Lincoln Futura : de star des salons à star de la télé

Publié le 2 janvier 2022 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Après être passée proche de la faillite au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la Ford Motor Company entre dans les années 50 avec un enthousiasme renouvelé et commence à se voir numéro 1 à la place de General Motors. Encore fallait-il faire rêver le public et Harley Earl, vice-président du design GM, et ses Motorama faisaient exactement cela. Benson Ford, petit-fils d’Henry Ford et directeur de Lincoln-Mercury, affectionnait les véhicules concepts. C’est pourquoi la division en présente trois (Lincoln XL-500 en 1953, Mercury XM-800 en 1954 et Lincoln Futura en 1955), qui vont aboutir au style des nouvelles Lincoln 56.

C’est Bill Schmidt, designer en chef de Lincoln-Mercury de 1945 à 1955, qui commence dès 1952 les travaux sur la Futura. Ses sources d’inspiration sont le monde aquatique (à la suite d’un voyage aux Bahamas avec Bill Mitchell, futur vice-président de GM et à la tête du design) et, comme c’est souvent le cas dans les années 50, l’aéronautique.

Mais, contrairement à beaucoup de prototypes de l’époque, la Futura sera pleine grandeur et roulante. C’est donc un projet qui est mené de concert avec le département d’ingénierie. Bill Schmidt, chargé du concept et des premiers dessins, dirige le projet. John Najjar, qui sera plus tard le créateur du concept Mustang I, est responsable de la partie carrosserie et Martin Regitko du châssis. Les premières maquettes en argile à l’échelle 3/8 sont réalisées en 1953.

Photo: Ford Motor Company

À l’automne 1954, les plans, une maquette pleine grandeur, un châssis avec ses trains roulants et son moteur sont expédiés chez Ghia, à Turin en Italie, pour la construction en tôle (à l’opposé de beaucoup de concepts qui utilisent la fibre de verre). Paradoxalement, passer par un carrossier italien revenait moins cher que de le faire fabriquer aux États-Unis (finalement, le projet complet coûtera 250 000 $, soit près de 2,6 millions aujourd’hui). Ghia travaille vite et bien et l’auto est prête pour le Salon de Chicago le 8 janvier 1955.

Le futur, c’est maintenant

Lincoln croit fermement au concept Futura et s’assure que tout y soit fonctionnel. Le châssis est l’un des deux construits par Hess & Eisenhardt pour le développement de la Continental Mark II cabriolet (qui ne verra jamais le jour) et que Lincoln recycle. Le moteur est un Lincoln 53 modifié (filtre à air sur le côté pour s’accommoder des lignes plus basses du capot ainsi que des carburateurs plus gros). Le dossier de presse annonce 330 chevaux mais personne n’a jamais été en mesure de le vérifier. La couleur est un blanc iridescent (effet multicolore selon l’angle d’où on le regarde), obtenu en broyant des écailles de poisson dans la peinture.

Le toit transparent est réalisé en Plexiglas et s’ouvre et se referme automatiquement en même temps que les portes (il y a aussi une sécurité qui l’empêche de s’ouvrir si la boîte n’est pas sur Park). À l’extérieur, il y a un micro rond sur le coffre qui permet d’entendre l’environnement. À l’intérieur, l’instrumentation est placée au milieu du volant, la boîte automatique est commandée par boutons et il y a un téléphone dans la console centrale. Le haut de la planche de bord, d’où dépasse une boussole, est recouvert de cuir noir alors que les sièges sont du même blanc iridescent, avec des inserts noirs.

Photo: Ford Motor Company

Après Chicago, elle est exhibée au Salon de Detroit fin janvier puis au Salon de New York, début mars. Chaque fois, l’auto fait sensation. Le 3 mars, Benson Ford (avec Bill Schmidt comme passager) conduit la Futura du bâtiment des Nations Unies jusqu’à Central Park (vous pouvez voir la vidéo ici). Sous le toit transparent, la climatisation et la ventilation ne fonctionnent pas bien et c’est un vrai sauna. Qu’importe, le public est impressionné!

Ford continue d’utiliser la Futura à des fins promotionnelles pendant encore 4 ans après les grands salons. Comme bon nombre d’autres concepts, elle aurait dû être pilonnée mais elle connaîtra ultimement un destin plus glorieux.

Batmaaaaan!

Entre en jeu George Barris, le « kustomiseur » des stars. Il parvient à placer l’auto dans le film It started with a kiss, produit en 1959 par la MGM avec Glenn Ford et Debbie Reynolds. La peinture iridescente ne passe pas à l’écran et Barris doit repeindre la voiture en rouge. Après, la Futura se languit et se détériore lentement sur un stationnement pendant plusieurs années. En décembre 1965, Barris, qui travaille régulièrement avec Lincoln-Mercury, la rachète pour un dollar symbolique. Ford songe alors sérieusement à la détruire. Barris avait toutefois d’autres idées en tête.

Dès le 1er septembre, il signe un accord de collaboration avec la production de la série télé Batman, avec Adam West et Burt Ward, pour la fourniture de la Batmobile. Le contrat détaille toutes les améliorations qui doivent être apportées à l’auto. Elle doit être livrée le 11 octobre 1965 (donc Ford est au courant des projets de Barris). Pour tenir des délais aussi serrés, Barris sous-traite le travail de la tôle à Bill Cushenberry, pendant qu’il s’occupe de la fibre de verre, du Plexiglas et des accessoires. Une fois la tôlerie finie, il peint l’auto en noir brillant. La Batmobile était née!

Photo: Ford Motor Company

Homme d’affaires avisé, il garde les droits intellectuels du dessin (il déposera même une demande de brevet en octobre 1966) ainsi que la propriété de la voiture, qu’il loue 150 $ par jour de tournage. Bien lui en prendra, quand on imagine les millions de jouets vendus à travers le monde!

La production intense (120 épisodes en 3 ans) aura raison du châssis et des trains roulants. Barris les remplacera par un châssis de Ford Galaxie rallongé de 11 pouces avec sa mécanique. Plusieurs répliques, sur base de Galaxie, seront également construites pour la série.

À la fin, l’auto sera exposée dans le musée personnel de George Barris. En 1973, il essaiera de la vendre pour 5 000 dollars… sans succès. Quarante ans plus tard, il la fera passer aux enchères Barrett-Jackson et le marteau retentira à la somme de 4,2 millions (avant les frais). Des fois, la patience, ça paye!

En vidéo : la fin des voitures chez Lincoln et la mort de la mythique Continental

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