Chevrolet Corvair 1960-1969, juste une question de perception...
Parmi les plus grands échecs de l’histoire de l’automobile, la Chevroleet Corvair détient une place de choix, pratiquement au même titre que l’Edsel de Ford, ce qui n’est pas peu dire! Pourtant, la Corvair possédait de bien belles qualités. La vie, et un avocat illuminé, se sont chargés de noircir sa réputation.
Aujourd’hui, l’idée de fabriquer une petite voiture va de soi. Si un ingénieur propose un projet pour une grosse voiture à moteur V8 à essence, il n’a qu’à bien se tenir lorsque viendra le temps de le présenter à la haute direction d’un manufacturier automobile. Pourtant, durant les années ’50, c’était exactement le contraire!
- À lire aussi: Chevrolet, de la Classic Six à la Corvette C8
Une Volkswagen américaine?
L’histoire de la Corvair débute après la deuxième Guerre mondiale. Edward Nicholas Cole, mieux connu sous le nom de Ed Cole, travaille pour la General Motors depuis 1933. Cet ingénieur remarque que les Américains s’entichent lentement, mais sûrement, des petites voitures européennes, la Volkswagen en tête, et se dit que GM devrait avoir sa propre voiture du peuple. En 1952, Cole devient ingénieur en chef de Chevrolet et peut ainsi donner libre cours à son idée de petite automobile. Une chose est sûre : elle aura un moteur situé à l’arrière et refroidi par air. Les journalistes de l’époque y voient déjà une copie de la VW mais la réalité est tout autre. Le projet progresse à pas de tortue jusqu’en juillet 1956, moment de la nomination de Cole au poste de directeur général de Chevrolet. En septembre ’57, un premier prototype est prêt et servira à convaincre Harlow Curtis, le pdg de la General Motors, du bien-fondé du projet. Car Curtis veut bien d’une petite voiture, pourvu qu’elle soit grosse et que son moteur soit à l’avant… Cole avait cependant très bien fait ses devoirs et convainc Curtis que la future petite voiture à moteur arrière ne sera pas coûteuse à produire.
Mais le chemin entre le prototype et le modèle de production est parsemé d’embûches. L’architecture du moteur, un six cylindres à plat, est pratiquement inconnue à Détroit. Aussi, des problèmes de refroidissement apparaissent et la distribution du poids inquiète les ingénieurs (61,5% du poids repose sur les roues arrière) et la suspension indépendante doit être revue.
Les premières Corvair sont dévoilées le 2 octobre 1959 en tant que modèles 1960. Une nouvelle série, appelée Monza, arrive en mai 1960. La Corvair Monza se présente de façon un peu plus sportive même si la mécanique demeure inchangée. La petite nouvelle de Chevrolet doit se battre avec deux autres nouveautés : la Ford Falcon et la Plymouth Valiant, plus conventionnelles. La Corvair, malheureusement, se révèle peu performante avec son moteur de 80 chevaux seulement et des problèmes de jeunesse amènent de sérieux doutes sur sa survie. Certains, chez GM, prédisent qu’elle ne finira même pas l’année!
Et pourtant, en 1961, Chevrolet ajoute de nouveaux modèles à la gamme Corvair, certains audacieux, comme une familiale et un petit camion avec une porte de chargement sur le côté appelé Greenbrier! L’année suivante s’enrichit d’une superbe décapotable et de deux moteurs plus nerveux. La Monza Spyder fait des étincelles avec son six cylindres turbo de 150 chevaux! Les plus importants changements de l’histoire de la Corvair arrivent en 1965 alors que la carrosserie est revue et qu’une nouvelle version remplaçant la Monza Spyder, la Corsa, fait son apparition. Chevrolet en profite aussi pour revoir complètement la suspension arrière et améliorer celle à l’avant. Dès 1967, par contre, la gamme Corvair s’amenuise et 1969 sera sa dernière année de production.
Sacré Ralfie!
Qu’est-ce qui a causé la chute de cette mignonne petite voiture? Il y a beaucoup de facteurs et celui qui est probablement le moins important est, ironiquement, le plus connu… En 1965, un jeune avocat, Ralph Nader, publie un livre intitulé « Unsafe at any speed : The designed-in dangers of the American Automobile » (traduction libre… Risquée à n’importe quelle vitesse: les dangers inhérent à l’automobile américaine), où, entre autres, il blâme la suspension arrière des Corvair pour de nombreux accidents. Effectivement, la Corvair survire énormément, ce qui est normal compte tenu de son architecture. Aussi, la stabilité à haute vitesse se fait très inquiétante. Mais General Motors réagit si mal à ce bouquin qu’il lui fait plus de publicité qu’autre chose! Comble de malheur, c’est cette même année que GM choisit pour modifier complètement les suspensions de la Corvair. Le public croit que GM agit ainsi en réponse au livre maudit mais il n’en n’est rien puisque ces améliorations étaient prévues avant la parution. Si seulement GM avait introduit ces changements un an plus tôt! Au fait, saviez-vous que Nader (oui, celui-là même qui s’est présenté à la présidence des États-Unis en 2004), ce Nader, donc, n’a, semble-t-il, jamais eu de permis de conduire?
Mais ce qui cause réellement la perte de la Corvair, c’est le manque d’enthousiasme de Chevrolet. L’avenir n’est pas aux six cylindres. L’impossibilité d’insérer un bon gros V8 dans la Corvair, comme dans la très populaire Mustang, est sans doute à l’origine du désintéressement de Chevrolet. On peut donc affirmer que, dans une certaine mesure, la Mustang a tué la Corvair.
Heureusement, cette indifférence n’atteint pas les nombreux amateurs de la Corvair! Scott et Wendy Lemoine de Richmond, près de Sherbrooke, possèdent une très belle Corvair 1965. Il s’agit d’une Monza Coupe « hard top » qui, auparavant, appartenait à un cousin de Scott, habitant le Nouveau-Brunswick. Ce joli coupé blanc (Ermine White) est propulsé par un six à plat de 164 pouces cubes développant 95 chevaux. La transmission automatique Powerglide à deux rapports renvoie ces chevaux aux roues arrière. Sur papier, la fiche technique ne casse rien mais, selon Scott, les accélérations se révèlent très appropriées et la voiture se comporte très bien à des vitesses allant de 70 à 80 milles à l’heure. Il confirme par contre la tendance de la Corvair à se prendre pour un oiseau à plus haute vitesse!
Pas cher, pas cher…
Sur le marché de la voiture ancienne, la Corvair n’est pas surévaluée, ce qui fait qu’on peut dénicher un modèle en bon état pour pas tellement cher. Les Corvair les plus prisées sont, vous l’auriez deviné, le Monza Spyder et les décapotables. Les pick-ups Greenbrier et les familiales sont aussi fort reluquées. La Corvair démontre bien qu’une image vaut mille mots. Dans son cas, l’image d’une voiture dangereuse lui a valu mille maux! Dommage pour tous ceux qui n’auront jamais la chance d’en conduire une et tant mieux pour les autres qui savent l’apprécier à sa juste valeur!