L'histoire d'Aline

Publié le 12 avril 2024 dans Blogue par Antoine Joubert

Il était 4 h 35 un peu plus tôt cette semaine. Je m’apprêtais à prendre un vol depuis Montréal en direction de Toronto, après m’être levé au beau milieu de la nuit. Une dame âgée, accompagnée d’un plus jeune homme, me reconnaît dans l’aérogare. Elle s’approche timidement et m’aborde en me demandant si j’aurais deux minutes à lui accorder. Le type à ses côtés est son fils. Il ajoute qu’il comprendrait que je ne veuille pas être dérangé à cette heure, mais que l’histoire que sa maman souhaite me raconter est incroyable.

Celle-ci me mentionne ainsi qu’elle a possédé la même voiture pendant 17 ans! Une Nissan Altima 2002 gris argenté, achetée d’occasion en 2006, alors qu’elle n’affichait que 51 000 km au compteur. À l’automne 2023, la dame - prénommée Aline (qui insistait pour que je la tutoie) - revient à sa voiture toujours fidèlement entretenue, après avoir fait quelques emplettes. En la démarrant, elle remarque que l’échappement mène un train d’enfer, au point d’en avoir peur. Elle téléphone donc à son fils urgentologue qui, malgré sa journée chargée, la rejoint.

Il constate alors que le pot catalytique et une grande partie du tuyau menant à la partie arrière ont été volés… en plein jour qui plus est! Abasourdis, ils font remorquer la voiture dans un garage situé tout près. Un garage de mécanique générale inconnu mais qui, dans le contexte, fera l’affaire. D’autant plus que le mécanicien de confiance d’Aline avait récemment fermé son garage et pris sa retraite, faute de relève.

Photo: Netcarshow

Le mécanicien sur place, alors seul avec la dame puisque son fils devait retourner rapidement à l’hôpital, estime la réparation à environ 2 700 $. Il prétend que l’entièreté du système d’échappement doit être remplacée, en raison des dommages qui ont été causés. Aline est découragée, d’autant plus que ledit mécanicien mentionne que sa voiture n’en vaut pas la peine, considérant son âge et qu’il y aurait soi-disant quelques autres travaux à effectuer. Sans jamais lui indiquer qu’elle pourrait avoir recours à ses assurances pour une réclamation de vol ou de vandalisme, il lui suggère donc de téléphoner à un centre de recyclage, qui pourra venir récupérer la voiture. Au téléphone, on lui offre la somme de 275 $, en précisant que le remorquage sera gratuit. La dame est dans tous ses états, dépassée par cette succession d’événements. Quand elle raccroche, le mécanicien lui dit être en mesure de lui en offrir 800 $, parce qu’il la conserverait pour les pièces.

La dame, sans ressources, accepte donc la proposition, découragée et épuisée. Elle signe l’enregistrement, prend les 800 $ en argent comptant et appelle un taxi dans lequel elle pourra transporter ses quelques effets et ses emplettes. Le mécanicien lui remet sa plaque d’immatriculation et lui souhaite bonne chance.

C’est au lendemain qu’Aline, 79 ans, reparle à son fils pour lui raconter l’histoire. Ce dernier est alors en furie et regrette amèrement d’avoir quitté les lieux trop tôt, bien que sa maman le lui ait suggéré. C’est qu’en fait, la voiture âgée de 21 ans n’affichait que 93 000 km au compteur. Elle n’avait parcouru que 42 000 km en 17 ans, ne servant essentiellement que pour les emplettes de madame. Autrement, elle était toujours véhiculée par quelqu’un d’autre, puisqu’elle n’aimait pas conduire.

Photo: Netcarshow

Son fils me raconte que non seulement l’auto avait un faible kilométrage, mais qu’elle était en meilleur état que son propre BMW X5 2021. Une voiture carrément à l’état neuf, me dit-il, et donc arrachée des mains de sa maman par un mécanicien véreux qui, selon toute vraisemblance, était responsable de ce stratagème. C’est qu’en fait, Aline avait omis de dire à son fils que la référence du garage où ils s’étaient rendus venait d’un feuillet publicitaire laissé sur le pare-brise de la voiture, dans ce fameux stationnement du centre commercial, le même jour... On soupçonnait donc sans preuve, le mécanicien d’avoir lui-même ou via l’intermédiaire d’un autre malfaiteur, volé le système d’échappement, pour ensuite hameçonner la dame qui s’est jetée dans la gueule du loup.

Le garage étant fermé au lendemain de l’incident, lequel s’était déroulé un vendredi, c’est donc le lundi matin vers 8 h 30 que le fils d’Aline s’y est présenté pour obtenir des explications. Le mécanicien, soudainement antipathique, a expliqué au fils que la voiture avait déjà été envoyée dans un centre de recyclage, et qu’il n’avait pas de temps à lui accorder. Ce dernier aurait alors quitté les lieux, après s’être fait montrer la porte, pour se rendre accompagné de sa maman à un bureau de la Société de l’assurance automobile du Québec. Sur place, on lui a indiqué que la voiture avait été vendue à une compagnie à numéro en date du vendredi, puis revendue le même jour à un tiers. C’est à ce moment qu’Aline et son fils ont compris qu’ils s’étaient littéralement fait voler cette Altima. Une voiture pourtant sans grande valeur marchande, mais qu’elle adorait jusqu’à ce jour.

Au mieux, cette Nissan de 93 000 km aurait pu se revendre 4 000 $, peut-être 5 000 $, considérant sa condition. Or, le fils d’Aline (dont j’ignore le prénom) croit plutôt à la thèse de l’exportation, la page Facebook du garage en question informant que l’on y achète des véhicules de marques japonaises et américaines pour l’exportation. Bref, une entourloupe de la pire espèce. Mais il semble qu’à ce stade, il n’y avait rien à faire. Même la police aurait affirmé qu’il était trop tard, parce que la dame a signé et vendu sa voiture de plein gré, ne pouvant non plus faire la preuve de ce qu’ils avancent. Morale de l’histoire : si vous avez soudainement un pépin mécanique et que par « hasard », on a accolé à votre pare-brise un prospectus vous dirigeant vers un garage sans bannière, méfiez-vous. Il s’agit sans doute d’un stratagème de la pire bassesse.

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