Ford Skyliner 1957-59 : toit (littéralement) ouvrant
Souvenez-vous : au début des années 2000, le futur des cabriolets passait par le toit rigide rétractable. Cette technologie est aujourd’hui tombée en désamour. Cependant, ce n’était pas la première tentative, loin de là. Ford l’avait déjà expérimentée dans les années 50. Avec le même résultat et essentiellement pour les mêmes raisons. L’histoire est un éternel recommencement…
L’idée du toit rigide rétractable dans le coffre ne date pas d’hier. Les premiers essais ont eu lieu dans les années 20. Mais il faudra attendre les années 30 pour qu’un premier modèle soit proposé commercialement. Le système développé sous le nom d’Eclipse en 1933 par le Français Georges Paulin, dentiste devenu designer automobile, est installé sur des Peugeot 401 et 601 avant que la licence ne soit cédée à Peugeot pour sa 402. La marque française en produira près de 580 exemplaires entre 1935 et 1940.
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En octobre 1940, au Salon de l’auto de New York, Chrysler présente ses deux premiers véhicules concepts : la Newport et la Thunderbolt. Cette dernière est un coupé aux lignes épurées et aérodynamiques réalisé par le designer Alex Tremulis alors qu’il travaillait pour le carrossier Briggs (il collaborera ensuite avec Tucker et Ford, où il réalisera quelques concepts étonnants). L’auto se distingue par ses roues recouvertes, ses phares dissimulés et son toit en tôle rétractable électriquement dans le coffre. Cinq exemplaires seront construits à des fins d’exposition.
Une idée tombée du ciel
L’arrivée d’Henry Ford II à la tête de la compagnie de Dearborn sonne le début d’une nouvelle ère. Le succès des modèles 49 fait rentrer des fonds dans les coffres et Ford retrouve l’optimisme, voire de l’ambition. Parmi les innovations de la marque, il y a les coupés Skyliner, lancés pour le millésime 1954. Ils sont dotés d’une vitre en plexiglas d’une épaisseur de 1/4 de pouce située au-dessus des places avant. Elle est teintée en vert pour atténuer une partie des rayons solaires alors qu’une toile en nylon peut être installée à l’intérieur (par boutons-pression) pour la couvrir. Malgré cela, les Skyliner acquièrent rapidement la réputation de fours sur roues. Elles seront commercialisées jusqu’en 1956. Mercury aura droit à sa version (sous le nom de Sun Valley, vendue jusqu’en 1955) ainsi que Monarch et Meteor au Canada (uniquement pour 1954). Mais ce n’est pas la fin des Skyliner car, pendant ce temps, Ford travaille sur quelque chose de plus ambitieux qu’une simple vitre.
Tout commence par un concept à l’échelle 3/8e réalisé par Gil Spear, du studio de design avancé, début 1953. Baptisé Syrtis, il reçoit un toit rétractable « Roof-O-Matic ». Cette maquette impressionne le conseil d’administration, qui débloque 2,2 millions de dollars pour le développement du toit en série.
L’aiguilleur du ciel
Avec une rentabilité retrouvée, Ford se voit leader du marché américain. Parmi les pistes envisagées pour y arriver, il y a l’idée de faire revivre la Continental, produite de 1940 à 1948. Pour cela, l’équipe Special Product Operations (plus tard Special Products Division) est formée. Elle est dirigée par William Clay Ford, dit Bill, frère benjamin d’Henry Ford II. Le projet est mené en grand secret. Avec un prix de 9 966 USD, la Continental Mark II, qui sera présentée pour le millésime 1956, sera l’auto américaine la plus chère de l’histoire (titre qu’elle ne gardera qu’un an à cause du lancement de la Cadillac Eldorado Brougham en 1957). Après qu’une étude marketing ait révélé que les clients potentiels seraient prêts à débourser jusqu’à 2 500 dollars supplémentaires pour un toit rétractable, Bill Ford récupère le programme et les fonds pour « sa » Continental Mark II dans le but de déployer une gamme (une 4 portes était aussi prévue pour 1958). Le responsable du projet est John Hollowell. Il recrute à la division Fisher Body de General Motors un ingénieur spécialisé dans les toits hardtop et les cabriolets : Ben J. Smith. Smith est un ancien de chez Ford et il a également travaillé pour Nash. Le développement est tellement secret chez Ford que Smith accepte de changer d’employeur sans avoir les détails exacts de ce qu’il va faire.
Pour Smith, tout est à créer et il n’a que 18 mois. Il faut calculer les dimensions précises du toit et du coffre, déterminer la séquence complète des événements et fabriquer l’ensemble des mécanismes. Smith choisit rapidement un système électrique plutôt qu’hydraulique (il imagine les passagers couverts d’huile en cas de défaillance). Ensuite, il décide qu’il sera entièrement automatique, contrairement au système Peugeot qui requiert des verrouillages manuels.
Même s’il faut étirer les ailes arrière de 3 pouces, le toit est beaucoup trop long pour le coffre. Certains ingénieurs suggèrent de le couper en deux et de l’articuler au niveau du pilier C. Smith choisit plutôt une portion rabattable à l’avant, qu’il baptise « flipper ». La totalité du système requiert 7 moteurs électriques, chacun avec son coupe-circuit. Pour contrôler exactement la chorégraphie de l’ensemble, 10 capteurs de fin de course (qui doivent être précisément placés) et 10 relais de commande sont nécessaires. Le tout est relié par 186 mètres de fil électrique. Hollowell et Smith déposeront plusieurs brevets pour ce système (dont le US2860004 pour l’ensemble complet).
Remuer ciel et terre
Deux châssis de Lincoln 53 modifiés aux dimensions de la Mark II sont envoyés chez le carrossier Hess & Eisenhardt pour la construction de prototypes. Le premier sera complété et prendra le nom de XC-1500R (il sera détruit quelques années après) tandis que le second ne sera pas fabriqué. Lincoln recyclera ce châssis sur le concept Futura, qui deviendra plus tard la Batmobile.
Smith a rempli son contrat : il a livré un prototype fonctionnel en moins de 18 mois. Mais entretemps, l’enthousiasme pour le projet Mark II s’est considérablement refroidi chez Ford, probablement à cause des guerres intestines qui gangrèneront la compagnie durant des décennies. On ignore la raison exacte mais la direction de l’entreprise décide de ne pas aller plus loin sur une version à toit rétractable de la Mark II. Robert McNamara, alors directeur général de la division Ford et futur secrétaire d’État à la défense du gouvernement américain, demande que cette technologie soit installée sur les futures Ford 1957, qui doivent être complètement renouvelées. McNamara est quelqu’un de très austère, très analytique, mais il croit à l’effet « Wow » en concession et pour lui, le toit rétractable est un artifice commercial intéressant. Il s’arrangera pour qu’aucune autre division n’en bénéficie et en restera un ardent partisan jusqu’à son départ pour l’administration américaine.
Début 1955, Smith s’attelle donc à l’adaptation du toit rétractable sur les Ford 1957. Outre le toit lui-même, les modifications sur le véhicule seront nombreuses : allongement des ailes arrière de 3 pouces, révision du plancher du coffre, nouveau panneau de coffre, déplacement du réservoir d’essence derrière la banquette arrière qui est aussi moins large et plus droite. Le châssis est profondément revu : allongé de 6 pouces et plus étroit vers l’arrière, il comprend également des traverses modifiées et plus de points d’ancrage. Puisque les Skyliner pèseront près de 200 kilos supplémentaires, elles auront des roues renforcées. À l’usine de Dearborn, dans le Michigan, une ligne d’assemblage spéciale est installée, notamment pour réaliser les délicats ajustements nécessaires.
Après avoir envisagé de nommer le nouveau modèle Caprice, Hida-Top ou Telecoupe, les dirigeants de Ford choisissent finalement « Skyliner », un nom déjà connu de la clientèle et bien aligné avec les cabriolets conventionnels de la marque, baptisés Sunliner. Les Skyliner seront vendus dans la série Fairlane 500, le haut de la gamme Ford.
Le ciel est clair
Si les nouvelles Ford 1957 sont présentées en octobre 1956, les Skyliner seront montrées au public en décembre 1956, au Salon de l’auto de New York et n’arriveront en concessions qu’en avril 1957. Plus lourdes, elles n’ont logiquement pas accès au 6 cylindres de base. Les moteurs disponibles sont le 272 pouces cubes de 190 chevaux, le 292 pc de 212 chevaux et le 312 pc de 245 ou 270 chevaux. Dans de très, très rares cas, les clients ont coché l’option Code F, qui donne droit à un 312 pc à compresseur McCulloch bon pour 300 chevaux. Trois boîtes de vitesses sont proposées : une manuelle à 3 rapports avec ou sans overdrive et une automatique Ford-O-matic. Si l’habitabilité reste bonne par rapport aux Sunliner, il est impossible de ne pas remarquer la modeste capacité de chargement, limitée à une simple boîte dans le centre du coffre, à cause de la présence des différents actionneurs et du toit. Ce sera le gros point faible de ces autos. Quant au toit, Ford annonce dans sa brochure qu’il se déploie entre 48 et 55 secondes.
Bien qu’elles soient plus chères que les Sunliner et qu’elles n’aient bénéficié que d’une commercialisation sur un demi-millésime, les Skyliner réalisent des chiffres de ventes satisfaisants (voir tableau ci-dessous).
Sunliner 1957 |
Skyliner 1957 |
Sunliner 1958 |
Skyliner 1958 |
Sunliner 1959 |
Skyliner 1959 |
|
Empattement (cm) |
299,7 |
299,7 |
299,7 |
299,7 |
299,7 |
299,7 |
Longueur (cm) |
527,6 |
535,4 |
525,8 |
535,9 |
528,3 |
528,6 |
Poids (kg) |
1 588 |
1 778 |
1 651 |
1 859 |
1 646 |
1 845 |
Prix (USD/CAD) |
2 605 / 3 213 |
2 942 / 4 059 |
2 749 / 3 414 |
3 138 / 4 216 |
2 957 / 3 598 |
3 346 / 4 330 |
Production |
77 728 |
20 766 |
35 029 |
14 713 |
45 868 |
12 915 |
Le ciel s’assombrit
Ford continue donc l’aventure pour 1958. Comme d’accoutumée à l’époque, les autos reçoivent un léger restylage annuel : calandre 4 phares, nouvelles décorations latérales, 4 feux arrière. L’offre mécanique est aussi changée : 292 pc de base développant 205 chevaux, puis un 332 pc de 240 ou 265 chevaux et enfin un 352 pc de 300 chevaux. La boîte automatique Cruise-O-Matic à 3 rapports est ajoutée à la liste d’options, ainsi qu’une suspension. Complexe et chère, cette dernière ne sera disponible qu’un an. L’année 1958 est marquée par une récession économique et le marché dans son ensemble est frappé. La Skyliner est également touchée. Peut-être que l’effet de nouveauté est aussi en train de s’éroder…
Pour leur troisième de commercialisation, les Ford subissent des changements substantiels : nouveaux panneaux de carrosserie, intérieurs revus, suspensions améliorées. Le toit est retravaillé et fonctionne maintenant avec un moteur électrique de moins alors que le « flipper » est raccourci. En cours d’année modèle, Ford ajoute une nouvelle gamme au-dessus des Fairlane 500, la Galaxie. Les cabriolets Sunliner et Skyliner sont donc transférés vers cette série. Le choix des V8 évolue peu (292 pc de 200 chevaux, 332 pc de 225 chevaux et 352 pc de 300 chevaux). Mais rien n’y fait, les Skyliner attirent de moins en moins d’acheteurs. Ce n’est en tout cas pas à cause de la fiabilité : malgré sa complexité, le toit n’a fait l’objet d’aucun rappel et s’est montré remarquablement solide au cours des années.
Le ciel lui tombe sur la tête
Les mauvais résultats commerciaux n’empêchent pourtant pas Robert McNamara de vouloir continuer le programme de toit rétractable pour les millésimes 1960/61. Après 6 mois de développement, le projet est arrêté : le style des nouvelles Ford s’accommode très mal avec cette technologie (à moins éventuellement de concevoir un toit en plusieurs morceaux comme les systèmes modernes).
Entretemps, Ben Smith a été muté à l’étranger et travaille dans d’autres fonctions. Pourtant, il ne perdra jamais l’intérêt pour les toits rétractables. En 1965, il dessine un système à commande manuelle pour la Mustang qui ne sera pas retenu. Après avoir pris sa retraite de Ford, il commercialisera dans les années 90 une cinquantaine de kits d’adaptation basés sur ses plans pour les Mustang de première génération.
Aujourd’hui, le toit rétractable des Skyliner reste encore une curiosité et fait tourner les têtes dans toutes les expositions d’autos anciennes. Juste ciel!