Porsche 914 : la mal-aimée
À l’époque, les « Porschistes » et la presse n’ont pas été très tendres avec la 914. Peut-être parce qu’elle ne ressemblait pas à une « vraie » Porsche, qu’elle avait des pièces d’origine Volkswagen ou qu’elle avait le moteur à la « mauvaise » place. Mais est-ce qu’ils ont raison?
Au milieu des années 60, Porsche est encore un petit constructeur. Malgré le lancement réussi de la 911 en 1963, la marque ne produit qu’entre 10 et 12 000 véhicules par année. Ferry Porsche, PDG de la marque et fils du fondateur Ferdinand Porsche, constate que la montée en gamme de la 911 laisse de la place pour un modèle d’accès. Certes, la société commercialise la 912, une 911 avec le 4 cylindres de la 356 C. Toutefois, elle reste trop proche de la 911 en termes de prix et d’esthétique. L’idéal serait de concevoir un nouveau modèle d’entrée de gamme afin d’aller chercher les roadsters anglais qui inondent l’Amérique du Nord. Mais cela coûte cher et Porsche n’a pas (encore) les capacités industrielles. Peut-être qu’en trouvant un partenaire…
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Une affaire de famille
De son côté, Volkswagen a connu une forte croissance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et vit quasiment sur la monoculture de la Beetle. Quasiment, car la marque tente de diversifier sa gamme avec le Kombi Type 2, la Type 3 ou la 2+2 Karmann Ghia Type 14 (en coupé ou en cabriolet). Au milieu des années 60, le constructeur songe à remplacer cette dernière, déjà commercialisée depuis 1955. De plus, la Karmann Ghia Type 34 connaît un succès limité. Un partenaire extérieur serait idéal pour la compagnie, davantage habituée à gérer de gros volumes de production.
Les liens entre Porsche et Volkswagen ne datent pas d’hier. C’est Ferdinand Porsche qui a conçu la Beetle durant les années 30 et lorsque Porsche développera son premier modèle après la guerre, la 356, elle puisera allègrement parmi les organes du sympathique coléoptère.
Et puis, les dirigeants des deux compagnies se connaissent bien. Heinrich Nordhoff est arrivé à la tête de Volkswagen le 1er janvier 1948 et a rebâti le constructeur, en sale état au sortir du conflit. Mais Nordhoff et Ferry Porsche ne font pas seulement des affaires ensemble. En effet, l’une des filles de Nordhoff, Elisabeth, a épousé l’un des petits-fils de Ferdinand Porsche, Emst Piëch.
Les discussions pour un modèle commun commencent en 1966 et une entente entre les deux hommes se fait sur une poignée de main début 1967. Un fait qui va avoir son importance plus tard. Le développement technique est confié à Ferdinand Piëch, un autre petit-fils de Ferdinand Porsche. Il est alors responsable de l’ingénierie chez Porsche. Il se fera ensuite remarquer chez Audi avant de prendre la tête de Volkswagen en 1993 (c’est lui l’homme derrière l’Audi Quattro et la Volkswagen Phaeton).
Pour le design de l’auto, deux théories s’affrontent. La première stipule que c’est la compagnie Gugelot Design GmbH qui aurait réalisé le travail préliminaire, travail qui aurait été par la suite racheté par Porsche. La seconde dit que le développement aurait été fait en interne, sous la direction de Ferdinand Alexander Porsche, dit Butzi, fils de Ferry Porsche. La première paraît malheureusement peu plausible. En effet, le designer Porsche Heinrich Klie avait commencé à travailler sur un concept de roadster dès 1964. Plusieurs personnes de l’équipe vont participer au projet mais c’est Klie qui va finaliser le style en mars 1967. Les lignes assez minimalistes se distinguent par un toit Targa (un choix dicté par la rumeur selon laquelle le gouvernement américain pensait bannir les cabriolets par mesure de sécurité) et un capot arrière assez long pour accommoder le moteur en position centrale arrière (et non pas en porte-à-faux comme sur la 911, une demande de Ferry Porsche) et pour y installer le toit amovible.
Nouveau contrat… sur papier
Le projet avance bien et un premier prototype roulant est complété en mars 1968. Mais le 12 avril 1968, un événement vient tout chambouler : Heinrich Nordhoff meurt d’une crise cardiaque. Suite à un premier incident à l’été 1967, il avait déjà commencé à organiser sa succession à la tête de Volkswagen et devait prendre sa retraite à l’automne 1968. Il souhaitait être remplacé par Carl Hahn, mais le conseil d’administration choisira plutôt Kurt Lotz en octobre 1968 (Hahn sera finalement à la tête de Volkswagen de 1982 à 1992). Ce dernier n’a pas les mêmes liens avec la famille Porsche et désavoue l’entente verbale. Il parvient à faire signer à Porsche un contrat nettement moins avantageux pour la marque de Stuttgart.
Dans cette entente, c’est le carrossier Karmann qui assure la fabrication des caisses en blanc, la peinture et les finitions dans son usine d’Osnabrück. C’est également Karmann qui fait l’assemblage mécanique des versions à 4 cylindres alors que les modèles 6 cylindres sont envoyés chez Porsche à Zuffenhausen pour l’installation des moteurs et trains roulants. De plus, les deux parties créent en avril 1969 une société commune, la Porsche-VW-Vertriebsgessellschaft GmbH pour la distribution des modèles Porsche (à l’époque, les Porsche sont distribuées dans les concessions Volkswagen partout à travers le monde sauf en France et en Grande-Bretagne). Ainsi, les 914 seront vendues sous le nom de VW-Porsche, sauf en Amérique du Nord où elles porteront simplement le nom Porsche. Les manières un peu brusques de Lotz feront qu’il restera à la tête de Volkswagen à peine moins de trois ans avant d’être remplacé par Rudolf Leiding.
4 ou 6?
La 914 est présentée le 11 septembre 1969 aux visiteurs du Salon de l’auto de Francfort. Le véhicule de construction monocoque mesure 3,98 mètres de long et repose sur un empattement de 2,45 mètres. Elle utilise des barres de torsion à l’avant, des ressorts hélicoïdaux à l’arrière et des freins à disque aux 4 roues. La 914/4 fait appel à un 4 cylindres à plat refroidi par air de 1,7 litre provenant de la Volkswagen Type 4 (411). Doté d’une injection électronique Bosch D-Jetronic, il développe 80 chevaux DIN (standard européen) ou 85 chevaux SAE (standard nord-américain). La boîte de vitesses comporte 5 rapports. Les roues Volkswagen de 15 pouces sont entourées de pneus 155 SR 15. Sa production démarre dès le mois d’août 1969. Quant à la 914/6, elle reçoit le 6 cylindres à plat Porsche refroidi par air de 2,0 litres provenant de la 911T. Alimenté par des carburateurs Weber, il développe 110 chevaux DIN ou 125 chevaux SAE. Elle se distingue de la 914/4 par ses disques ventilés à l’avant, ses roues Porsche montées sur des pneus 165 HR 15 et des rapports de boîte modifiés. Elle peut recevoir en option une transmission semi-automatique à 4 rapports (commande de boîte manuelle mais l’embrayage est remplacé par un convertisseur de couple; cet équipement sera extrêmement rare, on parle de 25 exemplaires sur deux millésimes). La production de la 914/6 débutera à la fin de l’année 1969.
À l’intérieur, la 914 fait appel à de nombreux composants Volkswagen et, pour réduire les coûts, le siège passager est fixe. Sur certains marchés, on peut ajouter un rembourrage au centre et une ceinture de sécurité, faisant alors de l’auto une 3 places (celle du centre étant uniquement utilisable par un jeune enfant). Mais l’essentiel est là : une instrumentation d’origine Porsche avec le compte-tours en plein milieu. Le toit en fibre de verre ne pèse que 3,2 kilos et peut être rangé dans le compartiment arrière par une seule personne. La 914 offre un excellent volume de chargement pour un coupé deux places : 198 litres à l’avant et 227 à l’arrière.
L’accueil de la presse est plus que tiède. Elle reproche à la 914/4 ses performances en retrait, le bruit de son moteur peu agréable à l’oreille et sa commande de boîte peu satisfaisante. Par contre, là où tout le monde est d’accord, c’est sur la tenue de route. Avec une bonne répartition des masses (45% avant / 55% arrière), un centre de gravité bas et un poids contenu, elle coupe à travers les virages comme un couteau chaud dans du beurre. Le magazine Motor Trend sera l’un de ses rares supporters et en fera sa « Voiture importée de l’année 1970 ». La 914/6 est sensiblement plus rapide (le 0 à 100 km/h passe de 13,3 secondes à 8,7 secondes selon le magazine allemand Auto Motor und Sport) mais elle est aussi sensiblement plus chère (aux États-Unis, elle est vendue 5 999 $, soit à peine moins qu’une 911T à 6 430 $ et plus qu’une Chevrolet Corvette cabriolet offerte à 5 129 $), ce qui limitera grandement sa diffusion.
Ironie du sort
La 914 ne connaîtra que quelques évolutions notables au cours de sa carrière. Il faut attendre le millésime 1972 pour que le siège passager soit ajustable. L’année suivante, la gamme est remaniée. La 914/6 est retirée et un modèle 2,0 litres prend sa place (4 cylindres Volkswagen, injection Bosch D-Jetronic, 91 chevaux SAE). Les autos sont alors vendues sous le nom 914 1.7 et 914 2.0 ou bien 914 et 914S en Amérique du Nord. L’avantage de ce moteur est de réduire le poids de 50 kg et de ramener le prix américain à 5 049 $. L’ensemble performance permet d’ajouter des barres antiroulis à l’avant et à l’arrière. Des butoirs de pare-chocs sont installés à l’avant (ils feront leur apparition à l’arrière pour 1974). Et surtout, la commande de boîte de vitesses est améliorée. Pour 1974, le 1,7 litre est réalésé à 1,8 litre et reçoit une injection Bosch L-Jetronic (72,5 chevaux SAE). Le volant est redessiné. Enfin, l’année modèle 1975 voit l’arrivée de nouveaux pare-chocs en plastique afin de répondre aux normes fédérales américaines de sécurité. Au millésime 1976, la version 1,8 litre est supprimée du catalogue nord-américain. Les ventes sont alors en baisse importante à partir de 1973 (voir tableau ci-dessous).
Production par année calendaire
914/4 |
914/6 |
Total |
|
1969 |
1 543 |
29 |
1 572 |
1970 |
20 241 |
2 706 |
22 947 |
1971 |
15 993 |
360 |
16 353 |
1972 |
24 530 |
237 |
24 767 |
1973 |
28 403 |
28 403 |
|
1974 |
17 012 |
17 012 |
|
1975 |
7 924 |
7 924 |
|
Total |
115 646 |
3 332 |
118 978 |
Au cours de 1976, la 914 se retire sur la pointe des pieds. Elle aurait dû être suivie par la 924 (un développement commun entre Porsche et Audi, Leiding ayant réussi à panser les plaies entre VW et la firme de Stuttgart). Mais celle-ci n’est pas prête à temps, alors Porsche remet la 912 en production sous le nom de 912E pour un an seulement (moteur 4 cylindres, 86 chevaux SAE). Ainsi, la 914 est l’une des rares voitures de l’histoire à être remplacée par la voiture qu’elle était censée remplacer! La 924 arrive au millésime 1977, mais ceci est une autre histoire…
Des 914 spéciales!
Plusieurs modèles hors-série jalonnent l’histoire de la 914. Le premier est certainement le plus intéressant.
Alors qu’il est chef de projet de la 914, Ferdinand Piëch assure aussi la conception de la 917 de course. Il lui vient l’idée d’installer un 8 cylindres à plat, dessiné par Hans Metzger, provenant de la 908 afin de tester les possibilités du châssis. Développant 350 chevaux, il était tout simplement terrifiant dans un engin d’un peu plus de 900 kilos. Nommé 914/8 et peint en orange, le véhicule ne sera pas homologué pour la route. Par contre, un deuxième exemplaire sera construit pour célébrer les 60 ans de Ferry Porsche. Il recevra un moteur de « seulement » 300 chevaux du moteur, sera peint en gris et sera immatriculé. Ferry Porsche la conduira peu, car il la trouvait trop brutale et en fera finalement don au musée Porsche.
L’idée d’une 914 plus puissante continuera de faire son chemin. Prévue pour 1972, la 916 voulait concurrencer les Ferrari Dino avec son 6 cylindres provenant des 911 les plus affûtées (2,4 litres de la 911S ou 2,7 litres de la 911 Carrera). Elle était dotée d’un toit fixe, d’un déflecteur intégré dans le pare-chocs avant et d’ailes élargies. Mais son prix aurait été nettement plus élevé que celui d’une 911, allant directement sur le territoire de Ferrari. C’est pour cela que le programme sera annulé tout juste deux semaines avant la présentation officielle au Salon de l’auto de Paris en octobre 1971, après que seulement 11 prototypes aient été construits.
Plusieurs designers ont reconnu les mérites de la plate-forme de la 914 pour créer des véhicules concepts. Le premier à être exposé au Salon de l’auto de Paris 1970 sera la Murène, réalisée par le carrossier français Heuliez. Suivront quelques jours plus tard, au Salon de l’auto de Turin, les 914/6R et Tapiro. Le premier se présente sous la forme d’un break de chasse et a été dessiné par le comte Albrecht von Goertz, auteur des lignes de la BMW 507. Le second a été dessiné par Giorgetto Giugiaro, d’Ital Design. Il utilise des portes papillons tant pour l’accès à l’habitacle que pour l’accès au compartiment arrière. Ce concept sera ensuite vendu avant d’être presque entièrement brûlé dans un accident de la route. Giugiaro le rachètera et l’exposera tel quel dans ses locaux. Le dernier concept est dessiné par Pietro Frua pour le compte de la société Hispano Alemán, qui voulait le construire en petite quantité. Baptisé Vizcaya, il n’atteindra jamais le stade de la production.
Enfin, Porsche réalisera une édition limitée pour le millésime 1974, logiquement dénommée LE (pour Limited Edition). Basées sur le modèle 2,0 litres, les LE recevaient une peinture deux tons noire et jaune (Bumblebee) ou blanche et rouge (Creamsicle). Environ 1 000 exemplaires seront construits.
Malgré un palmarès sportif digne de l’histoire de la marque (avec notamment une 6e place générale aux 24 heures du Mans 1970), malgré le fait qu’il s’agit du modèle Porsche le plus produit à l’époque, la 914 sera rapidement oubliée. Mais aujourd’hui, alors que les 911 ne sont plus achetables, les amateurs commencent à lui trouver de l’intérêt. Juste retour des choses…