Ford Modèle T, un monument de technologie!
L’automobile. Un objet de consommation banal. De nos jours, conduire s’avère pratiquement aussi incontournable que de marcher. Trop souvent, d’ailleurs, l’automobile remplace la marche! L’Automobile, avec un grand A, a façonné nos vies, notre milieu, notre identité. Une des grandes responsables de cette démocratisation de l’automobile est la Ford Modèle T.
L’an dernier, pour marquer le centenaire de cette voiture qui a, littéralement, mis l’Amérique, mais aussi une bonne partie de la planète, sur roues, Ford du Canada avait invité quelques journalistes à en faire l’essai. M. Gérard Moisan, qu’on pourrait pratiquement nommer « M. Modèle T » au Québec était sur place avec trois de ses voitures et nous a donné un cours de conduite au volant de sa T 1921.
Pour la petite histoire, mentionnons que la Ford Modèle T a été commercialisée entre 1908 et 1927 et a été fabriquée à plus de quinze millions d’exemplaires! Cette voiture est, selon plusieurs, à l’origine de la chaîne de montage, ce qui est faux, en partie du moins. La chaîne de montage existait déjà mais Henry Ford, dans un constant souci d’amélioration de la productivité et, ce faisant de la rentabilité, la peaufina à un niveau jamais encore atteint. Alors qu’en 1908 une T était assemblée en 12,5 heures, elle n’en prenait que 1,5 en 1914! Contrairement à la croyance populaire, tous les Modèle T n’étaient pas noir. De 1908 à 1913 et en 1926 et 1927, la T était proposée en différentes couleurs. Le noir fut utilisé à outrance puisqu’il séchait rapidement et n’entravait pas la productivité. Le fait qu’il ne coûtait pas cher a aussi sûrement pesé dans la balance… D’un autre côté, il ne faudrait pas voir dans la baisse constante des prix du Modèle T (825$ en 1908, 260S en 1926) un quelconque syndrome de la Mère Térésa avant le temps. Henry Ford savait que plus ses voitures étaient abordables, plus il en vendrait et plus il ferait de profits!
Au fil des années, le Modèle T a connu bien peu de changements, Henry Ford ne voulant absolument pas modifier sa recette gagnante. Et comme le vieux Henry n’a jamais été doué pour le sens du compromis… Malgré tout, les phares sont passés de l’acétylène à l’électricité en 1915, différents changements cosmétiques sont apportés en 1917 et 1923 et le démarreur électrique est offert en 1919 et devient standard en 1926.
Mais qu’y a-t-il de si spécial dans le fait de conduire un Modèle T?
Cette voiture, souvent appelée "Ford à pédales", mérite bien son surnom… En effet, la voiture se conduit autant par les pieds que par le volant. On retrouve trois pédales au plancher mais aucune n’a les mêmes fonctions qu’aujourd’hui. La pédale de droite n’est pas un accélérateur, c’est le frein. L’accélérateur, c’est au volant qu’on le retrouve! La pédale du centre sert pour engager la marche arrière et la pédale de gauche peut être considérée comme un embrayage. Enfoncée au maximum, elle enclenche le premier rapport et relâchée, elle active le deuxième rapport. Le neutre se trouve à mi-chemin! Lors de la première décélération, le tarla de journaliste a, bien entendu, le réflexe de peser à fond sur la pédale de gauche, comme il le ferait sur une voiture contemporaine. La T, qui vient de tomber sur le premier rapport, s’emballe et la chaîne de trottoir s’approche dangereusement, jusqu’à ce que le courageux M. Moisan ne prenne les choses en main. Malgré cet épisode, il n’est pas plus difficile de conduire cette voiture que de programmer une adresse sur un GPS. L’un fait appel à la mécanique, l’autre à l’informatique. Il faut seulement prendre le temps de s’habituer.
Je pourrais passer la moitié de ce magazine à décrire la conduite d’un Ford Modèle T mais vous pouvez recréer, vous aussi, les sensations de conduite d’un Modèle T… et de la plupart des voitures des années 1910 et 1920. Prenez votre voiture quotidienne, tout simplement. Placez une planche de bois sur le siège et une autre sur le dossier pour recréer le siège d’une T. Enlevez les glaces latérales, la lunette arrière et le toit, condamnez le système de chauffage et de climatisation. Débarrassez-vous de la radio, des ceintures de sécurité, des coussins gonflables et de tout autre élément superflu comme le démarreur ou la pompe à essence. Pour recréer la puissance de l’éclairage, appliquez une couche de peinture noire opaque sur environ 90% de la surface des phares. Côté mécanique, ce n’est pas compliqué. Placez un gros morceau de bois sous l’accélérateur et bloquez tous les rapports de la boîte au-dessus du deuxième. Changez le ratio de la direction de façon à ce qu’un coin de rues demande au moins deux fois plus d’amplitude au volant et de fréquentes corrections en ligne droite. Et enlevez l’huile du réservoir du servofrein, question de recréer, un peu, les sensations au freinage. Et pour bien vivre l’époque, changez un pneu tous les trente ou quarante kilomètres, les clous provenant des fers des chevaux pénétrant avec un malin plaisir, le fragile caoutchouc des pneus. (Cette comparaison, je la dois à Gilbert Bureau qui, un jour, a écrit quelque chose de semblable dans son excellent magazine l’Auto Ancienne.)
Chaque chose en son temps et l’Histoire sera bien gardée
Invivable la T? Oui, dans le contexte de l’automobile d’aujourd’hui. Au début du siècle dernier pourtant, il s’agissait d’un monument à la technologie. Et j’aimerais vivre encore 100 ans, juste pour voir ce qu’on dira du Ford Flex 2010, par exemple… "Prenez votre FoTo (une marque issue du rachat de Toyota, déficitaire, par Ford en 2061), enlevez le centre de lecture d’activité cérébrale humaine (Human Cerebral Activity Scanning System ou HCASS) et remplacez-le par un archaïque système GPS actionné par la voix. Remplacez les sièges recouverts de microfibres nucléaires à suspension ondulatoire par de pauvres sièges en cuir. Réduisez la puissance de votre moteur d’environ 90% tout en émettant à peu près 90% de plus de CO2…"