentation au centre PMG.

Une voiture d’environ 2,5 $ millions avec une carrosserie splendide c’est bien, mais ce sont les éléments suivants qui attirent notre attention sur l’invitation. Sous le titre : « La Bugatti Veyron la plus rapide au monde » on peut effectivement lire « 0-100 km/h : 1,8 s » et « 0-200 km/h : 3,8 s ». Notre curiosité est sérieusement piquée du même coup.

Après une première rencontre avec Laurent Nathan dans son atelier, la présentation aux médias se transformée en essai exclusif de la Veyron sur la piste d’accélération du circuit ICAR pour les caméras de l’émission Le Guide de l’auto au réseau MAtv. Notre objectif : réussir ce 0-100 km/h en moins de 2 secondes, preuves à l’appui, du jamais vu pour une voiture portant une plaque d’immatriculation.

La Bugatti est à l’entrée du circuit ICAR un quart d’heure avant l’ouverture à 8 h le lundi 15 juillet. Pas de temps à perdre puisque l’air est humide et qu’il fait déjà près de 27 degrés sous un soleil de plomb. Pas bon pour la performance.

Aussitôt que mon VBox Mini est branché et qu’il a repéré les satellites GPS dont il a besoin pour fonctionner, je pointe la Bugatti vers la piste d’accélération. Je fais habituellement mes mesures seul à bord mais ce matin-là, Laurent Nathan est avec moi. Parce que la Veyron est « son bébé » et que je suis le premier à la conduire après lui et le propriétaire.

À la ligne de départ, je désactive l’antidérapage et appuie sur le bouton LC (launch control). Lorsqu’un message confirme que le système est activé, j’enfonce l’accélérateur, l’aiguille du compte-tours grimpe à environ 4 000 tr/min, je lâche la pédale de frein et la Bugatti décolle en louvoyant avec ses quatre pneus qui patinent joyeusement. Une fois qu’ils ont mordu, la force d’accélération est incroyable et le W16 à quatre turbos imite le son d’un F-18 au décollage. Comme une tornade dans la cabine.

La Veyron a laissé quatre longues traces en S sur la voie de gauche de la piste plutôt que d’accélérer à fond dès le départ. Un deuxième parcours, sur la piste de droite, est à peine meilleur sur cette surface de démarrage trop glissante. Les chiffres sont loin des records visés.

Lorsque Laurent voit « 0-60 : 2,3 » et « 0-100 : 3,6 » sur le petit écran de mon VBox, il est convaincu qu’il s’agit de milles à l’heure et non de kilomètres/heure. Nous avons alors la première de quelques discussions fort animées sur la bonne méthode et les bons instruments pour mesurer les performances.

Même en démarrant de l’autre extrémité de la piste, en changeant de conducteur et en activant le mode « 1-foot roll-out » qui reproduit le système de chronométrage d’une piste d’accélération (comme le font les collègues américains du magazine Car and Driver, entre autres), les chiffres sont décevants. Dans les fichiers de résultats enregistrés, je retrouve quand même un 0-100 en 2,8 secondes et un 0-200 en 7,5 secondes, mais ces résultats sont loin de nos objectifs. De plus, le mode « départ-canon » de la Veyron limite le régime à 3 000 tr/min, les multiples embrayages du rouage intégral et de la boîte à 7 rapports semblent patiner et la température du moteur grimpe à 250 degrés.

Deuxième tentative irrésistible

Quelques jours plus tard, déçu et frustré de ce rendez-vous raté, je me dis qu’il faut remettre ça dans de meilleures conditions pour en avoir le cœur net. Je rappelle Laurent Nathan qui a toujours la Veyron et se dit prêt à la remettre en piste. Un autre appel à Jean-François Ménard du Circuit ICAR et nous avons le feu vert pour une nouvelle séance d’essais.

Le vendredi 26 juillet à 8h00 pile, il fait 18°C à Mirabel, l’air est sec et frais et la Veyron file immédiatement vers l’autre bout de la piste d’accélération. VBox prêt, système ‘départ-canon’ enclenché, j’enfonce l’accélérateur, relâche les freins et la Veyron bondit en nous plaquant dans ses baquets de cuir couleur caramel.

Les chiffres sont nettement meilleurs : le 0-100 en 3,04 secondes et le quart-de-mille en 10,22 secondes avec une pointe de 238,1 km/h. C’est environ six dixièmes de seconde de mieux dans les deux cas. On fera ensuite le 0-100 en 2,8 secondes et le ¼ de mille en 9,9 secondes, avec 219,0 km/h en bout de piste. Et finalement un autre 0-100 en 2,8 s avec le ¼ de mille en 10,0 secondes, à 236,9 km/h. Pas mal pour une voiture de plus de deux tonnes (anglaises…).

Ce sont, de loin, les meilleurs chiffres que j’aie enregistrés à ce jour mais on voulait faire mieux parce que la puissance et le couple sont certainement là. Il aurait fallu des pneus neufs et sans doute aussi la possibilité de régler le régime du démarrage pour le départ-canon.

Fin septembre, la Veyron a pris une nouvelle fois l’avion vers l’Europe et Monaco dans son conteneur. Elle portait de nouvelles roues en fibre de carbone noires chaussées de pneus neufs et on avait peint ses grilles en noir pour souligner encore son look de ninja.

Si cette Bugatti repasse l’Atlantique un jour, que ses pneus sont assez frais et que Laurent Nathan pense encore à ce chrono record, mon VBox est prêt. À moins qu’il ne préfère s’y attaquer avec un autre bolide diabolique de sa création. Tu as mon numéro, Laurent.

Share on FacebookShare on TwitterShare by emailShare on Pinterest
Partager

ℹ️ En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies telle que décrite dans notre Politique de confidentialité. ×