RAMer à contre-courant

Publié le 17 mai 2024 dans Blogue par Antoine Joubert

Rien ne va plus chez les concessionnaires Stellantis, qui regroupent notamment les marques Dodge, Jeep et Ram. Les produits abordables d’autrefois ne le sont plus, et avec la hausse du coût du carburant, les camionnettes Ram prennent soudainement une débarque. Sans compter que Stellantis s’explique mal le succès mitigé des derniers produits Jeep, comme le Grand Cherokee et les Wagoneer/Grand Wagoneer, dans un contexte où les VUS de luxe connaissent de façon générale un bon succès.

D’abord, il faut comprendre que depuis plus d’un an, Stellantis Canada s’interrogeait sur l’avenir de la camionnette Ram Classic. Un modèle pleine grandeur, mais plus abordable que la concurrence à cause de sa conception vieillotte. Un modèle lancé en cours d’année 2008 et qui n’est offert aujourd’hui qu’en déclinaisons moins luxueuses, histoire de relever l’image de l’autre génération, plus moderne.

La camionnette Ram Classic représente à elle seule plus de 40% des ventes des concessionnaires Stellantis du Québec. Chez certains d’entre eux, plus de 60%. Encore une fois, en raison de son prix et de sa polyvalence, mais aussi parce que Stellantis a durant quelque temps facilité l’accès à ces modèles, à travers d’alléchantes promotions. Inutile de vous dire qu’avec une conception datant de plus de 15 ans, la profitabilité du Ram Classic est immense.

Photo: Antoine Joubert

Du moins, pour le fabricant. On avait hélas annoncé aux concessionnaires canadiens le retrait de ce modèle après 2023, ce qui a forcé bon nombre d’entre eux à commander un maximum d’unités, sachant qu’il s’agissait de leur pain et beurre. Une situation semblable à celle survenue suite au retrait de la Dodge Grand Caravan en 2020. Or, parce que le constructeur a aussi offert ristournes et cadeaux aux concessionnaires qui allaient enregistrer un maximum de ventes en fin d’année 2023, plusieurs ont choisi d’enregistrer des ventes même si elles n’étaient pas survenues... Des véhicules enregistrés et officieusement disparus des inventaires, bien que toujours en quête de propriétaires.

Ce jeu dangereux qui constitue une habitude stratégique pour ce constructeur aura toutefois fait mal aux concessionnaires, lesquels sont aujourd’hui coincés avec de gros inventaires de camionnettes à moteur V8. Celles-ci sont impossibles à louer à cause d'une valeur résiduelle trop faible, et doivent par conséquent être vendues au prix coûtant ou à perte. Par ailleurs, en raison de la hausse du coût du carburant, elles rebutent soudainement plusieurs acheteurs.

Pendant ce temps, les modèles Ram 1500 2025 débarquent en concession, avec le moteur Hurricane à six cylindres. Inutile de vous dire que l’on ne se bat pas aux portes pour se procurer ces nouveaux modèles, financés à forts taux et sur lesquels il n’y a aucun incitatif. Des camions coûtant entre 63 000 $ et 112 000 $ avant options, alors que l’on peine à vendre des Ram Classic 2023 dont le prix varie de 38 000 $ à 53 000 $.

Photo: Ram

Le problème est à ce point grave qu’au Canada, les Ram Classic, même si assemblés après le 1er janvier 2024, sont millésimés 2023. Stellantis Canada a en effet choisi d’adopter une stratégie distincte de celle des États-Unis ou du Mexique, qui bénéficient de leur côté de modèles 2024 (donc de meilleure valeur), prouvant que leur marché est ainsi plus équilibré.

Là-bas, la gestion des inventaires est plus juste, sans compter une plus grande rigueur au chapitre des offres et des publicités. Certes, la pression face à la concurrence y est féroce, mais la profitabilité des concessions demeure, sans qu’ils aient à faire toute sorte d’entourloupes fort « imaginatives ».

Parce qu’en dépit du produit lui-même, la stratégie de mise en marché y joue pour beaucoup. Cela va du mode de financement, des rabais octroyés, de l’entreprise indépendante qui gère les locations, jusqu’à la gestion d’inventaire des modèles d’occasion, qui se répercute sur la valeur marchande. Un facteur qui a longtemps été en faveur des modèles canadiens en raison des exportations - bien que plus difficiles chez Ram en raison des modèles de fabrication mexicaine, non exportables. Et puis, n’oubliez pas qu’une concession qui a vendu une première fois avec un trop grand appétit (en vendant par exemple de multiples produits et services accessoires) peinera à financer le client une seconde fois, l’équité négative sur le premier achat étant souvent trop grande.

Comprenez ainsi que les chiffres de ventes annoncés par Stellantis en fin d’année 2023, qui affichaient notamment pas moins de 75 257 camionnettes Ram (donc environ 35 000 à 40 000 Ram Classic), sont faussés. On peut certainement couper ces chiffres de 5% tout dépendant du niveau de risque individuel des concessionnaires. Considérez également qu’un large lot de véhicules vendus l’ont été via des entreprises de location à court terme. Ainsi, ces véhicules se retrouveront à nouveau dans le réseau à peine un an après leur date de mise en service.

Photo: Stellantis

Avec un inventaire élevé, une importante hausse du prix des produits et avec comme seule réelle nouveauté un Dodge Hornet pour lequel le public ne semble avoir que peu d’intérêt, les concessionnaires Stellantis se doivent cette année d’être inventifs. Et ce, en considérant de surcroît que l’aide du manufacturier n’y est pas au chapitre des incitatifs.

Alors oui, Stellantis Canada a ce talent exceptionnel pour vendre des véhicules à ses concessionnaires, sans nécessairement les accompagner par la suite. Est-ce qu’un manque de rigueur du constructeur pour contrôler certains agissements « discutables » de quelques concessionnaires délinquants expliquerait aussi le désordre actuel? Cela va de soi!

L’année 2024 est donc difficile pour Chrysler, Jeep, Dodge et Ram, qui verront leurs chiffres de vente baisser dramatiquement. Et bien que la Fiat 500e soit attrayante, impossible de compter sur elle pour renflouer les coffres. Morale de l’histoire, il se pourrait que votre concessionnaire soit soudainement plus « compréhensif » si vous avez de l’intérêt pour un de ses produits.

Un Grand Cherokee au prix coûtant? En 2024, oui, c’est possible. D’autant plus que l’on vient d’annoncer une baisse de prix significative des versions 4XE, avec lesquelles on est littéralement coincés. Mais cette annonce pourrait ne pas passer auprès public par l’actuel porte-parole, Martin Petit, dont la pertinence du rôle serait - selon la rumeur - remise en question par plusieurs concessionnaires. Sans doute, par ceux qui doivent gratter chaque dollar, faute de livrer des véhicules.

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