Exclusif On a conduit le Fat Truck, un tout-terrain fait au Québec

Publié le 3 mai 2019 dans Premiers contacts par Marc Lachapelle

BROMONT, Québec – Il était une fois trois collègues qui aimaient souligner qu’ils cumulaient près de soixante années d’expérience dans l’industrie de l’automobile et des véhicules industriels. Bref, ils connaissent la game.

Un jour, alors qu’ils cherchent une solution concrète pour des clients qui ont des besoins extrêmes en transport tout-terrain, les trois camarades découvrent le Sherp. Ce drôle d’engin russe, équipé de pneus gigantesques, semble passer n’importe où, y compris sur des « bouts » de lac et de rivière. Intrigués, ils en font l’essai en Abitibi. Là où d’autres ne voient qu’un VTT géant, ils découvrent plutôt une technologie prometteuse pour un véhicule à vocation professionnelle qu’ils comptent rendre plus facile à conduire, plus raffiné et moins enfumé.

L’aventure est lancée

En début d’année dernière, Maxim O'Shaughnessy, Benoît Marleau et Amine Khimjee fondent Zeal Motor Inc. qui se donne pour mission de développer une gamme de « véhicules utilitaires tout-terrain industriels ». En mai 2018, la jeune compagnie installe son atelier et ses bureaux dans une section de l’ancienne usine Hyundai, à Bromont. Elle s’y présente surtout avec le produit de 2 000 heures de travail d’ingénierie préliminaire sur sa première création.

Photo: Marc Lachapelle

À son lancement officiel, le 22 janvier dernier, Zeal Motor dévoile du même coup son premier modèle, baptisé Fat Truck. Ce nom, choisi sciemment pour attirer l’attention, ne laisse personne indifférent. Il évoque, entre autres, l’appellation fat bike donnée aux vélos à pneus surdimensionnés. Ceux du Fat Truck, qui font plus de la moitié de sa taille en hauteur, le sont très certainement.

Haut et large de 2,5 mètres et long de 3,7 mètres, le Fat Truck est imposant. La superstructure est fabriquée à partir de panneaux plats, solides et légers qui combinent l’aluminium pour l’extérieur, le PVC pour l’intérieur et un styromousse ignifuge et isolant entre les deux. Faciles à découper aussi, pour une surface vitrée plus qu’abondante avec deux glaces coulissantes de chaque côté, pour l’air frais.

La forme et le fond

Conducteur et copilote grimpent à bord par la grande porte avant, à l’aide d’une échelle escamotable. Ils peuvent changer de rôle à volonté, puisque le Fat Truck se conduit à l’aide du levier (joystick) et de l’écran installés entre les deux. Six autres passagers peuvent monter à bord par l’arrière, en utilisant une autre solide échelle mobile.

Cette cabine, encadrée par une structure de protection (ROPS) en acier, est posée sur un châssis en acier à haute résistance plié et soudé. Le fond en acier Hardox est deux fois plus robuste, pour encaisser les chocs et résister à l’usure, malgré la garde au sol de 525 mm (20,7 po). On peut même parler d’une coque, car le châssis est parfaitement étanche, grâce à des roulements scellés et des joints doubles pour chacun des essieux. La bête est amphibie, bien sûr.

Photo: Marc Lachapelle

Stratégie audacieuse et nécessaire

En dévoilant le premier exemplaire de son Fat Truck, le jeune constructeur annonce qu’il amorcera la production à peine trois mois plus tard alors qu’il n’a pas encore roulé. Chose absolument inimaginable dans l’industrie automobile. Maxim O'Shaughnessy, le président de Zeal Motor, répond qu’une start-up comme la leur n’a pas le choix de pousser tous les aspects du développement d’un produit en parallèle pour espérer être compétitive et rentable : « Si l’on faisait tout en séquence, ça prendrait six ou sept ans ». Ils feront des mises à niveau au besoin.

Leur stratégie est vite mise à l’épreuve. Lors des premiers essais, le Fat Truck n’atteint pas la vitesse ciblée en grimpant une côte enneigée avec huit passagers à bord. Après discussion, l’équipe décide de remplacer le trois cylindres turbo Diesel Caterpillar de 1,7 litre par un quatre cylindres de 2,2 litres. Un changement majeur qui va nécessiter le démontage complet du prototype et de grosses modifications. La puissance va cependant passer de 40 à 67 chevaux et le couple de 92 à 153 lb-pi, des gains de plus de 50% dans les deux cas.

L’ingénieur-chef Benoît Marleau et son équipe installent un deuxième radiateur pour bien refroidir le nouveau moteur plus gros et la transmission hydrostatique qui n’a pas changé, déjà bonne pour un moteur de 120 chevaux. Les changements ont ajouté 494 kilos et réduit l’angle maximal pour rouler à flanc sur une pente de 30 à 22 degrés, mais les objectifs de performance sont atteints.

Photo: Marc Lachapelle

Promesses tenues

L’appel pour un premier essai vient aux premiers jours d’avril, tel que promis. Dans l’immense salle où le Fat Truck sera assemblé, au rythme d’un par jour, je remarque seulement les prises et sorties d’air deux fois plus grandes entre les roues et la boue séchée, sur le tout premier. Une fois installé dans un des sièges bien sculptés, on tourne la clé et ça démarre. On appuie sur un bouton derrière le joystick, on tire et la machine sort en marche arrière avec un bip-bip et les feux qui clignotent.

En relâchant la commande, le Fat Truck s’arrête et les freins à disque s’appliquent automatiquement. J’appuie sur le bouton d’engagement, je pousse vers l’avant et on avance. Je penche à gauche et on va de ce côté. Aussi simple que ça. Deux minutes et je suis à l’aise aux commandes, avec le moteur qui ronronne derrière nous.

Première révélation en arrivant à un immense fossé en V, creux de trois mètres. Aucun 4x4 ne peut traverser ça directement et je doute que ce véhicule en soit capable. Je choisis un des plus lents parmi les 10 paliers de vitesse virtuels avec les boutons au sommet du joystick, je pousse et on descend la pente, pouce par pouce. Au fond, on ne voit que l’herbe de l’autre versant dans le pare-brise. Je pousse le levier vers l’avant, le régime du moteur augmente et trois secondes après, on ne voit que du ciel bleu dans le pare-brise. Facile pour le Fat Truck.

Photo: Marc Lachapelle

À l’aise partout

Chaque mode de conduite est lié à un degré de gonflage des pneus de VTT géants, dont les flancs sont souples. Seulement 1 lb/po2 en mode Neige, pour avoir la plus grande empreinte possible, et gonflage maximum en mode Eau, pour flotter le mieux possible. Entre les deux, le mode Boue pour les surfaces meubles et le mode Sentier pour tout le reste.

Le Fat Truck peut regonfler ses pneus en moins de 20 secondes, grâce à un super compresseur dont ses créateurs gardent le secret. Sur le parcours d’essai, il escalade et chevauche sans peine un bloc de schiste haut d’un mètre et les suivants. Il franchit ensuite aisément une série de cônes en ciment de 60 cm avant de faire demi-tour sur sa longueur.

Le test le plus impressionnant demeure toutefois celui de la fosse creuse de deux mètres, aux parois verticales, remplie d’eau. Au premier passage, je m’étonne simplement de sentir flotter cette machine de deux tonnes et demie. La deuxième fois, j’arrive plus vite et l’eau grimpe aux trois quarts du pare-brise. À l’intérieur : pas une goutte. J’active l’essuie-glace. Le Fat Truck se hisse également sur la paroi droite après avoir traversé la fosse au beau milieu. Vraiment pas évident.

Photo: Marc Lachapelle

Sur le chemin du retour, je pousse à fond sur le 10e rapport et je vois 37 km/h sur le petit tableau de bord. La sensibilité du levier est réduite, comme une direction à rapport variable, et le Fat Truck est impeccablement stable. Son boulot est fait.

L’équipe de Zeal Motor compte produire les 25 premiers vendus d’ici juillet, tous équipés selon les goûts et les besoins des clients. Le Fat Truck est garanti pour un an ou 1 000 heures de fonctionnement, son moteur Caterpillar pour deux ans et 2 000 heures, par le fabricant. Le prix est de 125 000 $US, avec les options de location qui sont familières aux clients industriels.

À mes yeux, le Fat Truck est déjà un exploit et ce sera sans doute une réussite exceptionnelle. Pour la version électrique ou hybride, je poserai la question la prochaine fois.

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