Souvenirs précieux d’un autre Jacques Duval
Soulevé par la déferlante d’hommages, d’anecdotes et de témoignages qu’a suscités le décès du pionnier, du virtuose des journalistes automobiles québécois, ce sont pourtant les souvenirs d’un tout autre Jacques Duval qui émergent pour moi. Des mots, des images, des sensations qui se bousculent et qui surgissent en nombre croissant, au fil des minutes, dans le fouillis de mes neurones.
Par exemple ce souvenir d’un virage secret et familier qu’a enfilé le maître, à fond la caisse, d’un geste précis, au volant d’un Dodge Rampage couleur champagne dans lequel je me cramponnais de toutes mes forces, à sa droite. Ce croisement éphémère d’une compacte et d’une camionnette fut assurément le seul à trouver la moindre grâce aux yeux de ce pilote exigeant, parmi la vingtaine d’utilitaires essayés à mes débuts au Guide de l’auto, en 1982.
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Un seul passage, dans cette courbe dont il connaissait parfaitement la surface et l’inclinaison, lui avait suffi. Après deux mots d’approbation, il pointa le Rampage vers sa base, je me remis à respirer et on parla aussitôt d’autre chose.
Cette courte mission complétée, il était temps pour lui de se remettre à la tâche la plus longue et difficile de ce métier qu’il pratiquait avec une rigueur sans faille. Celle d’écrire le prochain texte pour le Guide, avec toute la verve, la fougue et la précision qui le distinguaient de tous. Je n’ai jamais eu besoin d’un autre exemple, d’un autre modèle.
Loin des caméras, des projecteurs et des micros qu’il a tant fréquentés, avec un talent et une énergie indiscutables, j’ai découvert un collègue calme, concentré, jamais inutilement bavard. J’ai le souvenir d’un camarade qui m’a traité en égal dès le premier jour, malgré l’immense écart d’expérience, de métier et de notoriété entre nous. C’était Jacques Duval, après tout, dont j’avais suivi les exploits inégalés à l’émission Prenez le volant, diffusée à la télévision d’état. Le chroniqueur et journaliste dont j’avais dévoré, sinon mémorisé les textes dans les premières éditions du Guide de l’auto. Comme une légion d’ados, sûrement.
Jacques Duval avait aussi le talent d’organiser de grandes rencontres dont on allait découvrir tous les détails dans le Guide de l’auto suivant. Ce fut certainement le cas pour le Match des étoiles qui fut la pièce de résistance de l’édition 1985. Avec l’aide précieuse de Claude Carrière, ami de toujours du Guide et de son créateur, maître Duval avait comparé les bouillantes DeTomaso Pantera GT5, Ferrari 308 GTS Quattrovalvole et Porsche 911 Turbo 3.3 sur les circuits Sanair.
Quel plaisir j’ai eu, ce jour-là, à documenter ce triple essai de sportives d’exception, bride abattue et appareils-photo au poignet. Y compris la photo des trois divas qui orne la couverture. On les avait placées en formation serrée, sur le bitume du tri-ovale, pour suggérer une poursuite endiablée. Elles étaient pourtant immobiles, parce que le gros V8 de la Pantera avait rendu l’âme juste avant la séance.
Cette image avait été croquée du sommet d’une minifourgonnette que Denis Duquet avait en essai prolongé, au prix d’un toit légèrement cabossé. Parce que l’expression système D vaut autant pour Duval que débrouillardise, dans la grande aventure du Guide de l’auto. Et là encore, la confiance que nous accordait le maître du jeu n’avait pas de prix.
Comment oublier aussi la rarissime McLaren M6 GT que j’étais allé découvrir et photographier avec lui tout près du Chemin des Patriotes, le long du Richelieu. Une grande sportive qu’on avait nappée de cette merveilleuse couleur orange des McLaren qui survolaient leurs rivales durant l’âge d’or de la fabuleuse série Can-Am. Elle s’était retrouvée sur la couverture du Guide 1995.
Après une décennie peuplée d’autres quêtes et entreprises, Jacques Duval est revenu au Guide pour l’édition 2014. J’avais fait de même cinq années plus tôt. Avec son fidèle complice Claude Carrière, le créateur du Guide revenait au jeu dans un essai multiple qui mettait en scène les huit compactes sportives du moment.
L’année suivante, il retrouvait ses premières amours dans une confrontation qui opposait la brillante Corvette C7, la Jaguar F-Type R et une Porsche 911 Carrera 4S. Un comparatif que j’avais intitulé, avec une pointe d’étourderie et d’amnésie passagère...le Match des étoiles! Dans les deux cas, loin de jouer le célèbre doyen et pionnier du journalisme automobile qu’il était, Jacques Duval s'est mêlé à l’équipe des essayeurs avec une joie manifeste, et discrète.
Ce plaisir fut sans doute multiplié par dix l’année suivante, lors du grand rassemblement qui célébra la 50e édition du Guide de l’auto au circuit ICAR.
Après avoir été honoré de toutes parts, Jacques s’attabla pour apposer sa signature, toujours parfaitement soignée et lisible, sur les centaines de copies du Guide et autres imprimés que lui présentèrent des admirateurs et collectionneurs de tous les âges. Tous étaient accueillis par un large sourire, avec la plus grande courtoisie.
Quelques jours plus tard, je reçus un mot dans lequel il me remerciait de mon aide lors de cette longue séance de signature. Je m’étais pourtant simplement efforcé de lui épargner les gouttes de pluie qui déjouaient la toile du chapiteau et de lui passer des stylos qu’il vidait ensuite allègrement. J’avais apprécié grandement cette fort gentille attention de sa part.
C’est d’ailleurs souvent en privé, en coulisse et en toute simplicité, que Jacques Duval rayonnait avec le plus grand éclat. Et ça, je ne l’oublierai jamais.