Les origines de la Mustang Shelby

Publié le 12 décembre 2022 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Les Mustang de Carroll Shelby sont parmi les plus chères et les plus recherchées et ont participé à forger la légende du fermier devenu champion de course. Pourtant, au début, il était réticent à se lancer dans l’aventure.

Avant de devenir pilote de course professionnel en 1952, Carroll Shelby a exercé toutes sortes de métiers, y compris éleveur de poulets. Son plus haut fait d’armes en compétition restera sa victoire aux 24 heures du Mans de 1959 sur une Aston Martin DBR1 (avec l’Anglais Roy Salvadori). Malheureusement, des problèmes cardiaques (qu’il traîne depuis l’enfance) l’obligent à abandonner la compétition en octobre 1960. Mais ne croyez pas que cela va l’arrêter pour autant! S’il ne peut plus courir, il va produire des voitures de course. Il a dans la tête une auto combinant la légèreté des châssis européens avec la puissance des V8 américains. Après de nombreuses démarches, il parvient à convaincre le fabricant anglais AC de lui fournir des caisses et Ford de lui fournir des moteurs. En 1962, il fonde Shelby American et devient constructeur automobile. La légende de l’AC Cobra était en marche!

On appelle qui?

Avance rapide jusqu’en 1964. Le 17 avril, Ford vient de lancer un modèle qui va causer une sérieuse agitation dans le monde de l’automobile : la Mustang. Son père spirituel, Lee Iacocca, président de Ford, sait que pour assurer un succès à long terme, il faut la doter d’un palmarès en course. À ses débuts, la Mustang n’a pas grand-chose pour briller sur les circuits. Il ne faut pas oublier que ses soubassements sont ceux de la Falcon, destinée à transporter 6 personnes d’un point A à un point B le plus économiquement possible. Ford contacte le SCCA (Sport Car Club of America) pour discuter des modifications à apporter afin de faire homologuer la Mustang pour la série de production classe B. Le club explique à Ford que la Mustang n’est pas une voiture de sport et ferme gentiment la porte. Que faire?

Pourquoi ne pas appeler Carroll Shelby? C’est ce que fait Iacocca en juillet 1964. Après tout, les deux sont amis. C’est Iacocca lui-même qui a aidé Shelby à obtenir les moteurs pour sa Cobra. Iacocca explique la situation et Shelby aurait répondu : « Donc, vous voulez que je fasse un cheval de course à partir d’une mule ? ». Ce dernier hésite, car il en a déjà plein les bras avec la fabrication de la Cobra et le programme de course de la Cobra Daytona (il n’est à ce moment-là pas encore impliqué dans le programme des GT40 du Mans). Mais il sait qu’il ne peut pas dire non au patron de Ford et, en bon homme d’affaires avisé, il se dit qu’il doit y avoir quelques dollars à se faire. Il accepte.

Shelby appelle alors John Bishop, directeur général du SCCA, et se montre apparemment fort persuasif puisqu’il arrive à obtenir du club une liste de demandes afin d’homologuer la Mustang en classe B pour la saison 1965 : monter la puissance à au moins 300 chevaux, installer tous les équipements de sécurité, supprimer la banquette arrière et produire au minimum 100 exemplaires pour les clients avant la fin de l’année. Iacocca approuve le projet sous le nom de « Cobra Mustang ».

Photo: Shelby American

Modifications intensives

Immédiatement, Ken Miles et Bob Bondurant se mettent au travail sur la piste de Willow Springs pour trouver les modifications qui feront de la Mustang un vrai cheval de course. C’est Chuck Cantwell qui sera l’ingénieur en chef du projet. L’essentiel de la mise au point porte sur les suspensions et le freinage. Une fois que les spécifications de base sont établies, 100 voitures sont réservées sur la ligne de production de l’usine de San José, en Californie. Ce sont toutes des fastback blanches avec un intérieur noir. Elles sont livrées dans les ateliers de Shelby, à Venice Beach, sans capot, badges d’identification, sièges arrière ni pot d’échappement. Par contre, Shelby a pris soin de faire installer dès la fabrication des autos un différentiel Detroit Locker à glissement limité dans les ponts arrière de 9 pouces, une boîte de vitesses Borg-Warner T10 à 4 rapports rapprochés, des disques de frein de 9,5 pouces à l’avant et les freins à tambour renforcés des Ford familiales ainsi que des barres antirapprochement dans le compartiment moteur qui sont normalement utilisées pour les Mustang destinées à l’export.

Photo: Shelby American

Chez Shelby, les autos reçoivent des bras de suspension modifiés qui entraînent l’abaissement du train avant, des barres antiroulis deux fois plus épaisses, des barres de traction à l’arrière et des amortisseurs Koni ajustables aux quatre coins. Les roues de 15 pouces en acier Kelsey-Hayes (qui peuvent être changées pour des jantes en aluminium Cragar contre supplément) supportent des Goodyear Blue Dots, homologués pour 130 mph (210 km/h). À l’intérieur, le volant Cobra de 16 pouces a un anneau en bois, un bloc d’instruments est ajouté (compte-tours et manomètre de pression d’huile Delco avec logo CS exclusif), la roue de secours est installée sur un support recouvert de fibre de verre, là où était la banquette arrière. Côté moteur, le V8 289 pc (4,7 litres) HiPo ne reçoit pas de modifications internes. Par contre, il a droit à un carburateur 4 corps Holley 715 cfm  monté sur un collecteur d’admission en aluminium, des couvre-culasses en aluminium, un carter d’huile plus large et des collecteurs d’échappement tubulaires avec silencieux Glaspack et sortie juste en avant des roues arrière. Ces modifications suffisent à faire passer la puissance de 271 à 306 chevaux, comme exigé par le SCCA. Le reste des changements comprend un capot en fibre de verre avec goupilles de verrouillage, le déplacement de la batterie vers le coffre arrière (pour les 300 premières autos seulement, les propriétaires se plaindront de vapeurs et de traces de corrosion), une nouvelle grille avant avec logo Mustang et les bandes bleues sur les bas de caisse avec le logo « G.T.350 » dessinées  par Pete Brock (pour les bandes larges sur le haut de la carrosserie, il fallait payer un supplément). Avec tout cela, vous obtenez une véritable voiture de course pour la route. Mais que se passe-t-il si vous voulez une véritable voiture de course pour la course?

Photo: Shelby American

La version ++

Évidemment, Shelby développe une Mustang de compétition, c’est son objectif. Dans ce but, les voitures livrées depuis l’usine de San José sont encore plus dénudées (pas d’isolant phonique, de réservoir d’essence, de panneaux de porte, de ciel de toit, de vitres sur les côtés et à l’arrière, de chauffage ni de tapis). Extérieurement, l’avant reçoit un bloc en fibre de verre qui remplace le pare-chocs afin d’améliorer le refroidissement des freins et du moteur, le pare-chocs arrière est supprimé, les vitres sont en plexiglas, les aérations du montant arrière sont recouvertes, les roues sont des American Racing en magnésium de 15 pouces et le passage de roue arrière est élargi. À l’intérieur, Shelby installe des sièges baquets avec harnais de compétition, une instrumentation complète à 6 cadrans et un arceau de sécurité. Dans le coffre, on retrouve un réservoir d’essence de 34 gallons. Enfin, le moteur est cette fois-ci démonté. Les têtes sont polies, les composants sont balancés. Un nouvel arbre à cames, un nouveau carter d’huile (imposant une nouvelle barre antiroulis), un nouveau radiateur, un refroidisseur d’huile, une nouvelle pompe à essence et un échappement libre sont installés. Chaque moteur est passé sur le dynamomètre et délivre entre 350 et 360 chevaux. De plus, chaque modèle complété est testé par des pilotes de Shelby American sur le circuit de Willow Springs avant livraison.

Photo: Shelby American

Un succès immédiat!

Les 100 voitures sont prêtes comme convenu avant la fin de l’année et le SCCA homologue les Mustang pour la saison 1965. Il reste à trouver un nom. Iacocca aime bien Cobra Mustang mais Shelby n’est pas chaud et ne veut pas de confusion entre les programmes. Après d’infructueuses recherches, Shelby demande à l’un de ses employés de traverser la rue et de compter ses pas jusqu’à l’immeuble d’en face. Il revient avec une distance de 350 pieds. Ce sera la GT350! Quant aux versions de course, elles s’appelleront simplement GT350-R, pour racing.

Les autos sont présentées au public le 27 janvier 1965. Les prix sont conséquents : 4 547 USD pour une GT350 contre 2 589 pour une Mustang fastback de base. Quant aux GT350-R, elles coûtent au moins 6 500 USD. Quelques jours après, le 14 février 1965, Ken Miles effectue sa première course avec une GT350-R sur le circuit de Green Valley. Il gagne! Et ce n’est que la première d’une longue liste de victoires. À la fin de la saison, Shelby met un terme à 8 années consécutives de domination de la Chevrolet Corvette en série de production classe B.

Au début, Shelby était sceptique quant au potentiel commercial de l’auto : arriverait-il à vendre  les 100 modèles d’homologation? Entre l’accueil enthousiaste de la presse et le bouche-à-oreille des clients, la demande explose. Heureusement, Shelby American avait déménagé dans une plus grande usine sur le site de l’aéroport de Los Angeles en mars 1965. Finalement, la compagnie produira jusqu’en juillet 1965 506 versions de rue, 33 versions R, 4 modèles dédiés au drag et 19 prototypes divers pour un total de 562 véhicules (chiffres fournis par le Shelby American Automobile Club). La légende des Mustang Shelby était née!

Rapidement, le modèle 1966 entre en développement. Mais suite aux demandes des acheteurs, ce seront des autos déjà nettement moins radicales (retour de la banquette arrière, apparition d’autres couleurs que le blanc, boîte automatique en option, arrêt de l’abaissement du train avant, passage du différentiel Detroit Locker à la liste des options…). Le projet commence alors à moins intéresser Carroll Shelby, dont le cœur ne semble battre que pour la compétition. Comme les 24 heures du Mans par exemple…

En vidéo: notre essai de la Ford Mustang Shelby GT350

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