«Marges exagérées»: des détaillants d'essence s'en mettent plein les poches dans plusieurs régions

Publié le 14 septembre 2022 dans Actualité par Journal de Montréal

Par Martin Jolicoeur

Les propriétaires de stations-service de la plupart des régions du Québec, hors de la grande région de Montréal, s’en mettent plein les poches avec des marges que CAA-Québec n’hésite plus à qualifier d’«exagérées».

L’organisme de défense des automobilistes évite d’employer le mot collusion. Néanmoins, il dit observer un «phénomène nouveau» par lequel les prix de l’essence vendue dans la plupart des régions de la province dépassent maintenant ceux de la région métropolitaine.

«C’est un phénomène qu’on a commencé à observer en avril, et qui ne s’est pas résorbé depuis, déplore le porte-parole de CAA-Québec, David Marcille. La situation surprend d’autant, que la métropole impose des taxes sur le transport collectif qu’on ne retrouve pas ailleurs. Malgré tout, les prix en région sont souvent plus élevés qu’en ville.»

Par région, CAA comprend bien sûr les régions dites éloignées comme la Côte-Nord et l’Abitibi par exemple ; mais également des régions plus rapprochées, comme l’Estrie, la Mauricie et Québec. Partout, le constat est le même : le prix à la pompe tend maintenant à dépasser celui de Montréal.

Photo: Martin Chevalier / JdeM

Des marges gonflées

À court d’explication, son représentant dit que seules la «gourmandise des stations-service» et les «marges exagérées» qu’elles choisissent d’imposer aux consommateurs peuvent expliquer les écarts de prix à la pompe observés, et qui demeurent malgré la chute qu’ont connus les cours du baril de pétrole depuis.

CAA estime que la marge au détail (laquelle comprend les frais d’exploitation – de 4,4 à 5,5 cents le litre – établis par la Régie de l’énergie) devrait normalement avoisiner les 9 cents le litre en moyenne. 

Or, selon ses observations, les détaillants de régions appliqueraient depuis le printemps des marges moyennes de plus de 15 ou 16 cents le litre, soit bien au-delà de ce que CAA jugerait raisonnable. 

«À Québec, une ville qui ne manque pourtant pas d’achalandage pendant l’été, on a même vu des marges de 20 cents le litre, ce qui nous paraît [tout à fait] exagéré», affirme son porte-parole.

Spécialiste des questions d’énergie, le professeur invité du Département de science économique de l’Université d’Ottawa, Jean-Thomas Bernard, peine aussi à expliquer ce phénomène. Une chose est sûre, précise-t-il, le conflit en Ukraine ou une quelconque perturbation des activités logistiques mondiales ne sont ici aucunement en cause.

De tout temps et partout en Amérique, insiste-t-il, les prix de l’essence ont été plus élevés en ville qu’en région, en raison notamment des coûts d’exploitation qui y sont plus élevés.

Cas unique au pays

«C’est tout à fait inhabituel comme situation. Vraiment, sur ce point, le cas du Québec me semble assez unique par rapport à ce qu’on voit ailleurs au Canada.»

Jusqu’à présent, Québec s’est toujours refusé de réglementer le prix de l’essence, estimant que la libre concurrence entre détaillants suffisait à protéger les automobilistes de hausses déraisonnables des stations-service.

Le problème, affirme M. Marcille de CAA-Québec, est que les régions ne profitent pas toutes de la «saine concurrence» que l’on souhaiterait. Ce dernier évoque par exemple le cas de régions où des détaillants se contenteraient de leur part de marché, sans chercher à s’attaquer, par des baisses de prix, à celle de ses concurrents. 

La représentante de l’Association des distributeurs d’énergie du Québec, Sonia Marcotte, estime pour sa part que la hausse du salaire minimum et l’augmentation des frais imposés par les sociétés de cartes de crédit pourraient justifier cette tentative des détaillants d’accroître leurs marges. 

Dénonciation encouragée

Joint à Ottawa, le Bureau de la concurrence ne peut divulguer la nature de ses enquêtes et des plaintes reçues. Cela dit, «la lutte contre les comportements anticoncurrentiels dans le secteur de l’essence est une priorité», a ajouté sa porte-parole.

Depuis 2008, à la suite d’une enquête menée à Magog, Sherbrooke, Thetford Mines et Victoriaville, un total de 33 individus et 12 entreprises ont été reconnus coupables d’avoir fixé les prix de l’essence dans plusieurs marchés et ont été condamnés à 6 millions $ d’amendes. De plus, six personnes ont reçu des peines d’emprisonnement totalisant 54 mois et un total de 300 heures de travaux communautaires.

MARGE AU DÉTAIL(1) MOYENNE SUR L’ESSENCE CES 52 DERNIÈRES SEMAINES(2)

(1) Incluant les taxes à la consommation.

(2) Prix de l’essence ordinaire affichés dans les plus grandes agglomérations de chacune des régions du Québec. Établis sur la base des données de Oil Price Information Service (OPIS). Source : CAA-Québec, en date du 13 septembre 2022

En vidéo : les habitudes à prendre pour réduire la consommation d’essence

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