Les origines de la Dodge Viper

Publié le 5 août 2023 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

En 1992, Chrysler frappait un grand coup. La marque qui produisait des dérivés de K-Cars depuis 10 ans présentait soudainement un monstre venimeux promettant de réaliser le « 0 à la prison en 4 secondes ».

Comment en est-on arrivé là?

Une idée simple

Nous sommes dans les premiers beaux jours du printemps 1988. Un homme conduit vigoureusement sa réplique d’AC Cobra MK IV sur de petites routes du Michigan. Il se dit que la Cobra a laissé une marque indélébile dans l'histoire de l’auto et qu’elle est aujourd’hui la voiture la plus reproduite au monde. Une lumière s’allume alors : pourquoi ne pas faire une réinterprétation moderne de cette auto? Pour n’importe qui, l’histoire se serait arrêtée là, mais cet homme, c’est Bob Lutz et il est vice-président responsable du développement chez Chrysler.

Photo: Chrysler

État des lieux

À la fin des années 80, Chrysler est profitable, notamment grâce aux minifourgonnettes, mais la corporation ne produit pratiquement plus que des dérivés des fameux K-cars, introduits  en 1981. Lee Iacocca, son PDG qui a sauvé les meubles 1979, reste indéboulonnable même si sa stratégie commence à être sérieusement contestée à l’interne.

En plus d’un goût en matière d’automobiles qui s’est arrêté aux années 70, il s’est lancé dans une frénésie d’achats en tous genres : les avions Gulfstream, Electrospace Systems, Finance America, 4 compagnies de location d’autos et même Lamborghini. Sans compter le rachat d’AMC en 1987 (essentiellement pour récupérer Jeep), un geste qui, contrairement aux autres, s’avérera fructueux. L’argent qui sert à réaliser ces acquisitions ne sert pas à développer de nouveaux produits et cela se ressent. Heureusement, une équipe d’exécutifs est bien décidée à ne pas laisser les choses en l’état.

La « Dream Team »

La Viper a essentiellement quatre parrains : Bob Lutz, vice-président responsable du développement; Tom Gale, directeur du design; François Castaing, directeur de l’ingénierie et Carroll Shelby, le père de la Cobra.

Photo: Chrysler

Grâce à Tom Gale, l’image de Chrysler a commencé à se dépoussiérer en 1987 avec le lancement du concept Portofino, dont les idées de design serviront de base aux berlines LH à cabine avancée de 1993. Étonnamment, Gale est rentré chez Chrysler comme ingénieur avant de rejoindre les studios de design en 1981.

François Castaing est un Français qui a démarré sa carrière d’ingénieur chez Gordini pour ensuite travailler sur les programmes de compétition des 24 heures du Mans et de Formule 1 pour Renault. Fin 1979, il est nommé directeur technique d'AMC, dont Renault est devenu actionnaire majoritaire.

Bob Lutz est né en Suisse et est passé par les Marines (où il a appris à piloter des jets de combats), Opel, BMW et Ford avant d’arriver chez Chrysler en 1986.  Après qu’il ait mis fin lui-même à la fabrication des Mustang portant son nom en 1969, Carroll Shelby a connu une certaine traversée du désert avant d’être rappelé par Iacocca en 1982 pour venir remettre de l’énergie dans une gamme Dodge qui en avait bien besoin.

Faire le show!

Après sa balade en AC Cobra, Bob Lutz parle de son idée à Gale, qui se met rapidement au boulot. C’est Craig Durfey qui réalise les dessins pour le concept, qui doit être présenté au Salon de Detroit 1989. Les premiers croquis ne satisfont pas trop Lutz, qui souhaitait quelque chose de plus proche de la Cobra originale. Mais il fait confiance à Gale et sera conquis quand il verra la première maquette.

Côté performances, Chrysler n’a pas de moteur qui puisse faire fondre l’asphalte. Toutefois, le timing est bon puisque la corporation a commencé le développement d’un V10 de 8,0 litres pour le nouveau pick-up Dodge Ram, prévu pour 1994. La Viper aura donc un V10.

Photo: Chrysler

Les choses avancent bon train. C’est le célèbre créateur  de hot rods Boyd Coddington qui se charge de la fabrication du châssis. Roush (connu pour ses Mustang musclées) fabrique le moteur en tronçonnant deux V8 de 360 pc et en les ressoudant pour faire un V10. Le rôle de ce moteur n’est que de démarrer et de faire un maximum de bruit au Salon de Detroit, alors tant pis pour la finesse. Enfin, la voiture est construite chez Metalcrafters, en Californie.

Reste à trouver le nom de l’engin. Chrysler ne peut pas utiliser « Cobra » puisque c’est une marque déposée par Ford. Lutz veut absolument que ce soit un serpent, pour bien montrer la filiation. L'équipe tombe d’accord sur Viper.

La bête est dévoilée le 4 janvier 1989 et fait l’effet escompté, tant sur la presse que sur le grand public. Tout le monde en veut une! Chrysler reçoit de nombreuses lettres de demande, des chèques, voire de l’argent liquide.

Photo: Chrysler

Retour à la réalité

Dès mars 1989, Lutz pousse pour la conception d’une version de route. Avec la Viper, il voit un projet pour booster en interne le moral de la compagnie, un véhicule halo pour attirer les gens en concessions ainsi qu’un test pour le nouveau , censé réduire la durée et les coûts des projets. François Castaing avait installé avec succès une telle méthode chez AMC avant son rachat par Chrysler. C’est donc lui qui se chargera de l’implémentation à l’échelle de la corporation.

Castaing nomme Roy Sjoberg comme chef de projet pour la Viper. Sjoberg est un ancien de GM et a travaillé sur la Corvette sous la direction de Zora Arkus-Duntov avant de rentrer chez Chrysler en 1985. Pour son équipe, Sjoberg ne recrutera que des volontaires… et ils seront beaucoup plus nombreux que de besoin.

La « Team Viper » est transférée dans l’ancien centre d’ingénierie d’AMC. Le local sera rebaptisé « Snake pit ». Comme tout le monde est sous le même toit, au lieu de faire d’incessantes réunions, Sjoberg sonne simplement une cloche quand il y a une urgence à régler (vous pouvez le voir dans une vidéo). La consigne est de livrer un véhicule fini pour le Salon de Detroit, en janvier 1992. Il va falloir être rapide, agile et maintenir les coûts serrés pour concevoir une auto en 33 mois.

Photo: Chrysler

C’est là que Carroll Shelby entre en jeu. Ami proche de Iacocca, il est responsable de charmer ce dernier pour débloquer un budget pour la Viper. En effet, Iacocca n’est pas chaud pour une telle dépense. Il n’a plus Lutz dans ses bonnes grâces. Il faudra attendre le mois de mai 1990 pour qu’il autorise finalement les fonds (de 70 à 80 millions de dollars selon les sources) alors que l’étude était déjà bien avancée. Au bout du compte, Shelby n’aura pratiquement aucun impact sur la conception de la Viper et servira plutôt de caution morale auprès des médias.

Lamborghini!

La « Team Viper » conçoit un châssis tubulaire. C’est Bob Hulbach qui se charge du design pour l’industrialisation. Les différences avec le concept sont subtiles, mais assez nombreuses. La plus importante est la disparition des énormes rétroviseurs intégrés au pare-brise pour être remplacés par des composants plus classiques. La carrosserie sera réalisée en RTM (Resin Transfert Moulding), une technologie nouvelle chez Chrysler et qui posera son lot de problèmes.

En mai 1990, un premier prototype , baptisé VM-01, est construit pour les tests de châssis et de suspensions. Il reçoit un V8 360, car le V10 n’est pas encore prêt. Ce bloc doit être fabriqué en fonte. Il est finalement décidé d’utiliser l’expertise de Lamborghini, acquise en 1987, pour en réaliser une version en aluminium pour la Viper et ainsi gagner près de 70 kilos. Les Italiens en profiteront pour optimiser le refroidissement, le vilebrequin et le système d’injection. Le prototype VM-02 sera le premier à recevoir le bloc alu. D’autres prototypes suivront pour des développements sur route et sur des pistes de course.

La boîte de vitesses posera également des problèmes. Au départ, il est prévu d’utiliser la nouvelle boîte 5 rapports du Ram 94. Puis, Chrysler se tourne vers Getrag pour une boîte 6. La compagnie demandant plusieurs millions d’avance pour la conception de pièces, trop pour un aussi petit budget, Chrysler retiendra finalement la Borg-Warner T56, initialement développée pour GM.

Un succès!

Un prototype proche de la version finale est montré aux 500 milles d’Indianapolis en mai 1991, conduit par Carroll Shelby.

Comme prévu, juste avant les fêtes de Noël 1991, le premier exemplaire sort de la ligne de montage de l’usine New Mack, à Detroit. En janvier 1992, Bob Lutz se présente devant la presse du salon au volant d’une rutilante Viper de série.

Photo: Chrysler

L’auto offre 400 chevaux et pas grand-chose d’autre à part une radio. Pas d’ABS, pas de coussins gonflables, pas de climatisation, pas de boîte automatique et même pas de poignées de porte ni de vitres (des panneaux amovibles font office de protection)! Malgré cela et un prix de 50 000 $ US, la petite production (3 autos par jour au début) est rapidement écoulée. Certains concessionnaires vendront des Viper jusqu’à 200 000 $ (étonnant lorsque l’on sait que plusieurs d’entre eux avaient supplié Iacocca d’annuler le projet et de mettre l’argent sur le futur Ram à la place). La Viper connaîtra 5 générations et sera vendue jusqu’en 2017.

Pacifica

Il existe une petite histoire annexe impliquant Carroll Shelby. Celui-ci voulait que la Viper soit équipée d’un V8, possiblement avec un ou deux turbos. Ceci aurait rendu l’auto plus légère, plus courte et donc plus agile. Mais Lutz exigeait un capot long avec un V10. Afin de calmer Shelby, Gale réalisera un design à l’échelle 9/10e avec des lignes simplifiées (l’arceau arrière disparaît) et un capot taillé pour un V8. Ce sera le prototype Pacifica. Mais comme nous venons de le voir, c’est Lutz qui aura le dernier mot…

Photo: Chrysler

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