Vous souvenez-vous de la… Pontiac Fiero?
La Pontiac Fiero est conçue comme une auto économique, mais elle est présentée comme une voiture sport.
Produite à près de 370 000 exemplaires en cinq ans, elle est pourtant considérée comme un échec. Finalement, GM la supprime au moment où elle est enfin au point. Vous avez dit « paradoxe »?
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Économique ou sportive?
Nous sommes en 1978. General Motors se porte plutôt bien. La crise du pétrole de 1973 semble être loin dans le rétroviseur, le downsizing des modèles pleine grandeur (plate-forme B/C) est un succès et celui des modèles intermédiaires (plate-forme A) promet d’en être un.
Les nouvelles compactes (plate-forme X), prévues pour 1980, devraient régler le problème des importations japonaises et européennes. Petite ombre au tableau : les normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy), qui demandent une réduction régulière de la consommation moyenne de chaque constructeur sous peine d’amendes (18 mpg en 1978, 20 mpg en 1980 et 24 mpg en 1982). Les autos économiques ont la cote!
L’ingénieur Hulki Aldikacti propose à la direction de Pontiac, à une époque où chaque marque est encore gérée comme une entité autonome, un concept de véhicule biplace avec un moteur installé en position centrale arrière (une première en Amérique du Nord).
Robert Stempel, président de Pontiac, aime le projet et le présente à la direction de GM. Mais, et c’est là un point important, pas comme une voiture sport mais bel et bien comme une auto économique avec un poids réduit (objectif de 2 000 livres, soit 908 kilos) et une consommation minimale (objectif de 50 mpg).
Le projet, baptisé P-Car, est approuvé et la corporation lui alloue un budget de 410 M$. Pour le développement d’un nouveau modèle, même à l’époque, ce n’est pas beaucoup… surtout que cela inclut la conception de l’auto et le réoutillage d’une usine. Cette décision hantera la Fiero toute sa carrière.
Hors de la boîte
Avec un tel budget, Aldikacti doit penser différemment. Il va confier le développement de l’auto à une firme extérieure (Engineering Technology Ltd à Troy, dans le Michigan) afin de couper à travers la bureaucratie. Lui qui rêve d’un beau V6 et de suspensions sportives va devoir plutôt piocher dans la banque d’organes de GM. Côté trains roulants, la Chevette donne sa suspension avant alors qu’à l’arrière, ce sont les futures compactes traction avant (plate-forme X) qui fournissent tout le train avant (simplement retourné).
Côté moteur, il a le choix entre le 4 cylindres 2,5 litres Pontiac « Iron Duke » et… rien d’autre. Ce moteur, qui utilise un design initial provenant du Brésil, a été introduit en 1977 pour des applications économiques. Reconnu pour être rugueux, il ne se démarque pas par sa puissance (92 chevaux dans la Fiero grâce à l’injection Tech IV…).
Les contraintes budgétaires obligent Aldikacti à être très créatif. Il fait appel au consultant W. Edwards Deming, qui a aidé l’industrie automobile japonaise à se relever au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, afin de développer de nouvelles méthodes de production. Pour la carrosserie, il choisit d’utiliser le plastique, un matériau idéal pour des séries moyennes. Le châssis monocoque autoportant est en acier. Il comprend un large tunnel central qui intègre le réservoir d’essence. Sur les côtés, des traverses élargies augmentent la rigidité et laissent passer les conduits de refroidissement (le radiateur est situé à l’avant).
Sur ce châssis sont soudés 39 petits blocs en acier avec un cœur en plastique. Une énorme machine (d’une hauteur de plus de deux étages) vient percer et usiner (mill and drill) simultanément tous ces blocs qui serviront ensuite de point vissage des panneaux (qui ne participent pas à la rigidité de l’auto).
Une telle méthode permet d’assurer un contrôle optimal de leur positionnement. Ils sont en plastique Enduraflex, en hommage aux avants Endura lancés en 1968 par Pontiac. Il s’agit en fait de 4 types de plastiques différents selon les emplacements de carrosserie. Ils sont peints en même temps, pour obtenir un fini de qualité. Cette technologie innovante sera plus tard utilisée sur les premières Saturn ainsi que sur les Camaro et Firebird de quatrième génération.
Une usine désaffectée à Pontiac, dans le Michigan, est rénovée pour produire la Fiero. Ce sera la seule à en assurer la fabrication tout au long de la carrière du modèle. Demming y favorisera une méthode de travail par équipe, proche du système japonais.
Sauvée!
Le développement de la Pontiac Fiero suit son cours. Le style est confié au studio Advanced design de Ron Hill, qui choisit de réaliser un véhicule avec un arrière tronqué.
Un prototype roulant est présenté à la direction de GM en avril 1980. La voiture est approuvée pour le millésime 1982. Le style est alors transféré au studio de John Schinella pour le passage à l’industrialisation. Plusieurs noms sont évalués et, pendant un temps, le favori est Pegasus. C’est pourquoi le logo de l’auto de production sera un cheval ailé, même si, au final, le nom n’a aucun rapport. C’est Bruce McDonald, travaillant aux relations publiques, qui suggère Fiero.
Mais voilà que la deuxième crise pétrolière éclate en 1979. GM réalise d’importantes pertes en 1980. L’heure est à la rationalisation. Aldikacti reçoit l’ordre de mettre le développement de la Fiero « en pause ». Il refuse. Bill Hoglund, qui a remplacé Robert Stempel à la tête de Pontiac en octobre 1980, réussit à sauver le projet… au prix d’une réduction du budget, qui passe maintenant à 300 M$. Hoglund parviendra à débloquer des fonds pour un V6 et pour de nouvelles suspensions… ce sera toutefois pour après le lancement, qui est finalement prévu pour 1984.
La production débute au printemps 1983 et la Fiero est présentée au public le 22 septembre 1983. Ce sont les chanteurs Hall & Oates qui en assurent la promotion.
De mieux en mieux
Au lancement, trois versions sont disponibles : base, Sport et SE. Toutes ont la même mécanique et se distinguent par leur niveau d’équipement. L’accueil de la presse est plutôt enthousiaste. Elle se réjouit qu’un constructeur américain sorte enfin une auto à moteur central arrière. Par contre, les objectifs d’économie ne sont pas atteints (poids à près de 2 500 livres et une consommation moyenne de 27 mpg) sans pour autant que le véhicule ne soit sportif (92 chevaux, boîte manuelle 4 rapports ou automatique 3 rapports).
La Fiero tient plutôt bien la route, mais son confort apparaît limité et l’absence de direction assistée rend les manœuvres difficiles. Elle supporte mal la comparaison avec la nouvelle Honda CR-X, plus légère et dynamique. En outre, elle n’est pas spécialement bon marché. Au Canada, elle demande de 9 669 à 11 637 $. Une CR-X est alors vendue à 8 195 $ et une Pontiac Firebird exige de 9927 à 12 838 $. Qu’importe, le public se bouscule dans les concessions Pontiac et 136 840 Fiero sont écoulées pour le millésime 1984 (y compris 2 000 répliques de pace car des 500 miles d'Indianapolis avec un avant spécifique arrondi).
L’année suivante, une version GT est ajoutée à la gamme. Elle comprend le moteur V6 tant attendu (2,8 litres, 140 chevaux, boîte manuelle 4 rapports), les suspensions sport WS6 ainsi que l’avant des répliques de pace car de l’année précédente et un aileron (optionnel). Le V6 est disponible en option sur les Sport et SE alors que le 4 cylindres peut bénéficier d’une boîte manuelle à 5 rapports (d’origine Isuzu). À la suite de la forte demande initiale, les ventes descendent à 76 371 exemplaires… probablement aussi à cause du nouveau coupé à moteur central arrière de Toyota, la MR2.
Tard en 1986, une carrosserie fastback est proposée sur le modèle GT, qui bénéficie également d’une boîte 5 rapports conçus par Getrag. La puissance du V6 baisse à 135 chevaux. Les ventes remontent à 83 974 exemplaires.
Pour l’année suivante, les modèles de base et SE voient le design de leurs parties avant et arrière modifié. Le réservoir d’essence est agrandi (de 39 à 45 litres). Le 4 cylindres est optimisé et la puissance passe à 98 chevaux. Cela ne suffit pas à endiguer la baisse des ventes (46 581 exemplaires), et 1 200 ouvriers sont renvoyés de l’usine de Pontiac.
Le millésime 1988 marque l’apparition des tant attendues nouvelles suspensions. Dessinées d’après les apprentissages en compétition, elles ont coûté 30 M$ à développer. Couplées à de plus gros freins, elles donnent enfin le caractère sportif dont la Fiero avait besoin. Elle était finalement devenue ce qu’elle aurait dû être dès le début si GM avait approuvé les investissements nécessaires. Un nouveau modèle Formula est aussi introduit. Destiné aux passionnés, il reprend les caractéristiques techniques de la GT mais l’équipement de la SE afin de limiter le coût d’achat. Néanmoins, le destin de la Fiero était déjà scellé et le dernier exemplaire sort des chaînes de montage le 16 août 1988 après avoir réalisé 26 401 ventes pour l’année. Au total, 370 167 Fiero auront été fabriquées.
De l’huile sur le feu
L’un des inconvénients du bloc « Iron Duke », c’est qu’il peut perdre de l’huile qui, dans le cas de la Fiero, coule sur le collecteur d’échappement chaud entraînant ainsi des débuts d’incendie. Ajoutez à cela une carrosserie en plastique et vous obtenez une auto qui a la réputation de partir en fumée.
Le problème concerne principalement les modèles 1984 car, dès 1985, Pontiac revoit la configuration du compartiment moteur. Cela n’empêche pas la NHTSA de lancer une enquête à l’été 86 et d’imposer à GM en 1987 un rappel sur tous les modèles 1984. La réputation de la Fiero est alors démolie, d’autant qu'elle a connu quelques soucis de fiabilité.
À l’interne, la Fiero a perdu l’un de ses plus ardents supporters. Bill Hoglund a été remplacé à la tête de Pontiac par Michael Losh. Ce dernier a pour mission de réduire les coûts. Une étude réalisée après le rappel montre que le modèle perd de l’argent, principalement à cause des coûts de garantie. GM est alors embarqué dans une restructuration coûteuse et chaotique et n’a plus les moyens de soutenir cette gamme. Le 1er mars 1988, Pontiac annonce que la Fiero ne sera pas reconduite pour 1989.
Ce qui aurait pu être…
Le millésime 1988 avait montré que la Fiero pouvait maintenant avoir des prétentions sportives. Et ce que GM préparait avait de quoi laisser rêveur. Une nouvelle génération était prévue pour 1989 ou 1990 et son développement était très avancé. Elle aurait eu des lignes plus sportives et des moteurs plus puissants (Quad 4 Oldsmobile 2,3 litres de 160 chevaux ou V6 3,4 litres de 210 chevaux). Une version turbo avec le V6 de la Grand National aurait même été essayée.
Elle aurait reçu une direction assistée (testée sur des modèles 1988). De plus, deux prototypes avec un châssis en aluminium, conçu par Alcan, avaient été construits (poids réduit de 50% et rigidité augmentée de 40%). Ces prototypes laissaient entrevoir d’éventuelles évolutions pour les années 90. Imaginez un peu le potentiel de l’ensemble!
Aparté : une Fiero de luxe
Grâce à la facilité d’installer de nouveaux panneaux de carrosseries, la Fiero était devenue la coqueluche des fabricants de kit-cars. Nombreuses d’entre elles seront converties en Ferrari 308 (alias Faux-rarri) et certaines seront même vendues dans le réseau Pontiac (modèle Mera). Mais il y en a une qui se distingue par sa bizarrerie : la Zimmer Quicksilver.
Zimmer est connu pour produire des voitures à la mode néo-rétro façon années 20/30. En 1988, la compagnie décida d’ajouter un modèle au look plus moderne. Basée sur une Fiero V6, la Quicksilver offre un avant allongé de près de 40 centimètres, des pare-chocs, une calandre et des bas de caisse chromés ainsi qu’un intérieur combinant cuir et bois. La mécanique n’est pas modifiée. Vendue à presque 50 000 dollars US (soit environ 3 fois le prix d’une Fiero V6), elle n’a été produite qu’à 170 exemplaires.
Il en faut pour tous les goûts…