Ford Thunderbird 1983-88 : le galop d’essai
Les lignes de la neuvième génération de Thunderbird semblent autant sculptées par les bureaux de style que par une soufflerie. Pour Ford, c’est un gros changement de mentalité. Pour les clients, c’est une bouffée d’air frais. Et ce n’est que l’avant-goût d’une plus grande révolution encore…
En 1980, Ford est en difficulté et à la recherche d’un second souffle. Les deux crises pétrolières de 1973 et 1979 ont laissé des traces et la concurrence asiatique est beaucoup plus menaçante. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement américain augmente la pression avec les normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) de consommation qui vont devenir de plus en plus strictes au cours des années 80.
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C’est dans ce contexte peu rose qu’est lancée la huitième génération de Thunderbird. Elle suit les standards de l’industrie : réduction de la taille et du poids. Au lieu de reposer sur le châssis des intermédiaires comme la septième génération, elle fait appel à la plate-forme Fox propulsion, développée entre autres pour la Fairmont 1978 et la Mustang 1979. Mais les goûts des consommateurs changent et les lignes coupées à la serpe du modèle semblent maintenant « réchauffées ». Les ventes passent de 284 141 exemplaires en 1979 pour la dernière année de la septième génération à 156 803 en 1980. Et les choses ne vont pas s’arranger par la suite : 86 693 exemplaires en 1981 et seulement 45 142 en 1982. Si la huitième Thunderbird du nom ne convainc pas la clientèle, elle n’a pas non plus beaucoup de partisans à l’interne. C’est pour cela qu’elle n’aura qu’une durée de vie de trois ans.
La révolution aérodynamique
À la fin des années 70, cela bouge beaucoup à la tête de Ford. Henry Ford II renvoie Lee Iacocca de la présidence de la compagnie le 13 juillet 1978. Il sera remplacé par Philip Caldwell. Le 1er octobre 1979, HF II lui-même laisse son poste de PDG à Caldwell (il quittera ses dernières fonctions chez Ford en 1982). C’est Donald Petersen qui prend alors la présidence. Ainsi, c’est le duo Caldwell / Petersen qui va avoir la lourde tâche de propulser Ford dans les années 80… ou au moins de faire survivre l’entreprise.
Tout ceci coïncide avec un autre passage de bâton, cette fois-ci à la tête des bureaux de style de Ford. Gene Bordinat avait été nommé responsable du design en 1961. Après une crise cardiaque, à seulement 60 ans, il quitte son poste le 1er décembre 1980 pour être remplacé par Donald Kopka. C’est lui qui va devenir le champion de l’aérodynamisme chez Ford. Comme il l’expliquera en 1984 : « Jusqu’alors, c'était aux ingénieurs moteurs qu’il incombait de répondre aux exigences de la norme CAFE. Ils ne savaient pas comment ils allaient s’y prendre. Ils étaient sous une forte pression. Puis la lumière s’est allumée et ils ont commencé à réaliser qu’ils pouvaient obtenir de l’aide... presque gratuitement en remodelant simplement l’extérieur de la voiture. Ils ont adopté l’idée ». Il faut dire que tant Henry Ford II que Lee Iacocca étaient particulièrement conservateurs en termes de style. Ils aimaient les grilles verticales, signe de statut, et rejetaient les lignes sculptées par le vent, pourtant nécessaires face aux réalités du marché. Kopka entreprend d’éduquer la direction sur ces nouvelles formes, notamment avec les prototypes Probe (5 concepts codéveloppés avec Ghia entre 1979 et 1985).
Les choses avaient déjà un peu commencé à changer avec le lancement de la Mustang en 1979. Sa calandre inclinée avait été vécue comme un bouleversement à l’interne. Les lignes de ce modèle sont réalisées sous la direction de Jack Telnack. Entré chez Ford en 1958, il devient designer en chef de Ford Australie en 1966. De retour à Dearborn en 1970, il part en Europe de 1973 à 1976. C’est là qu’il voit l’importance pour de futurs designs de réduire la résistance à l’air. Après son travail sur la Mustang, il est nommé directeur du design pour l’Amérique du Nord en septembre 1978. C’est lui qui va diriger le développement de la neuvième génération de la Thunderbird. Telnack remplacera Kopka à la tête du design de Ford en 1987 et prendra sa retraite en 1998.
Dans l’équipe de style de la Thunderbird, il y a également un designer pas comme les autres : William Boyer. Ce dernier a participé au dessin de la toute première TBird de 1955 et a eu une influence majeure sur les lignes de la seconde génération. Après avoir occupé différents postes chez Ford, notamment en Australie, il est de retour au Michigan au début des années 80 pour travailler une dernière fois sur l’oiseau de tonnerre avant de partir à la retraite en 1985.
C’est dans l’air
Si Caldwell et Petersen vont se montrer très intéressés par le design et pousser les équipes de stylistes à sortir du moule conservateur, il reste encore à convaincre le public. Pour cela, Ford dévoile en février 1982 au Salon de l’auto de Chicago la Lincoln Continental Concept 90, qui préfigure les lignes de la Continental Mark VII, laquelle doit être lancée pour 1984, et repose sur la même plate-forme que la Thunderbird. Ford remet le couvert au Salon de l’auto de Detroit en janvier 1983, avec la Continental Concept 100, qui est un démonstrateur des futures technologies électroniques : navigation par satellite, capteurs sonar dans les pare-chocs, alertes et commandes vocales, suspension automatique…
Quelques jours plus tard, soit le 17 février 1983, la nouvelle Thunderbird est officiellement présentée. Toutes les TBird portent un surnom, celui de la neuvième génération est logiquement Aero Bird (la huitième portant celui de Box Bird). Pour des raisons de coûts et de temps de développement, elle reste sur la plate-forme Fox. Par contre, par rapport aux modèles 1980-82, l’empattement est raccourci de 11 cm, la longueur totale de 7 cm (sans pour autant que les cotes d’habitabilité s’en ressentent vraiment), et le poids est réduit de 45 kilos.
Ce qui étonne pour un véhicule dessiné pour mieux fendre l’air, c’est l’absence de phares affleurants. Ceci est dû à la législation américaine de l’époque qui impose l’utilisation de phares scellés. Ford se battra d’ailleurs contre le gouvernement américain pour que cette loi soit modifiée. Ce sera chose faite courant 1983. Mais c’était trop tard pour la Thunderbird, qui devra se contenter de phares scellés à sa sortie. En 1984, la Lincoln Continental Mark VII deviendra la première auto nord-américaine à avoir des phares à ampoules interchangeables et à surface affleurante. Il était temps… Malgré tout, la voiture parvient à offrir un Cx de 0,35. Pour comparaison, la Mustang 1979 affiche 0,44.
Au lancement, deux versions sont disponibles : de base et Heritage. Les deux bénéficient de série d’un V6 à carburateur de 3,8 litres développant 110 chevaux. Il est couplé à une boîte automatique à 3 rapports alors qu’une boîte AOD avec overdrive est proposée en option. Générant 130 chevaux, le V8 de 302 pc (techniquement un 4,9 litres même s’il est identifié par Ford comme un 5,0 litres) à injection est offert contre supplément et vient d’office avec la boîte AOD. La direction est à crémaillère, la suspension avant est de type McPherson et la suspension arrière repose sur un essieu rigide tenu par 4 tirants. Quant aux freins, c’est disques à l’avant et tambours à l’arrière.
Le modèle de base présente un équipement standard minimal (montre à aiguilles, tapis de 10 onces, compteur journalier, levier de vitesses à la colonne, radio AM) tandis que l’Heritage est nettement mieux dotée (rétroviseurs à commande électrique, phares de virage, tapis de 16 onces, montre digitale, radio AM/FM, verrouillage électrique, volant inclinable, instrumentation électronique, sièges en velours, appliques en simili-bois, vitres teintées électriques, phares automatiques, essuie-glaces intermittents).
La voiture est plutôt bien accueillie par la presse. Elle perd par contre le titre de Voiture de l’année 1983 du magazine Motor Trend à la faveur de la Renault Alliance. Dans son édition 1983, le Guide de l’auto parle de la Thunderbird en ces termes : « En plus de ce très bel exercice de style et malgré une architecture qui reste très classique, la Thunderbird réussit tout de même à nous montrer un nouveau tempérament en 1983. Au chapitre de la tenue de route, par exemple, son comportement en surprendra plusieurs et la voiture possède une maniabilité et une adhérence incroyable en virage ». Le volume du coffre, l’espace arrière pour les jambes et la visibilité ¾ arrière déçoivent cependant.
Le 1er avril 1983, une troisième version est ajoutée au catalogue : la Turbo Coupe. Elle se distingue par son 4 cylindres Lima (du nom de l’usine où il est fabriqué) de 2,3 litres doté d’un turbocompresseur et d’une injection électronique développant 142 chevaux qui est apparu sur la Mustang 1979, sa boîte manuelle à 5 rapports avec levier de vitesses sur la console centrale, sa direction plus directe, son essieu arrière à glissement limité, son déflecteur avant avec phares antibrouillards, ses roues en aluminium et son volant gainé de cuir.
Malgré un millésime court, la nouvelle Thunderbird explose les chiffres de production de 1982 avec 121 999 exemplaires construits dans les usines de Lorain, en Ohio, et Hapeville, en Géorgie. L’aero look plait et pour Ford, c’est une excellente nouvelle car il y a d’autres modèles de ce genre dans le pipeline, à commencer par les Tempo et Continental Mark VII pour 1984.
Succès maintenu
En toute logique, l’année modèle 1984 ne voit que des évolutions limitées. Côté mécanique, le V6 reçoit une injection électronique (similaire à celle du Turbo Coupe) faisant ainsi passer sa puissance à 120 chevaux, le V8 profite de la même injection et monte à 140 chevaux alors que le Turbo Coupe (maintenant à 145 chevaux) peut dorénavant bénéficier de la boîte automatique à 3 rapports. La structure de la gamme est modifiée : le modèle Heritage devient élan (avec un accent et en minuscules) et une version Fila, développée conjointement avec la marque italienne de vêtements de sport, est ajoutée. Elle se distingue par sa carrosserie deux tons (anthracite pastel en haut et anthracite foncé en bas) avec des roues en aluminium de couleur coordonnée, ses bandes décoratives rouge et bleu, son intérieur en cuir blanc Oxford, son tableau de bord en fini noir brossé et son V8 installé d’office. Pour sa première année complète sur le marché, la nouvelle Thunderbird est produite à 170 533 exemplaires, surpassant définitivement la huitième génération.
Si les changements extérieurs pour 1985 sont relativement restreints (nouveaux feux arrière, emblèmes redessinés, grille de calandre de couleur coordonnée pour la Turbo Coupe, trois nouvelles teintes pour la Fila), à l’intérieur la Thunderbird reçoit une nouvelle planche de bord (elle reprenait essentiellement celle de la précédente génération jusque-là) et des habillages redessinés. La Turbo Coupe bénéficie d’une meilleure gestion du turbo (155 chevaux) ainsi que de ratios de boîte de vitesses recalibrés. Pour célébrer les 30 ans de la Thunderbird, Ford commercialise une édition commémorative basée sur l’élan avec une combinaison de bleu Regatta et anthracite foncé. Même si la production baisse un peu (151 851 exemplaires), la Thunderbird reste toujours populaire pour sa troisième année de présence. C’est encore le cas en 1986 (163 965 exemplaires produits) malgré des modifications limitées : injection multipoints pour le V8 (150 chevaux), suppression de la Fila, toit ouvrant en option.
Car la vraie nouveauté de l’année 1986, celle sur qui reposent tous les espoirs de la compagnie, celle sur qui Ford a misé 3 milliards de dollars, c’est le duo Ford Taurus / Mercury Sable. Les lignes très aérodynamiques sont signées Jack Telnack. Au lancement des autos, peu de gens croient à leur succès. Même chez Ford, certains dirigeants ont des doutes. Lee Iacocca déclarera : « Ces voitures en forme de pomme de terre vont être un échec. Cela va être le flop du siècle! » Au contraire, les deux véhicules vont faire un malheur dès la première année et la Taurus deviendra le modèle le plus vendu en Amérique en 1992. Mais pour cela, on peut aussi remercier la Thunderbird qui a habitué le public à des formes… différentes.
Encore plus aérodynamique
C’est pour sa cinquième année que Ford accorde à la Thunderbird un restylage assez sérieux. Si l’empattement augmente de façon symbolique (+5 mm), la longueur gagne quant à elle un peu plus de 4 centimètres. Les faciès avant et arrière sont assez significativement revus, profitant au Cx. La TBird reçoit enfin des phares affleurants. Les vitres latérales arrière sont agrandies, tout comme le pare-brise arrière. Si la grille avant est redessinée pour les modèles classiques, elle disparaît sur la Turbo Coupe, qui bénéficie par contre d’entrées d’air sur le capot. Ce modèle est sérieusement amélioré au niveau mécanique. Le 2,3 litres turbo gagne un refroidisseur air/air (similaire à celui de la défunte Mustang SVO, produite entre 1984 et 1986) et sa puissance monte à 190 chevaux… sur la version manuelle uniquement. Afin de préserver les entrailles de la boîte automatique, la puissance est limitée à 150 chevaux sur la variante à deux pédales. Les roues passent à 16 pouces et les quatre freins à disque avec antiblocage sont de série. Tout ceci concourt à faire de la Turbo Coupe la lauréate du titre de Voiture de l’année 1987 du magazine Motor Trend (un fait à souligner car il est très rare qu’une auto « simplement » restylée remporte ce titre). Le reste de la gamme évolue également : le V6 est accouplé à une boîte automatique à 4 rapports, l’élan devient la LX et une nouvelle version Sport est ajoutée (V8, boîte avec levier à la console, tableau de bord électronique et suspension arrière Quadra-Shock). Pourtant, la production baisse (128 135 exemplaires).
Pour sa dernière année sur le marché, la Thunderbird reçoit logiquement assez peu de changements : le V6 bénéficie d’une injection multipoints (140 chevaux) et le V8 d’un échappement double (155 chevaux) alors que la version Sport embarque un tableau de bord analogique. Étonnamment, la production remonte à 147 243 exemplaires.
Ford travaille activement au développement de la dixième génération de Thunderbird depuis 1984. Elle reposera sur une nouvelle plate-forme (la MN12), toujours avec les roues arrière motrices. Introduite en 1989, elle sera fabriquée à 961 624 exemplaires jusqu’en 1997, soit à peine plus que les 883 726 exemplaires de la TBird neuvième du nom… mais en trois millésimes supplémentaires. Ce qui prouve bien que Ford a eu raison de faire sa révolution aérodynamique!
Aparté : une Thunderbird spéciale pour le Québec
En 1985, Jacques Duval quitte le Guide de l’auto et devient conseiller spécial de Ford du Canada pendant quelques années. Pour célébrer l’événement, une Turbo Coupe Édition Spéciale est dévoilée. Elle se distingue par d’imposants ailerons avant et arrière ainsi que par un vitrage additionnel des phares avant, améliorant l’aérodynamique. Le prospectus (voir photo ci-dessous) ne donne absolument aucune autre information sur ce véhicule. Est-ce qu’il s’agit d’un modèle unique ou d’une édition limitée? Peut-être en savez-vous plus?