Saleen S7 : le septième ciel… ou pas!

Publié le 23 décembre 2022 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Au début des années 2000, la Saleen S7 était partout : dans les films hollywoodiens, en couverture des plus grands magazines automobiles et puis… plus rien. Que s’est-il passé?

Steve Saleen a eu la piqûre de la compétition automobile à la fin des années 60, d’abord avec des Porsche puis avec des Ford Mustang. Il gagne sa première course en 1973, à Riverside en Californie. En 1977, il démarre en Formule Atlantic avant de courir contre Gilles Villeneuve en série Pro Atlantic en 1979. C’est en 1983 qu’il fonde Saleen Autosport (qui deviendra Saleen Inc.) dans le but de préparer des Mustang.

Le moment  est propice puisque le V8 de 5,0 litres de la Mustang retrouve des chevaux après des années difficiles (la fameuse malaise era ). Les premières autos sont complétées en 1984. À partir de là, Saleen livre plusieurs centaines de véhicules par année tout en maintenant une présence en compétition. Au fil des années, la compagnie se diversifie avec d’autres produits Ford (notamment des utilitaires) et se spécialise dans les compresseurs. En 1995, Steve Saleen fonde avec Bob Bondurant et le comédien Tim Allen l’écurie de course RRR Speedlab. Entre 1999 et 2009, Saleen vend plus de 9 500 Mustang modifiées par ses soins.

La filière anglaise

À la fin des années 90, et après avoir constaté la difficulté de modifier lourdement un véhicule déjà existant (voir la Saleen SR sur base de Mustang), Steve Saleen se dit que l’étape suivante est logiquement le développement de son propre modèle.

Photo: Saleen

Il se tourne vers la société RML pour la conception du châssis, des suspensions et de l’optimisation de l’aérodynamisme. Basée en Angleterre, RML est au départ une écurie de course fondée par le pilote Ray Mallock en 1979 avant de devenir une compagnie d’ingénierie capable de produire des véhicules de course, des prototypes ou bien des véhicules concepts (c’est elle qui a fabriqué le Nissan Juke-R).

RML a notamment conçu et fait courir l’Aston Martin AMR-1 à la fin des années 80 et au début des années 90 ainsi que plusieurs autos de BTCC et WTCC. RML développe un châssis tubulaire en acier avec des panneaux d’aluminium en nid d’abeille (un choix guidé, entre autres, pour la facilité de réparation). Mallock travaille l’aérodynamique avec des modèles à l’échelle testés dans la soufflerie de l’Université de Glasgow, en Écosse, et s’intéresse particulièrement à ce qu’il se passe sous la voiture. Il paraît que la S7 est capable de générer son propre poids en appui passé les 250 km/h. C’est Phil Frank, designer industriel et collaborateur régulier de Saleen, qui signe les lignes du véhicule. Les nombreuses entrées d’air sont fonctionnelles et servent soit au refroidissement soit à améliorer la traînée dans l’air. Quant au moteur, s’il reprend globalement l’architecture du V8 Ford Windsor, il s’agit d’une conception interne à Saleen, réalisée par Bill Tally, et issue de l’expérience de plusieurs années en compétition.

Une brute bien américaine

La Saleen S7 est dévoilée aux Courses historiques de Monterey, en Californie, le 19 août 2000 (dans le cadre de la Monterey Car Week, qui inclut aussi le concours d’élégance de Pebble Beach). Le maître de cérémonie était, bien évidemment, Tim Allen. La S7 a des proportions imposantes : large (1,99 m), basse (1,04 m) et longue (4,77 m). Bien que seule la carrosserie soit en fibre de carbone, le poids est relativement bien maintenu (1 300 kg, avec une répartition AV/AR de 40%/60%).

Photo: Saleen

Le moteur de 7,0 litres (427 pc pour les amateurs de Ford) à deux soupapes par cylindre développe 550 chevaux et 525 lb-pi de couple avec une ligne rouge à 7 000 tr/min. Il est couplé à une boîte manuelle à 6 rapports avec un différentiel à glissement limité à l’arrière. Le tout repose sur des pneus Pirelli P-Zero Rossa en 19 pouces dissimulant des étriers de frein Brembo. À l’intérieur, le conducteur est légèrement décalé vers la droite pour améliorer la répartition des poids. Il y a du cuir Connolly partout et on retrouve une caméra de recul, absolument indispensable, et l’air conditionné. Il y a aussi deux petits compartiments pour des bagages. Et le plus important? Le magazine Road & Track réalisera le 0 à 60 mph en 3,3 secondes, le 0 à 100 mph en 8,9 secondes, le quart de mille en 11,8 secondes avec une vitesse de pointe « estimée » à 355 km/h.

Au lancement, Saleen est extrêmement optimiste pour sa S7. La production envisagée est de 300 à 400 exemplaires sur 4 ans. Les autos sont vendues à travers des concessionnaires Ford ou bien des revendeurs spécialisés en voitures exotiques, tous certifiés par Saleen. Le prix requis est de 375 000 USD (pour comparaison, une Ferrari F50 était facturée 487 000 USD en 1997). La presse apprécie la démarche de Saleen (une bagnole américaine capable d’aller marcher sur les plates-bandes de Ferrari et Lamborghini), l’esthétique, les performances mais trouve l’auto difficile au quotidien (embrayage qui demande un dosage délicat, commande de boîte de vitesses virile, pas de freins ABS, intérieur bruyant…). Car la S7 n’est ni plus ni moins qu’une voiture de course en habits de rue. En 2003, la S7 obtient un rôle de choix dans la comédie Bruce Almighty (Bruce le tout-puissant) avec Jim Carrey (elle sera aussi aperçue dans Iron Man en 2008).

Photo: Saleen

Évidemment, une variante de course (baptisée S7-R) est développée en parallèle de la version de rue. Le moteur, une fois les restrictions enlevées, délivre jusqu’à 760 chevaux. L’auto fait ses débuts en 2001 aux 24 heures de Daytona. Au fil des années, elle se taille un palmarès modeste avec, pour apogée, une victoire de classe en LMGT1 aux 24 Heures du Mans 2010 (13e place au classement général).

Mais tout cela ne suffit pas à faire décoller les ventes. Pour l’année 2001, 7 voitures de série et 7 versions R sont produites (chiffres fournis par le Saleen Owners and Enthousiasts Club, Saleen reste normalement très discrète sur ses volumes de production). Aucune S7 n’est fabriquée en 2002. L’année 2003 voit la construction de 15 versions de rue et 3 de course. En 2004, seuls 8 modèles de série sont assemblés. On est très loin des espérances initiales. Et ça ne va pas s’arranger…

Le souffle des turbos

Le millésime 2005 est source d’espoir pour la compagnie avec la présentation de la TT, pour Twin Turbo. Gavé par deux turbocompresseurs Garrett soufflant à 5,5 psi, le moteur voit sa puissance passer à 750 chevaux et le couple à 700 lb-pi.

Photo: Saleen

L’aérodynamique est revue pour offrir 40% de réduction sur la traînée et 60% en plus d’appui avec un nouvel aileron et un nouveau diffuseur. Les performances sont évidemment à la hausse. Le magazine, Car and Driver réalise en avril 2006 le 0 à 60 mph en 3,4 secondes (le magazine reconnaît que les 3 secondes sont atteignables avec une surface ayant une meilleure adhérence), le 0 à 100 mph en 6,2 secondes et le quart de mille en 10,9 secondes à 140 mph (225 km/h) alors que la vitesse de pointe est estimée à 400 km/h. Le prix est passé à ce moment à 585 000 USD. L’intérêt du public remonte… un peu.

En 2005, 17 S7 sont construites et 13 en 2006 (auxquelles il faut rajouter 1 S7-R en 2005, 2 en 2006 et 1 en 2007). Pour le millésime 2006, un « competition package » est proposé en option : un moteur développant 1 000 chevaux et des suspensions revues. On ne sait pas exactement combien de voitures l’ont reçu.

La fin de la production est annoncée en 2009 mais le club SOEC ne recense aucun nouveau véhicule après 2006. On compte ainsi au total 30 versions atmosphériques, 30 TT et 15 S7-R. Il faut dire qu’entre-temps, la compétition s’est fortement musclée. Des compagnies comme Pagani et Koenigsegg ont acquis leurs lettres de noblesse alors que Ferrari a lancé l’Enzo en 2002 et Bugatti la Veyron en 2005.

Photo: Saleen

Déboires en série

Par ailleurs, en interne, les choses ne vont pas bien non plus. Saleen a été rachetée en 2003 par la société d’investissement Hancock Park Associates. La relation entre les investisseurs et Steve Saleen dégénère rapidement au point que ce dernier démissionne de la compagnie qu’il a fondée au printemps 2007. Il crée le préparateur SMS (il n’a plus le droit d’utiliser son nom comme marque) moins d’un an plus tard. En 2009, Saleen est revendue. La crise économique de 2008 est passée par là. La société se porte mal et, en 2011, elle cesse la production de voitures pour se concentrer sur les pièces. Finalement, Steve Saleen arrive à reprendre les rênes de l’entreprise en 2012 et combine son activité avec celle de SMS. La production de modèles Saleen redémarre, mais à moindre échelle.

La compagnie connaît encore des difficultés en 2014, mais une entente avec des investisseurs chinois de la ville de Rugao fait miroiter à Steve Saleen de nouveaux débouchés en Asie. Une usine est ouverte en Chine en 2018. En juillet 2019, Steve Saleen présente ses projets dans un stade de Beijing . À peine un an après, l’aventure tournait court avec une descente de police dans l’usine chinoise et des procès de toutes sortes. Quant à la S7, Saleen avait dévoilé une version LM de 1300 chevaux en 2017 (puissance montée à 1 500 chevaux en 2019) avec une aérodynamique modifiée. On sait qu’une poignée de S7 existantes ont été converties en LM, mais le reste est extrêmement flou. Comme tout ce qu’il s’est passé chez Saleen ces dernières années…

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