Vendeur à tout prix

Publié le 14 mai 2020 dans Blogue par Antoine Joubert

Dans le contexte actuel, le métier de vendeur automobile n’est pas facile. Un métier exigeant, qui demande de la compassion, de la passion, du savoir et une aisance avec le public.

Un métier que je respecte énormément, mais trop souvent sali par les actions de mauvais vendeurs. Parce que comme dans tous les domaines, il existe de la compétence… et son contraire. Ainsi, parce que j’ai déjà pratiqué le métier et que j’ai actuellement une pensée pour ces personnes, j’ai eu l’idée de cette histoire de vendeur que j’ai personnellement vécue. Alors voici.

Nous sommes en 1999. Je suis représentant de véhicules neufs chez Toyota. Une dame très âgée se présente. Elle revêt une robe fleurie datant de l’âge de pierre, des sabots ainsi que de vieux gants en cuir coupés aux extrémités. Plutôt bizarre. À la porte, une Datsun/Nissan Stanza 1983 de 97 000 km, à boîte manuelle. La voiture est dans un état correct, mais nous sommes ici loin d’une perle.

Photo: Antoine Joubert

La dame en question désire changer pour une voiture à boîte automatique puisqu’elle a des problèmes de hanches. Ce qui l’intéresse? Une Corolla, grise, avec régulateur de vitesse et climatiseur. Rien d’autre.

Je lui explique que pour avoir accès au régulateur de vitesse, elle devra opter pour le modèle CE Plus, lequel comprend volant inclinable, banquette rabattable et verrouillage électrique. Mais elle n’en veut pas. Trop de gadgets, dit-elle! Je vérifie ainsi le prix du régulateur de vitesse vendu en accessoire et installé chez le concessionnaire  sur un modèle VE de base, pour réaliser qu’il serait tout simplement plus économique de choisir la CE Plus.

Qu’à cela ne tienne, elle ne veut toujours rien savoir. Et pourquoi un régulateur de vitesse? Parce que quelqu’un lui a dit que ça pourrait l’aider à conduire, compte tenu de ses problèmes de santé. Mais elle m’avoue pourtant ne rouler que quelques milliers de kilomètres par an, ne sortant jamais de la ville puisqu’elle a une peur bleue des autoroutes. Je ne tenterai toutefois pas à nouveau de la convaincre que le régulateur de vitesse lui sera inutile. Son idée est faite.

Soudainement, la dame me témoigne un intérêt pour des phares antibrouillard, prétextant que la voiture a plus de classe avec cet accessoire. Puis, elle me parle des roues en alliage, parce qu’elle a déjà perdu un enjoliveur de roue sur sa Stanza, 16 ans auparavant, alors que la voiture était toute neuve. Cela m’amène donc à lui suggérer le modèle LE, lequel comprend ces accessoires. Or, la version LE vient d’emblée avec un groupe électrique qu’elle ne veut pas.

Calculant ainsi le coût d’une Corolla VE avec climatisation, régulateur de vitesse, jantes d’alliage et phares antibrouillard vendus en accessoire, j’arrive à un prix qui dépasse même celui d’une Camry mieux équipée. De mémoire, une facture qui avoisine 24 000 $, mais qui semble néanmoins faire son affaire. Une facture qui, avouons-le, me donnera accès à une belle commission, étant donné que les accessoires vendus sont très payants. Reste donc un seul point à régler, soit le montant accordé pour cette vieille Stanza. Pratiquement bonne pour la casse, puisque l’embrayage glisse incroyablement, que la rouille attaque certaines parties de la carrosserie et que les pneus sont ceux d’origine.

Problème, la dame souhaite obtenir 2 000 $ pour sa voiture, prétextant qu’elle n’a que peu roulé et qu’un jeune appréciera le côté « sportif » de cette voiture à boîte manuelle! Il me faut bien sûr me retenir pour ne pas rire, mais le défi de la valeur d’échange sera de taille. Après évaluation, le concessionnaire consent à offrir 300 $. Nous sommes donc loin du compte. Et elle encaisse très mal la nouvelle. Avec toute la délicatesse du monde et avec l’aide de mon directeur des ventes, je parviendrai à calmer le jeu.

Il est maintenant 21 h 15, vendredi soir. Nous sommes toujours en concession, et la transaction est loin d’être conclue. Des tapis et un stylo-retouche auront été ajoutés à l’offre, ainsi qu’une somme additionnelle de 200 $ pour la Datsun. 21 h 45, il nous faut fermer. C’est peine perdue. Puis, j’ose offrir à la dame une somme de 700 $ pour la voiture, en lui expliquant que je lui achèterai personnellement. Coup de théâtre, elle accepte alors sur-le-champ! Elle sort son chéquier, paie la voiture et consent à laisser immédiatement sa vieille Stanza sur place, à condition que je la reconduise chez elle. Ce que je fis.

Je débourse donc de ma poche les 700 $ (taxes incluses), donc en vérité, environ 610 $, pour l’acquisition de cette Stanza, que je revendrai dans les petites annonces du Journal de Montréal quelques jours plus tard. Et la commission? Plus de 1 300 $ pour une Corolla VE que nous avions en stock, et ce, sans commission au financement.

À peine un mois plus tard, le concessionnaire a téléphoné à la dame pour un suivi de satisfaction à la clientèle. Malheureusement, elle n’était plus. Quelqu’un au bout du fil nous avait annoncé son décès, moins d’une semaine après l’achat de la voiture... Comprenez que des histoires comme celle-ci sont difficiles à oublier.

En vidéo: Antoine Joubert explique la frustration des concessionnaires de Montréal

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