Ford F-150 2015: L'aluminium, cet inconnu

Publié le 17 décembre 2014 dans Technologie par Denis Duquet

En janvier 2014, la compagnie Ford a surpris toutes les personnes présentes au Salon de l’auto de Detroit en dévoilant sa nouvelle camionnette F-150 2015. Non seulement ce nouveau modèle affichait une silhouette élégante et moderne, mais sa carrosserie était toute en aluminium, une première dans la catégorie des camionnettes. Ce matériau est utilisé depuis longtemps, mais généralement pour des capots ou des couvercles de coffre de modèles de grande diffusion tandis que certaines voitures de grand luxe voient l’ensemble de leur carrosserie réalisée en aluminium.

La réaction de la foule avait été variée. Plusieurs étaient admiratifs devant l’audace qu’a eue Ford de fabriquer son modèle le plus vendu en aluminium. D’autres étaient sceptiques, soulevant les couts de production plus élevés, les assurances à la hausse et la complication des réparations. Mais la remarque la plus saugrenue est venue de mon voisin de gauche qui s’est exclamé : « Il faut le faire! Ford va produire son F-150 avec des canettes de bière recyclées! » Sans doute un redneck qui associe aluminium avec canette de bière...

Quoi qu’il en soit, le défi est de taille et il fallait être vraiment assuré de cette technologie pour le relever. Mais tandis que le public discute encore des tenants et aboutissants de cette nouvelle camionnette, Ford a pris tous les moyens pour que cette initiative soit couronnée de succès. Et si c’est le cas, on peut être sûr que la concurrence va suivre ou tout au moins offrira une technologie aussi innovatrice.

Aucune improvisation

En premier lieu, il est important de souligner que l’adoption de l’aluminium pour la carrosserie n’est pas une décision de dernière minute de la part de Ford. Certains d’entre vous se souviennent peut-être qu’en 1993 le constructeur avait développé une Mercury Sable AIV (Aluminum Intensive Vehicle) dont la carrosserie était toute en aluminium et dotée du moteur V6 de la SVO. Une vingtaine d’unités avaient été fabriquées, mais aucune n’a été commercialisée. Puis, en 2003, ce fut au tour d’une voiture de production, la Jaguar XJ, d’être offerte au public. Il faut se souvenir qu’à l’époque, Ford était propriétaire de Jaguar. Et toujours avec la filière britannique, le constructeur de Dearbon possédait également Range Rover, une autre compagnie utilisant l’aluminium pour ses carrosseries.

Le fait d’avoir conservé les brevets de Jaguar suite à la vente de cette même compagnie à Tata a permis à Ford de développer sa camionnette en aluminium. Le feu vert pour ce projet a été donné à la fin de 2009 et le développement a eu lieu à la vitesse grand V. Afin de garantir toute la robustesse voulue, le châssis est bien entendu en acier rigide de haute qualité. Et pour s’assurer que cette camionnette iconoclaste soit la plus robuste possible, les ingénieurs ont soumis des prototypes à plus de 16 millions de kilomètres. En outre, un F-150 tout en aluminium a participé l’an dernier à la légendaire course Baja.

Dessiner et concevoir un nouveau modèle est une chose, mais encore faut-il être certain que la production soit en mesure de respecter les devis originaux.

Une légendaire usine

De toutes les usines Ford, la Rouge est celle qui est entrée dans la légende. Le site a été acheté en 1915 par Henry Ford qui, à la fin du premier conflit mondial, y a produit le modèle T. Cette méga-usine était annexée à un port situé sur la rivière Rouge. Les bateaux y déchargeaient les matières premières et les voitures sortaient au bout de la chaine d’assemblage. Plusieurs modèles de grande diffusion y ont été montés au fil des années, dont la Mustang de 1964 à 2004. La manufacture a ensuite été modernisée et transformée pour y produire la camionnette F-150. Cette usine inaugurée en 2004 était la plus écologique en Amérique et comprenait un toit recouvert de verdure afin de diminuer les émissions de CO2 et d’optimiser la climatisation et le chauffage.

Pour permettre la transformation de l’usine afin de produire les F-150 en aluminium, plus de 500 nouveaux robots ont été installés et l’atelier de peinture a été modernisé. Cette transformation monstre s’est effectuée en quatre semaines, en octobre dernier. Il fallait faire vite pour ne pas trop réduire les inventaires, car il s’agit de la camionnette la plus vendue au monde.

Collé et rivé

Il est essentiel de préciser que l’assemblage d’une carrosserie en aluminium ne ressemble en rien aux techniques utilisées avec l’acier. Trois alliages d’aluminium sont requis en raison des différentes exigences des sections. Par exemple, la boite de chargement est réalisée avec de l’aluminium plus épais et plus rigide. Enfin dans toute la carrosserie, les seules pièces en acier sont la paroi pare-feu — pour ses capacités insonores — et les charnières des portières. Il faut également préciser que peu d’éléments sont soudés. En effet, l’aluminium doit être soudé à l’argon, une technologie plus complexe que la soudure traditionnelle.

À quelques exceptions près, les éléments de la cabine et de la caisse sont collés et rivés. Si vous avez des doutes quant à la solidité de cette technologie, sachez qu’elle est utilisée dans l’industrie aéronautique depuis des décennies. Enfin, peindre la carrosserie exige une technique différente. Il faut en premier lieu appliquer un apprêt distinct de celui employé pour l’acier. De plus, un système de détection des poussières a été développé afin d’optimiser la qualité de la peinture.

Prix raisonnable et formation

Assembler un véhicule en aluminium est une chose, mais il faut s’assurer que si jamais un accident se produit, les couts des pièces et des réparations ne soient pas hors de prix. Ford s’est donc fait un point d’honneur à dresser une liste de prix des pièces de remplacement dont les couts sont presque identiques à ceux des F-150 en acier. Et il a  mis sur pied un important programme de formation s’adressant aux carrossiers des concessionnaires et de certains ateliers indépendants.
Les techniques de réparation sont différentes de celles d’une camionnette traditionnelle (les soudures sont presque inexistantes), mais les ingénieurs de Ford ont quand même développé des structures faciles à réparer. Dans un atelier de carrosserie, la section qui s’occupe des carrosseries en aluminium doit être isolée de celle attitrée à des carrosseries en acier, mais ce n’est pas la fin du monde non plus. Il faut mettre les choses en perspective.

Ford a donc fait l’impossible pour que l’implantation de cette nouvelle technologie soit plus avantageuse et pour que les acheteurs bénéficient d’une économie de carburant grâce à un allégement du camion de plus de 350 kg. Reste à voir maintenant si cette décision aura des répercussions positives ou négatives. Comme le soulignait un journaliste américain : « À l’époque, l’Edsel était également une excellente idée. » On connait la suite…

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