Ford Escort RS Cosworth : l’aile du désir
Même si elle n’a jamais été vendue ici, l’Escort RS Cosworth aura fait rêver bien du monde, que ce soit dans les magazines automobiles, sur les images de rallye ou bien dans le jeu vidéo Gran Turismo. Retour sur un modèle mythique qui fête ses 30 ans.
Si nous avons connu l’Escort en Amérique du Nord de 1981 à 2003, ce nom était utilisé en Europe depuis longtemps. Il apparaît pour la première fois en 1956 sur une variante familiale de l’Anglia 100E. L’Escort devient une gamme à part entière au millésime 1968 en étant la première auto développée par Ford Europe (auparavant, Ford Allemagne et Ford Angleterre avaient des gammes séparées). Elle est à l’époque une propulsion et commence à gagner une sérieuse crédibilité en rallye avec des versions comme la RS 1600 (1970) et la RS 2000 (1972).
- À lire aussi: Ford F-150 SVT Lightning : quand Lightning ne rimait pas avec électrique
- À lire aussi: Vous souvenez-vous de la… Ford Mustang SVO?
Le restylage de 1974 apporte une carrosserie plus anguleuse mais les dessous restent sensiblement les mêmes. La RS 2000 continue tandis que la RS 1800 sera couronnée championne du monde des rallyes en 1979 avec Björn Waldegård à son volant. L’Escort passe à la traction avant en 1981, mais cela n’empêchera pas le développement de variantes sportives : la RS 1700T, arrivée trop tard et tuée dans l’œuf pour la course, ou les RS 1600i et RS Turbo pour la route.
Le sorcier Anglais
Avec l’avènement des 4 roues motrices en Groupe B (Audi Quattro, Peugeot 205 T16, Lancia Delta S4), Ford crée la RS200… qui n’aura pas vraiment le temps d’être complètement développée à cause de l’arrêt brutal du Groupe B à la fin de la saison 1986. Pour les autos du Groupe A, plus proches des véhicules de production, Ford se tourne vers la Sierra, une propulsion présentée en 1982 et que nous avons connue ici sous le nom de Merkur XR4Ti. Le célèbre motoriste Cosworth, fondé en 1958 par Frank Costin et Mike Duckworth (d’où le Cos-Worth), se charge d’en concevoir la motorisation pour la compétition : un 4-cylindres 2 litres turbo de 204 chevaux… avant préparation.
D’abord proposée en version 2 portes au millésime 1986, elle passe en 4 portes en 1988 puis à la traction intégrale en 1990. Si la Sierra a un joli palmarès en rallyes (comme le Tour de Corse en 1988), c’est surtout sur circuit qu’elle va s’illustrer, notamment en DTM en remportant le championnat 1988. Parce qu’en rallye, la concurrence est rude! Elle s’appelle Lancia Delta HF et elle va monopoliser les titres mondiaux sous ses différentes moutures (4WD puis Integrale) de 1987 à 1992. Chez Ford, ça ne passe pas…
Sortez la machine à souder!
En cet été 1988, la direction de Ford Motorsport, responsable de la compétition en Europe, est face à un problème. Avant même que la Sierra RS Cosworth ne reçoive 4 roues motrices, elle sait qu’il faudra développer un nouveau modèle pour battre la Lancia. La difficulté, c’est que la remplaçante de la Sierra, la future Mondeo de 1993, passe à la traction. La quatrième génération d’Escort doit être lancée en 1990 mais elle est, elle aussi, une traction avant, avec une architecture non conçue pour supporter 4 roues motrices. Les ingénieurs ont l’idée folle de prendre une carrosserie d’Escort MK III et de simplement la souder sur un châssis de Sierra raccourci. Et ça marche! Plus courte, avec un empattement réduit, l’auto est nettement plus agile.
Après la preuve du concept, il reste maintenant à convaincre la direction de Ford, en Europe d’abord puis aux États-Unis, qui trouve initialement la proposition purement loufoque. En septembre 1990, juste avant la présentation de l’Escort MK IV, un prototype est entré dans un rallye espagnol qui accepte tous les types de véhicules. C’est une victoire. Ford montrera des publicités avec le slogan : First time out. First (Première sortie. Première).
Le projet, dirigé par John Wheeler, a finalement été entériné en interne. C’est le groupe SVE (Special Vehicle Engineering) qui effectue l’ingénierie. Afin de rendre le programme économiquement viable, il est pris la décision d’assurer la production à l’extérieur. Le carrossier allemand Karmann se chargera de la fabrication.
Transformation radicale!
Imaginez un instant les modifications qu’un châssis de traction avant à moteur transversal doit subir pour passer en 4 roues motrices avec un moteur longitudinal! Le berceau moteur, les soubassements, tout est changé! Pour que toute la mécanique rentre, l’empattement augmente de 2,52 mètres sur une version normale à 2,55 mètres sur la Cosworth. Ce qui implique de modifier la carrosserie. Sans compter que les ailes doivent être élargies pour accueillir les Pirelli P Zero en 225/45ZR16.
La longueur totale de la Cosworth est en hausse de 17 centimètres passant à 4,21 mètres. Cela reste néanmoins en deçà des 4,49 mètres d’une Sierra, ce qui était quand même le but initial. En définitive, peu de panneaux de carrosserie sont interchangeables avec une Escort de base. Pour en finir avec l’extérieur, il faut maintenant parler des ailerons arrière.
La Sierra XR4i de 1982 avait déjà introduit l’idée d’un double aileron : un sur le coffre et un monté au milieu du hayon. À peine sorti de l’école de design, le jeune Frank Stephenson (qui s’illustrera plus tard en signant, entre autres, les lignes des BMW X5, Fiat 500 2008, Ferrari F430 ou McLaren 720S… excusez du peu!) suggère un triple aileron! Les comptables réussiront à supprimer celui du milieu pour des raisons de coûts. Fabriqué dans un nouveau matériau plus léger, ce double aileron parvient à coller efficacement l’Escort sur la chaussée. Le Cx passe, quant à lui, de 0,34 sur un modèle de série à 0,38.
Épicé ou extra-épicé?
Au sujet de la partie mécanique, tout provient directement de la Sierra RS Cosworth 4x4. Enfin presque…L’ensemble transmission demeure inchangé : boîte 5 rapports MT75, différentiel central planétaire avec coupleur visqueux Ferguson assurant une répartition fixe du couple entre l’avant et l’arrière de 34%/66%, différentiel arrière à glissement limité avec viscocoupleur. En revanche, les suspensions sont revues. Les ressorts sont durcis de 10% à l’avant et de 20% à l’arrière tandis que la barre antiroulis arrière passe de 18 mm sur la Sierra à 22 mm (l’avant reste à 28 mm). Quant au moteur, les modifications peuvent paraître subtiles de l’extérieur, mais elles sont significatives.
Pour les comprendre, il faut revenir à la réglementation du Groupe A, alors en vigueur en Championnat du monde des rallyes. Pour pouvoir homologuer son véhicule, un constructeur doit en produire au moins 2 500 (à partir de 1993, contre 5 000 auparavant). C’est pour cela que Ford choisit de doter la mécanique de l’Escort de composants plus appropriés au rallye que celle de la Sierra. Le bloc moteur reste inchangé mais le turbo est un Garrett AirResearch T3/T04B qui souffle à 0,8 bar de pression avec un système de refroidissement double étage (air/air puis air/eau) tandis que l’injection est une Weber Marelli IAW P8.
L’ensemble, qui développe 220 chevaux et 214 lb-pi de couple, est bien adapté pour la course mais en conduite sur route, l’auto souffre d’un joli effet de « coup de pied au cul » : en dessous de 4 000 tr/min, il ne se passe pas grand-chose et au-dessus… accrochez-vous! Ce moteur prend la dénomination YBT et se reconnaît par sa culasse peinte en bleu.
Une fois les 2 500 premiers exemplaires produits, Ford revient à une configuration similaire à celle de la Sierra : turbo Garrett T25 plus petit, injection Ford EEC IV et système d’allumage revu. Plus civilisée et offrant davantage de souplesse à bas régime, elle est mieux adaptée à la conduite quotidienne tout en développant un peu plus de puissance (227 chevaux et 221 lb-pi). La version révisée prend le nom de YBP et se distingue par son couvre-culasse gris et noir.
Espoirs déçus
La production commence chez Karmann en février 1992 et les livraisons démarrent en Europe au printemps. Elle est offerte à la clientèle en deux déclinaisons : Motorsport, dépouillée, ou Standard, tout équipée. La planche de bord se distingue par ses trois cadrans additionnels : voltmètre, pression de turbo, pression d’huile. Dans son essai détaillé, le magazine Le Moniteur Automobile réalise le 0 à 100 km/h en 6,1 secondes, le 400 mètres départ arrêté en 14,4 secondes et obtient une vitesse maximale de 226 km/h. L’auto est encensée pour son comportement routier extrêmement efficace et son confort préservé.
Il faut attendre le 1er janvier 1993 pour que l’Escort RS Cosworth soit homologuée en Groupe A (justement pour atteindre les 2 500 exemplaires). L’auto avait été développée dans des rallyes locaux en 1991/1992 mais le premier événement d’importance auquel elle participe est le rallye de Monte-Carlo, en janvier 1993. Pilotée par François Delecour, elle en prendra momentanément la tête avant de s’incliner devant la Toyota Celica de Didier Auriol.
Première sortie. Première… confirmation du potentiel. Si l’Escort RS Cosworth se taillera un joli palmarès dans plusieurs pays et dans plusieurs formules, elle ne réussira cependant jamais à remporter un titre de championne du monde. La concurrence japonaise, Toyota, Subaru et Mitsubishi, était plus affûtée.
Cela dit, la « Cossie », comme ses amateurs l’appellent, connaîtra une assez belle carrière commerciale, dépassant les 2 500 exemplaires demandés pour l’homologation et même les 5 000 initialement prévus par Ford. Elle sera produite à 7 145 unités (3 448 en 1992, 1143 en 1993, 1180 en 1994, 1 306 en 1995 et 68 en 1996). La fabrication s’arrêtera en janvier 1996. La réglementation des rallyes changeait en 1997 et la remplaçante de l’Escort en Europe, la Focus, pointait le bout de son pare-chocs pour le millésime 1998. Si cette dernière a réussi là où l’Escort a échoué en remportant deux titres mondiaux (en 2006 et 2007), l’Escort RS Cosworth a davantage marqué les esprits par ses lignes sexy et outrancières. Des fois, tout commence par un gros bricolage sale…
Note de l'auteur : tous les chiffres et données techniques sont d’origine européenne.