Renault 5 Turbo : le chameau sous stéroïdes
Au Québec, la Renault 5 a laissé de nombreux souvenirs… bons ou moins bons. Et maintenant que Renault vient de la ressusciter sous la forme d’une auto électrique, il est temps de revenir sur sa version la plus démonstrative.
La petite citadine française est présentée en janvier 1972. Elle arbore des lignes modernes avec des pare-chocs en plastique. Celles-ci sont dues au designer Michel Boué, qui n’aura malheureusement pas la chance de voir sa création dans les rues puisqu’il décédera en décembre 1971. Cette traction avant connaît un démarrage tranquille. Mais rapidement, comme son inspiratrice la Mini d’Alec Issigonis, toutes les couches de la société vont l’adopter et elle va rencontrer un grand succès commercial, d’abord en France, puis en Europe et enfin à l’international.
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La Renault 5 arrive au Canada pour l’année modèle 1976. C’est l’agence Cossette qui assure sa promotion au Québec. Le premier slogan est « Le chnac, ça s’attrape! ». Vous pouvez trouver des publicités d’époque sur Internet ainsi qu’un encart publicitaire tellement dingue qu’on croirait presque qu’il a été écrit par François Pérusse. Ensuite, elle prend le surnom de « chameau » pour vanter ses qualités économiques et son aversion des pompes à essence. Michel Côté et Serge Thériault ainsi que Robert Charlebois assureront sa promotion. Mais si ici la puissance ne dépassera pas les 70 chevaux, en Europe, la Renault 5 va également se faire remarquer pour ses versions vitaminées : la LS en mars 1974 (64 chevaux), la TS en mars 1975 (même puissance) et l’Alpine en mars 1976 (93 chevaux). Mais le meilleur était à venir…
Le rêve se transforme en réalité
Nous sommes en janvier 1976 et Jean Terramorsi, sous-directeur de la direction du produit de la Régie responsable des petites séries, et son adjoint Henry Lherm rentrent d’une visite de l’usine Alpine de Dieppe. Durant le trajet, ils commencent à imaginer une R5 destinée à faire du rallye. Ce qui aurait fait long feu prend la forme d’un cahier des charges pour un véhicule visant une inscription aux Groupe 3 et Groupe 4 (les catégories officielles de l’époque). Le décès de Terramorsi en août 1976 n’arrête pas le projet 822 et c’est Henry Lherm qui en reprend les rênes. Fin 1976, le cahier des charges est complété. L’objectif est de créer « un véhicule puissant, maniable, doté d’une très bonne tenue de route, capable de s’illustrer en compétition moyennant un nombre limité de modifications ». C’est à cause de ce dernier point que les 4 roues motrices, un temps envisagées, passent rapidement à la trappe. Et puis, la réglementation du Groupe 4 impose la fabrication de 400 exemplaires pour obtenir l’homologation. Il va donc y avoir au moins 400 voitures à vendre. Sans être un facteur déterminant, le prix de vente rentre tout de même en ligne de compte.
Plusieurs motorisations sont explorées : le 1,6 litre des Alpine A110 et A310 ou le nouveau 2,0 litres de la Française de mécanique (jugés pas assez puissants) ainsi que le V6 PRV (trop lourd). Le choix se porte finalement sur le « Cléon-Fonte » de 1,4 litre de la R5 Alpine… mais avec une twist. Produit à plus de 27 millions d’exemplaires, le « Cléon-Fonte » est un moteur mythique chez Renault et a motorisé une longue liste de modèles tant chez la marque au losange que chez d’autres constructeurs de 1962 à 2004 (y compris la Manic GT de 1969).
Le choix est guidé tant par des raisons techniques que marketing mais se résume à un seul mot : turbo. En effet, Renault entend déployer cette technologie, alors très peu utilisée, sur ses modèles de série et la promeut en compétition à partir de 1976. D’abord en championnat d’endurance avec l’Alpine A442 (gagnante aux 24 Heures du Mans en 1978) puis en Formule 1 à partir de 1977 (avec une première victoire en juillet 1979 au Grand Prix de France avec Jean-Pierre Jabouille au volant, ouvrant ainsi les années turbo dans cette discipline qui dureront jusqu’en 1988). Côté technique, avec le coefficient multiplicateur de 1,4 que la FIA applique sur les moteurs en compétition, la voiture pouvait courir dans la catégorie 2,0 litres et bénéficier d’un poids minimum réglementaire avantageux pour une auto de cette taille. Enfin, la marge d’évolution de la puissance était jugée satisfaisante. Le projet 822 est approuvé par la direction de Renault au printemps 1977.
Renault passe à la banque… d’organes
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la R5 Turbo a une jolie liste de parrains prestigieux. Côté technique, c’est Gérard Larousse qui est à la tête de Renault Sport (futur créateur de l’écurie Larousse en formule 1, active de 1987 à 1995), une filiale qui gère le projet. Le moteur est développé sous la direction technique de François Castaing (futur vice-président responsable de l’ingénierie d’AMC, puis de Chrysler, étant impliqué dans l’étude de la Dodge Viper originale). La conception est assurée par Philippe Chasselut, Serge Massé et Bernard Dudot (ingénieur responsable du V10 Renault de Formule 1 qui remportera six titres Constructeur consécutifs de 1992 à 1997).
Le bloc moteur est profondément revisité. Outre la greffe du Turbo Garrett qui souffle à 0,8 bar de pression (obligeant de réduire le taux de compression à 7,0:1 par rapport à 10,0:1 dans l’Alpine) avec un refroidisseur air/air et d’une injection électronique Bosch K-Jetronic, les modifications sont nombreuses : culasse, joint de culasse et vilebrequin renforcés, pistons forgés, nouvelles bielles, soupapes et chaîne de distribution, déplacement de certains périphériques (dont la pompe à eau). En fin de compte, le bloc type 840-25 développe 160 chevaux à 6 000 tr/min et 152 lb-pi de couple à 3 250 tr/min. Il est accouplé à une boîte manuelle à 5 rapports provenant de la Renault 30 TX (avec un étagement plus court).
L’ensemble motopropulseur est installé à l’arrière, entraînant de nombreuses modifications dans la structure. La suspension avant reprend la géométrie de la R5 Alpine mais avec quelques pièces spécifiques (car elle n’a plus à supporter le poids du moteur), tandis que la suspension arrière à triangles superposés trouve son origine dans l’Alpine A310 Groupe 4. Les freins à disque aux 4 roues proviennent de la Renault 17 et de l’Alpine A310 V6.
Collaboration franco-italienne
La liste des parrains de renom continue dans le département du style. C’est Marc Deschamps (futur directeur du style de Bertone de 1979 à 1990 et créateur, entre autres, de l’étonnante minifourgonnette Genesis à moteur V12 Lamborghini) qui assure les premières esquisses en 1976 sous la direction d’Yves Legal.
Le projet est ensuite envoyé au troisième trimestre de 1977 chez Bertone, en Italie. Là, Marcello Gandini (directeur du style jusqu’en 1979 et designer, entre autres, de l’Alfa Romeo Montreal et de la Lamborghini Miura) signe l’incroyable intérieur combinant le bleu et le rouge fluo avec une instrumentation et des sièges spécifiques ainsi qu’un volant asymétrique. Le carrossier réalise une première maquette complète. Enfin, l’auto revient chez Renault, où Yves Legal règle les derniers détails.
Dévoilement en trois temps
Un premier prototype est complété en mars 1978 et présenté à la direction. Après des essais sur la piste de Lardy, le feu vert final est donné. Dès le mois d’avril, c’est Heuliez qui se charge de l’industrialisation. En plus de différents prototypes destinés aux essais, une seconde maquette est fabriquée.
C’est elle qui sera dévoilée au Salon de l’auto de Paris en octobre 1978. La réaction de la presse et du public est enthousiaste. Personne ne s’attendait à un tel engin! À partir de là, la conception est confiée à une nouvelle entité de Renault : le Berex (Bureau d’Étude et de Recherches EXploratoires), lequel assurera la fin de la mise au point et la mise en production.
La seconde apparition de la Renault 5 Turbo se fait au rallye du Giro, en Italie, en octobre 1979. Elle n’est pas encore homologuée pour le Groupe 4, cependant l’organisation de ce rallye accepte des prototypes. Un bon moyen de tester les capacités de l’auto en conditions de course. Elle abandonnera à cause d’une panne moteur mais fera preuve de son grand potentiel en réalisant d’excellents temps.
La version finale est mise en production au printemps 1980. Le processus est remarquablement compliqué. Les coques nues partent de l’usine Renault de Flins pour aller chez Heuliez, à Cerisay. Là, le carrossier rallonge la caisse (par rapport à une R5 Alpine d’origine, l’empattement ne change quasiment pas mais la longueur totale passe 3,56 à 3,70 mètres), élargit les passages de roue (pneus TRX de 190/55 HR 340 à l’avant et 220/55VR 365 à l’arrière, la largeur de 1,52 à 1,76 mètre), fixe la cloison pare-feu à l’arrière et remplace les panneaux de portes, le toit et le hayon de série par des éléments en aluminium (la prise de poids est contenue à 970 kilos contre 850 pour une R5 Alpine). Les caisses partent ensuite chez Alpine, à Dieppe en Normandie, pour que les ailes et le capot en composite, le groupe motopropulseur et l’intérieur soient installés. Enfin, les autos reçoivent l’une des deux couleurs de lancement : le Bleu olympe (code 405) ou le Rouge grenade (code 759).
La Renault 5 Turbo est commercialisée le 20 juillet 1980 pour le millésime 1981. Entre l’utilisation de pièces spécifiques et un processus de production complexe, l’auto n’est pas donnée : 115 000 francs. En comparaison, une R5 de base coûte 27 300 francs et une R5 Alpine 47 700 francs. Pour ce prix, l’acheteur prend possession d’un engin capable de rouler à 200 km/h, de passer de 0 à 100 km/h en 6,9 secondes et d’abattre le kilomètre départ-arrêté en 27,8 secondes. L’équipement de série comprend une console autoradio, une montre, une boîte à outils Facom (située sur la plage arrière, au-dessus du moteur), le rétroviseur extérieur réglable de l’intérieur et l’essuie-glace arrière. La liste des options est courte : autoradio, lève-vitres électriques, pare-brise chauffant, vitres teintées et intérieur en cuir.
Un vrai jouet!
L’accueil de la presse est excellent. Dans son numéro de juillet 1980, le magazine L’Automobile explique qu’il s’agit « tout simplement du plus beau joujou automobile du siècle », rien de moins! L’essai routier confirme que la mise au point a été faite aux petits oignons. La R5 Turbo délivre un plaisir de conduire incomparable avec des performances de haut niveau, une tenue de route merveilleuse, une grande maniabilité, un freinage efficace et une excellente position de conduite. Par contre, les essayeurs regrettent un tableau de bord illisible, un volant mal dessiné, une commande de boîte mal guidée et des bruits de carrosserie. Ils ne semblent pas trop gênés par la consommation d’essence (oscillant entre 12 et 20 L/100 km, des chiffres hallucinants dans une France post-second choc pétrolier) ni par l’effet on/off du turbo (il ne se passe pas grand-chose sous les 4 000 tr/min puis la puissance déferle jusqu’à 6 000 tr/min).
Les 400 premiers exemplaires nécessaires à l’homologation sont rapidement construits et l’auto peut officiellement commencer sa carrière en rallyes en septembre 1980 au Tour de France Auto (qu’elle ne terminera pas). Toujours en septembre 1980, Renault ajoute le blanc nacré, le gris Galaxie et le noir au nuancier. À la fin de l’année calendaire 1980, ce sont 802 exemplaires qui sont produits. Il est à noter que la R5 Turbo n’a jamais été vendue en Amérique du Nord mais elle a pourtant été exposée sur le stand Renault du Salon de l’auto de Montréal en 1981.
Simplification
L’année modèle 1982 n’apporte qu’un lot de changements limités : nouvelles teintes de carrosserie (le gris Argent remplace le gris Galaxie, ajout du Brun et du bleu Marine) et améliorations techniques (jauge à huile, allumeur et carénage de la canalisation de l’air d’échangeur modifiés et déplacement des composants d’allumage).
Au millésime 1983, la version Turbo 2 remplace la Turbo. Les modifications sont significatives : substitution des portes et du toit en aluminium par des composants en acier, disparition de l’intérieur Gandini qui est remplacé par celui de la R5 Alpine Turbo de série (un modèle ajouté à la gamme en septembre 1981 et qui développe 110 chevaux) et refonte du nuancier. Par contre, la partie mécanique n’est pas touchée. En conséquence, le prix de base descend à 92 000 francs, ce qui va rendre ce modèle plus attirant aux yeux des acheteurs. Elle sera construite jusqu’au millésime 1985.
Les chiffres de production sont sujets à caution. Les plus probables sont de 1 678 exemplaires pour la Turbo et de 3 284 pour la Turbo 2. D’autres sources citent 1 690 Turbo et 3 167 Turbo 2. Dans tous les cas, la R5 Turbo a été un beau succès commercial pour Renault.
Laisser ses traces… de pneus!
Le palmarès de la R5 Turbo en compétition est un peu en demi-teinte. Certes, elle a remporté quelques épreuves du Championnat du monde (Rallye de Monte-Carlo 1981 et Tour de Corse 1982 avec à son volant le génialissime et spectaculaire Jean Ragnotti) mais c’est surtout en Championnat de France (notamment avec Ragnotti et Bruno Saby) qu’elle se distinguera ainsi que dans d’autres championnats nationaux européens. Il faut dire que Renault ne va pas lui apporter grand soutien officiel, préférant mettre tous ses efforts sur la Formule 1. Ce sont surtout des privés qui vont lui donner ses lettres de noblesse.
Différentes versions destinées à la compétition seront développées par Renault Sport. Ce sera la Cévennes en 1981 et la Tour de Corse en 1982, chacune produite à 20 exemplaires. Puis, en 1985, c’est la Maxi Turbo, qui est la variante ultime : moteur de 1 597 cm3 de 350 chevaux avec système DPV de gestion du turbo conçu en Formule 1, train avant élargi, pneus plus larges, plus gros freins, calandre avec 6 phares additionnels, modifications aérodynamiques. Une bête qui sera produite à seulement 20 exemplaires. La R5 Turbo arrête de courir avec la disparition du Groupe B, à la fin de la saison 1986.
Aujourd’hui, la R5 Turbo a laissé des traces indélébiles dans l’inconscient des amateurs d’automobiles. Renault a essayé de reprendre la recette en 2000 avec la Clio V6 (moteur en position centrale arrière et ailes hypertrophiées), mais sans autant de succès. En collection, les prix s’envolent et il est même possible d’en trouver en Amérique du Nord! Comme quoi, des fois, rarement, quand on discute sur l’autoroute, il peut en sortir quelque chose de fantastique…