Vous souvenez-vous de la… Chrysler TC by Maserati?

Publié le 21 août 2022 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Alors que Chrysler a retrouvé (temporairement) une santé financière au milieu des années 80, la corporation éprouve l’envie d’aller concurrencer Mercedes, Jaguar ou bien Cadillac. Mais l’alliance avec un nom prestigieux ne fera rien pour sauver ce projet mal pensé depuis le début.

À la fin des années 70, Chrysler est sur le respirateur artificiel. La situation demandera tous les talents de négociateur de Lee Iacocca, devenu président de la corporation en 1978, pour obtenir un prêt garanti de 1,5 milliard de dollars du gouvernement américain. Ce prêt sera remboursé au complet, en avance et avec les intérêts, en 1983. À partir de là, Chrysler va se lancer dans une frénésie d’achats et de collaborations, qui s’avéreront souvent désastreux. 

Photo: Chrysler

La filière italienne

Lido Anthony Iacocca, dit Lee, est issu de l’immigration italienne. Entré chez Ford en 1946, il montera rapidement les échelons pour en devenir le président en 1970. Iacocca a un flair incroyable pour sentir les modes et développer des produits dans l’air du temps. Pour tous, il restera le père spirituel de la Mustang. Mais son style flamboyant contraste avec celui dont le nom est sur le papier à entête : Henry Ford II. Ce dernier le licenciera le 13 juillet 1978. Il est rapidement engagé par un Chrysler moribond. Iacocca obtient le prêt fédéral, négocie les concessions de ses partenaires, lance la K-Car puis les minifourgonnettes. En à peine quatre ans, Chrysler a effectué un redressement spectaculaire. Iacocca veut maintenant faire oublier les années noires et redorer son blason auprès des fameux « yuppies ». Pour cela, il va faire appel, comme souvent, à l’une de ses anciennes connaissances : Alejandro de Tomaso dans le cas qui nous occupe.

De Tomaso est un exilé argentin en Italie (et avec un père d’origine italienne). En 1959, il crée sa propre marque et présente sa première voiture de route, la Vallelunga, en 1964. Malgré ses multiples victoires au Mans, Ford n’a pas encore digéré l’échec du rachat de Ferrari et s’associe à de Tomaso pour commercialiser la Pantera en 1970. Cette exotique bagnole italienne à moteur Ford connaîtra une carrière limitée en Amérique du Nord, elle sera néanmoins produite jusqu’en 1996 (Tim Horton se tuera d’ailleurs au volant d’une Pantera en 1974). C’est Iacocca qui est chargé du projet chez Ford et les deux hommes se lient progressivement d’amitié. De Tomaso est un industriel dans l’âme et acquiert, entre autres, Benelli, Moto Guzzi, Ghia et Innocenti. En 1975, il achète, avec l’aide de l’État italien, Maserati à Citroën (propriétaire depuis 1968). La marque est mal en point mais retrouve un second souffle à partir de 1981 avec l’introduction de la Biturbo, qui connaîtra de très nombreux dérivés jusqu’en 1996. 

Photo: Chrysler

Soleil au beau fixe

Arrivé chez Chrysler, Iacocca fait une première fois appel, en 1980, à son ami argentin en apposant le nom de « De Tomaso » sur une édition limitée du coupé 024, basé sur la plate-forme L de la Dodge Omni traction avant. En juin 1984, les deux hommes signent un accord de collaboration : Chrysler prend 5% de Maserati et la marque italienne assure le développement et la fabrication d’un modèle « spécial » pour le Pentastar sous la dénomination de « Q-Coupe ».

Le fruit de cette collaboration est présenté au Salon de Los Angeles 1986. La Chrysler TC by Maserati (pour Touring Convertible ou Turbo Convertible selon les sources) repose sur le châssis modifié de la Dodge Daytona 1984 (lui-même largement dérivé des K-Cars) et est donc une traction avant. Sous des lignes agréables mais pas très originales (réalisées par Tom Gale), on retrouve de nombreux composants provenant des K-Cars. Techniquement, la TC se distingue par son ABS Teves, ses amortisseurs Fitchel & Sachs, ses roues Fondmetal (fournisseurs de roues pour la F1) et l’un de ses moteurs. Les versions manuelles (avec une boîte Getrag à 5 rapports) ont droit à un bloc développé par Maserati sur la base du 4 cylindres Chrysler turbo de 2,2 litres. Les Italiens ont conçu de nouvelles culasses 16 soupapes (qui seront fabriquées chez Cosworth en Angleterre) ainsi que de nouveaux collecteurs, pistons et vilebrequin. Le résultat produit 200 chevaux et 220 lb-pi de couple. Ceux qui voudront une boîte automatique se retrouveront par contre avec une variante dégonflée à 160 chevaux du moteur « Turbo II » Chrysler avec une transmission A413 à 3 rapports. 

Photo: Chrysler

L’intérieur de cette stricte deux places est tendu de cuir souple et reçoit du bois. On observe de nombreux composants Chrysler, toutefois, certaines touches - comme la montre analogique dorée au centre de la planche de bord - rappellent la filiation avec Maserati. La capote est électrique et un toit rigide amovible (avec une vitre ronde directement inspirée de la Thunderbird 1956) sera livré de série.

La TC sera fabriquée à l’usine Innocenti de Lambrate, dans la banlieue de Milan, et les premiers véhicules sont censés arriver sur les marchés américains et canadiens au printemps 1987. On parle alors de ventes de 5 000, voire 10 000, exemplaires par année chez 300 concessionnaires triés sur le volet. Chrysler semble avoir été satisfait du développement de l’auto puisqu’il a porté sa participation dans Maserati à 15,6% en mai 1986 (avec des options sur titres   pour prendre une part majoritaire de 51% d’ici 1995).

L’orage

Seulement voilà, le temps passe et toujours pas de TC by Maserati chez les concessionnaires. La production n’arrive pas à démarrer à Lambrate. La tension monte entre les équipes italiennes et américaines pour ce qui est du contrôle de qualité et de plusieurs détails de finition. Le TC reçoit de nombreuses modifications (notamment la planche de bord où la montre Maserati disparaît). La presse l’appelle « Tomorrow’s Car » (la voiture pour demain) et le magazine Automotive News la nomme son « Flop de l’année » pour 1988.

Les premières autos arrivent finalement - avec près de deux ans de retard - en décembre 1988 pour le millésime 1989, et uniquement en Californie pour commencer. Elles sont proposées au prix de 30 000 dollars US (33 000 dans les trois mois qui suivent). Elles sont à peu près bien équipées : air conditionné, sièges électriques, volant inclinable, système audio Infinity à 10 haut-parleurs à cassette (le lecteur CD est en option) et un parapluie (placé dans le compartiment derrière les sièges). En revanche, en termes de performances et de tenue de route, on est loin, très loin, des concurrentes : Mercedes SL, Jaguar XJ-S ou même Cadillac Allanté. Et puis, il y a la qualité de finition et la fiabilité qui sont… disons… aléatoires. Ce que certains soupçonnaient depuis un temps se confirme : Iacocca a perdu son flair. Dans son édition 1989, le Guide de l’auto fait quant à lui une prédiction : « Nous pouvons affirmer dès maintenant que ce sera un flop monumental ». Et si ce n’était que ça… 

Photo: Chrysler

Concurrence interne

La plus grosse balle tirée dans le pied de la TC by Maserati vient de chez… Chrysler, sous la forme des coupés et cabriolets LeBaron, restylés pour le millésime 1987. Le plan initial était de lancer la TC en premier puis les LeBaron, qui bénéficieraient alors de l’effet d’image de la TC. Mais le projet a tellement pris de retard du côté de Maserati que les LeBaron sont arrivées sur le marché en premier. D’une allure similaire, elles offraient 4 places, des moteurs turbo, un bon équipement, le tout pour seulement 13 995 $ US.

Les acheteurs ne s’y sont pas trompés : en 1989, la TC n’a été vendue qu’à 3 764 exemplaires (en comparaison, Cadillac écoulait 3 296 Allanté la même année , voiture pourtant vendue près de deux fois plus cher, alors que Chrysler commercialisait 37 489 LeBaron cabriolets). Au Canada, la situation est simple : Chrysler n’a tout bonnement pas dénié vendre la TC officiellement (quelques autos traverseront cependant la frontière). On sent l’enthousiasme…

Le millésime 1990 apporte un lot limité de changements : le 4 cylindres Turbo II automatique est remplacé par un V6 3,0 litres de 141 chevaux fourni par Mitsubishi et accouplé à une boîte automatique à 4 rapports A604, le volant reçoit une finition en bois et un coussin gonflable alors que de nouvelles couleurs sont introduites. Le prix passe à 35 000 dollars. Logiquement, les clients ne se pressent pas aux portes des concessionnaires : 1 900 ventes. 

Photo: Chrysler

La tempête

Dès 1989, rien ne va plus entre les deux partenaires. Tous les projets de développement sont stoppés (dont celui d’une berline V6) et un nouveau contrat stipule que Chrysler arrêtera de prendre livraison des TC après la production du 7 300e exemplaire. Logiquement, on ne note pas de changements pour 1991 (à part le prix qui grimpe à 37 000 $) et Chrysler arrive de peine et de misère à écouler les 1 636 derniers cabriolets. On estime que seulement 500 véhicules auront reçu le moteur Maserati avec la boîte manuelle.

Chrysler revendra ses parts dans Maserati (au même moment, Fiat rentrera dans le capital de la marque italienne). Iacocca dira que c’est la pire transaction qu’il ait jamais faite (ce qui reste à prouver…). De Tomaso sera furieux et les deux hommes seront à tout jamais fâchés. Plus tard, Bob Lutz, qui était alors numéro 2 chez Chrysler, expliquera qu’une fois les comptes faits, la TC aura coûté à Chrysler la bagatelle de 600 millions de dollars. Ce qui veut dire que la compagnie a perdu en moyenne 82 191 dollars pour chaque véhicule vendu autour de 35 000 dollars. Finalement, on sait ce que signifie TC : Trop Coûteuse !

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