Merveille mécanique : les origines de la Mini

Publié le 24 février 2024 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Avec la Mini originale, Austin a inventé la recette de la voiture de ville moderne. L’importance de ce modèle dans l’histoire de l’automobile est telle qu’il a fini à la seconde place au concours de la « Voiture du siècle » qui s’est tenu en 1999, derrière la Ford Model T, l’auto qui a mis l’humanité sur roues. Et tout cela, c’est grâce à la vision d’un seul homme.

Alexander Arnold Constantine Issigonis (dit Alec puis Sir Alec après qu’il ait reçu le titre de Knight bachelor en 1969) s’est retrouvé dans le domaine de l’automobile par hasard. Prédestiné à être ingénieur (son père et son grand-père exerçaient déjà ce métier), il détestait les mathématiques mais possédait une intelligence instinctive de la mécanique. Il rentre chez Morris en 1936 et c’est là qu’il concevra l’une des premières autos anglaises d’après-guerre : la Morris Minor. Présentée en 1948, elle sera construite à plus de 1,6 million d’exemplaires jusqu’en 1971.

Photo: BMW Group

Issigonis s’intéresse à tout : la mécanique, la réduction de poids et les suspensions. Après la Minor, il commence à travailler sur un modèle à traction avant. Mais la fusion en 1952 entre Morris et Austin, qui amène à la création de la British Motor Corporation (BMC), entraîne son départ pour la compagnie Alvis. Il voyait en effet dans cette fusion une potentielle limitation de son autonomie. Et Alec Issigonis n’aimait pas beaucoup qu’on lui dise quoi faire!

Photo: BMW Group

Retour au bercail

Ses projets chez Alvis ne se concrétisent pas et c’est Leonard Lord, président de BMC, qui lui suggère fin 1955 de revenir. Là, Issigonis commence à travailler sur 2 programmes pour Austin : le XC9001 (qui deviendra les BMC 1800/2200) et le XC9002 (les futures BMC 1100/1300).

Le timing du retour d’Issigonis chez BMC ne pouvait mieux tomber. En effet, en juillet 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser décide de nationaliser puis de fermer le canal de Suez. Construit entre 1859 et 1869, il permet aux bateaux européens de rejoindre l’Asie sans contourner l’Afrique. Outre un conflit qui sera évité de justesse, Nasser nationalise aussi des compagnies pétrolières, dont plusieurs sont anglaises. À partir de là, les approvisionnements en essence sont plus compliqués. En Angleterre, c’est le début des rationnements. C’est l’affolement chez les constructeurs : en réaction, les projets de grosses et moyennes voitures sont abandonnés et les petites voitures ont la priorité. Paradoxalement, les choses rentreront plus ou moins dans l’ordre en quelques mois mais les projets de véhicules économiques vont aller de l’avant.

Chez BMC, plusieurs programmes sont immédiatement démarrés. Leonard Lord arrête les XC9001 et XC9002. Début 1957, il demande à Issigonis de développer une auto plus petite que la Morris Minor. Baptisé XC9003 (puis ADO 15 plus tard, ADO signifiant Austin Drawing Office, bureau d’études d’Austin), ce sera le projet gagnant (voir la maquette en photo ci-dessous avec l’immatriculation XC9003). Les deux hommes s’entendent sur les paramètres de base et Lord fixe une échéance ambitieuse : l’auto doit être prête dans deux ans!

Photo: BMW Group

Nord-sud ou est-ouest?

Histoire de faciliter les choses, BMC est dans une situation financière délicate et donne à Issigonis un budget de développement réduit. Qu’à cela ne tienne, l’ingénieur s’attèle à la tâche! L’objectif est d’allouer 80% de l’espace aux passagers et à leurs bagages et 20% à la mécanique, le tout dans seulement 10 pieds de long (3,05 mètres, en fin de compte la Mini mesurera 3,11 mètres, ce qui apparemment frustrera beaucoup l’ingénieur). Il analyse différentes configurations : moteur avant/propulsion, moteur arrière/propulsion, moteur avant/traction avant. Il apprécie particulièrement la gestion de l’espace des Fiat 500 et 600 créées par l’ingénieur Dante Giacosa avec leur moteur à l’arrière. Mais pour lui, une seule solution a du sens pour l’avenir : la traction avant. Toutefois, il y a un problème : les quelques modèles à traction avant existant (on peut citer les Cord 810/812, les Citroën Traction Avant et 2CV) ont un moteur longitudinal avec une boîte de vitesses dans le prolongement. Impossible de faire rentrer un tel ensemble sous un aussi petit capot!

Après avoir testé un bicylindre sans succès, Issigonis a un coup de génie : il décide de placer le 4 cylindres en position transversale avec la boîte de vitesses en dessous. La direction de BMC lui interdit de concevoir un nouveau moteur adapté à cette architecture (pas de moyens), il faudra faire avec le bloc A Series lancé par Austin en 1951. Le carter est modifié et reçoit des pignons de renvoi vers la boîte en sortie de vilebrequin. Un moteur et une boîte de vitesses utilisent tous les deux de l’huile pour la lubrification, mais leurs besoins techniques diffèrent et les huiles employées ont des spécifications distinctes. Ici, Issigonis dessine un carter commun et c’est l’huile à moteur qui assure la lubrification de la boîte de vitesses et du différentiel. La transmission aux roues est réalisée par deux demi-arbres de longueur égale. Pour gagner de la place, le ventilateur et le radiateur sont logés sur le côté et non pas sur l’avant.

Photo: BMW Group

La mécanique n’est pas le seul aspect innovant de l’ADO 15. La construction de l’auto est monocoque, une solution technique peu employée par les constructeurs britanniques de l’époque. Afin de gagner de l’espace, les roues sont placées aux quatre coins du châssis avec des porte-à-faux extrêmement réduits. Mais en plus, il faut que les pneus soient plus petits. Les ingénieurs de Dunlop passeront de nombreuses nuits blanches à développer des gommes de 10 pouces seulement (en comparaison, une Morris Minor roule sur des roues de 14 pouces). La firme Lockheed doit, de son côté, concevoir des freins à tambour de taille réduite.

Photo: BMW Group

Dernière originalité de la Mini : la suspension. Conçue par Alex Moulton, elle ne fait pas appel à des ressorts métalliques conventionnels mais plutôt à des cônes en caoutchouc. Elle aurait dû recevoir le système Hydrolastic (ressorts en caoutchouc avec connexion hydraulique entre les roues avant et arrière), mais il n’a pas été prêt à temps pour le démarrage de la production. Il sera finalement installé sur les BMC 1100/1300 en 1962 et sur la Mini en 1964. Les combinés de suspension utilisent des berceaux séparés pour réduire les efforts sur la coque.

Photo: BMW Group

Trop rapide!

Le projet XC9003 / ADO 15 démarre officiellement en mars 1957. L’équipe autour d’Issigonis est réduite et ses deux principaux collaborateurs sont Jack Daniels (avec qui il a travaillé sur la Minor) et John Sheppard (qui réalisera une longue carrière chez BMC puis BLMC, travaillant sur les Austin Metro, Maestro et Montego). Le groupe est très réactif et avance vite car un premier prototype est roulant dès le mois de juillet 1957. À ce moment, Leonard Lord effectue un court essai. Sa conclusion sera : « Ne changez rien! » Évidemment, beaucoup de choses vont évoluer durant la phase de test/mise au point.

Le moteur tournera de 180 degrés par rapport aux dessins initiaux. La raison « officielle » de ce changement est de préserver les carburateurs du froid. En les éloignant de la grille, les ingénieurs réduisaient le risque qu’ils ne gèlent. La raison réelle serait plutôt de protéger les synchronisateurs de boîte de vitesses, lesquels avaient tendance à se désagréger rapidement (souvenez-vous de l’huile commune). Autre changement important, la réduction de la cylindrée. Équipés du A Series de 948 cm3, les premiers prototypes étaient beaucoup trop rapides pour la taille de la voiture. La cylindrée sera ramenée à 848 cm3 et la puissance à 34 chevaux. Ce sont également les essais routiers qui vont amener à l’utilisation des berceaux de suspension séparés. Un problème qui va s’avérer persistant et qui ne sera réglé qu’après le lancement du modèle, c’est l’étanchéité du plancher. Les quelque 8 000 premiers exemplaires verront leur moquette tout simplement pourrir à cause d’infiltrations d’eau...

En avril 1959 commence la construction des modèles de présérie et les premiers exemplaires de série sont produits en mai 1959. Les véhicules sont présentés à la presse les 18 et 19 août 1959 et les ventes en concessions démarrent le 26 août.

Photo: BMW Group

Deux en un

Symptomatiques des problèmes qui vont gangréner l’industrie automobile anglaise dans les années à venir, les réseaux de vente Austin et Morris n’ont pas été consolidés après la fusion en 1952. Ainsi, ce n’est pas un modèle de Mini qui est présenté mais deux : l’Austin Seven (ou Se7en dans la littérature du constructeur, un nom choisi en hommage à la première Austin Seven, produite de 1923 à 1939) et la Morris Mini Minor (en lien avec la création d’Issigonis, la Morris Minor). Bien que ne différant que par des détails, les deux autos sont assemblées dans les usines de leur constructeur respectif (Longbridge pour Austin et Cowley pour Morris).

Cette distinction amènera d’ailleurs une erreur historique cocasse. La Morris Mini Minor en photo ci-dessous porte le numéro de série 101 et la plaque d’immatriculation 621 AOK. Elle a été produite le 8 mai 1959 et est officiellement considérée comme la toute première Mini de série. En fait, il s’agit de la sixième Mini fabriquée car cinq autres autos ont précédemment été produites chez Austin quelques jours avant (2 début avril et 3 début mai 1959) et portaient les numéros de série 101 à 105. On peut voir ci-dessous Alec Issigonis poser fièrement à côté de 621 AOK indiquée comme le numéro 1… à tort.

Photo: BMW Group

L’Austin et la Morris sont commercialisées en deux variantes : Basic (à 497 £) ou De-Luxe (à 536 £), soit 93 £ de moins que la nouvelle Ford Anglia 105E. Pour comprendre une telle différence, Ford achètera deux autos et les ingénieurs les démonteront pièce par pièce, allant jusqu’à examiner les soudures. La marque à l’ovale bleu estimera que BMC perdait au moins 30 £ par voiture alors que Ford faisait un profit de 50 £ pour chaque Anglia produite. Les dirigeants de BMC contesteront ces chiffres mais il était évident que les marges étaient on ne peut plus réduites. Malgré des prix agressifs, les ventes initiales sont mauvaises. La production de 1959 ne s’élève qu’à 19 749 exemplaires. Il faut dire que les premières autos souffrent de plusieurs problèmes de fiabilité, problèmes qui seront relativement vite résolus. Progressivement, la bourgeoisie londonienne s’amourache de l’auto et le reste de l’Angleterre (et du monde) suivra peu après. La production dépasse pour la première fois les 200 000 exemplaires en 1962. C’est également au début de cette année que les modèles prennent la dénomination Austin Mini et Morris Mini.

Photo: BMW Group

41 ans!

À partir de là, l’histoire est en marche. Les carrosseries et les versions se multiplient. On pourra citer les Mini Clubman, Countryman, pick-up, van, Cooper, Cooper S, Wolseley Hornet, Riley Elf (variantes luxueuses avec coffre allongé tricorps), Innocenti (fabriquées en Italie), Mini Moke… sans compter les nombreuses petites compagnies anglaises qui se serviront de la base de la Mini pour leurs propres modèles. La barre du million est atteinte en 1965 puis deux millions en 1969, trois millions en 1972 (1971 sera la meilleure année avec 318 475 exemplaires produits) et quatre millions en 1976. En 1980, Austin présentera sa remplaçante : la Mini Metro. Cependant, la création d’Issigonis a la peau dure et 5 millions d’exemplaires sont atteints en 1986. Pire, la Metro et ses diverses évolutions (Rover Metro puis Rover 100) seront produites jusqu’en 1998 et la Mini lui survivra. Elle sera fabriquée jusqu’en octobre 2000 avec un total final de 5 378 776 véhicules.

Photo: BMW Group

Quant à Sir Alec, il ne se reposera pas sur ses lauriers. Conscient des faiblesses de la Mini, il demandera en 1967 à la direction de BMC de quitter son poste de responsable du développement pour commencer à travailler sur sa remplaçante. En résultera un concept très abouti, la 9X. Mais la fusion de BMC et Leyland Motors en 1968 empêchera sa mise en production. Après son départ à la retraite en 1971, Issigonis restera sous contrat avec British Leyland et continuera de développer la 9X ainsi que d’autres projets sur base de Mini jusqu’en 1987. Il décédera en 1988, ayant vu sa création passer à l’histoire.

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