Porsche 911 : 60 ans de passion
La 911 est LA voiture emblématique de Porsche, un modèle à la ligne unique, que tout le monde connaît, même ceux qui ne s’intéressent pas à l’automobile. De la première 901 jusqu’à la 911 actuelle, huit générations se sont succédées. Lancée avec de grandes ambitions dans les années 60, puis développée sans relâche par la suite, Porsche avait planifié sa disparition au début des années 80.
Pourtant, les clients ont continué de lui vouer un culte inaltérable, ce qui a relancé sa carrière. Désormais intégrée à une gamme variée, la 911 fête fièrement ses 60 ans en 2024. Le Guide de l’auto a repris le volant de plusieurs modèles marquants et s’est plongé dans les archives pour vous raconter l’histoire de cette voiture iconique.
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(Ce dossier a été initialement publié dans Le Guide de l'auto 2024)
L’histoire de la marque Porsche est tellement riche qu’elle mériterait un Guide de l’auto à elle toute seule! Ce dossier ayant pour objet la Porsche 911, nous n’allons pas remonter jusqu’au début du 20e siècle pour tout vous raconter. Cela dit, une petite mise en contexte s’impose avant d’évoquer la célèbre sportive allemande. Avant de construire ses propres voitures, le bureau d’études de la famille Porsche a élaboré un certain nombre de véhicules civils et militaires dans les années 1930 et 40. Le modèle le plus emblématique étant évidemment la « Volkswagen », la « voiture du peuple » en allemand, qui recevra le nom de Beetle quelques années plus tard. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la compagnie a trouvé refuge dans une ancienne scierie à Gmünd en Autriche. L’essentiel de l’activité se résume à la réparation de véhicules militaires et agricoles. C’est à ce moment que Ferdinand Anton Ernst Porsche (surnommé Ferry), fils de Ferdinand Porsche, se lance dans la conception d’une voiture de sport portant son nom. Imaginant d’abord un projet ambitieux avec un modèle à moteur central doté de technologies novatrices, les difficultés logistiques de l’après-guerre obligent cependant ce dernier à se baser sur la Volkswagen Beetle.
Dans une usine aux moyens limités, la petite équipe de Ferry Porsche atteint son objectif le 8 juin 1948. Une date décisive pour la marque puisque sa première voiture, la 356, obtient son certificat d’homologation. Les premiers modèles sont fabriqués au compte-gouttes, puisque selon Ferry Porsche, 46 voitures sortiront des chaînes d’assemblage entre juin 1948 et mars 1951. Mais la situation évolue rapidement de manière positive. Au début des années 60, le constructeur emploie plus de 2 500 personnes et connaît un beau succès commercial avec la 356, notamment aux États-Unis. Au total, Porsche écoulera 78 000 unités, toutes versions confondues, de sa première sportive. Petit à petit, la 356 va gagner en performance et en raffinement.
Le 4 cylindres à plat, lointainement dérivé de celui de la Beetle, cubera jusqu’à 2 litres et développera 129 chevaux grâce à des matériaux plus performants et une culasse à 4 soupapes par cylindre! Le problème, c’est que la 356 arrive au bout de son développement et qu’un nouveau modèle s’impose, comme l’explique Ferry Porsche dans son autobiographie. « J’étais conscient depuis longtemps que nous ne pourrions pas continuer éternellement avec la 356. Il nous fallait la remplacer. Différentes opinions étaient formulées au sein de la compagnie, dont une selon laquelle il nous fallait concevoir une quatre places. Nous étudiâmes diverses versions à quatre places de la 356, dont une berline, un cabriolet et un coupé. Néanmoins, je décidai de construire une véritable remplaçante, avec un nouveau moteur 6 cylindres. Après tout, ce nouveau modèle se devait d’être encore meilleur que l’ancien! ».
La naissance du fameux flat-6
Au sein de l’équipe de développement moteur officiait Ferdinand Piëch, neveu de Ferry Porsche et qui prendra la tête du groupe Volkswagen 30 ans plus tard. Il y avait également Hans Mezger, un ingénieur motoriste qui a élaboré des groupes motopropulseurs pour les Porsche de route et de course. Le moteur retenu était un 6 cylindres à plat de 2 litres, toujours refroidi par air. La puissance visée s’élevait à 130 chevaux, objectif qui n’a pas été si facile à atteindre, comme l’explique Hans Mezger dans son autobiographie. « J’ai été considéré comme le père du moteur de la 901, mais en réalité il y avait une grande équipe et Ferdinand Piëch a beaucoup aidé. La conception du moteur a débuté en 1959. Le design initial était très proche de celui de la 356, avec une distribution par culbuteurs. Il y avait deux ventilateurs pour refroidir les cylindres, un de chaque côté. Ce moteur s’appelait le Type 745. Il n’a pas tourné sur le banc avant 1962, mais a été rapidement écarté car il ne répondait pas aux attentes. Les ingénieurs ont alors discuté de la possibilité de développer des culasses avec un arbre à cames en tête. Ferry Porsche a validé cette décision en janvier 1962. Ce nouveau moteur, baptisé 821, a été passé au dynamomètre pour la première fois en janvier 1963. Mais une nouvelle fois, il n’était pas à la hauteur des attentes. Nous voulions au moins 130 chevaux et il n’en produisait pas plus de 110-112 ».
Parmi les problèmes rencontrés, la lubrification du 6 cylindres n’était pas suffisamment bonne. Dans les virages, certaines pièces ne recevaient pas assez d’huile, ce qui causait des dommages. Pour y remédier, les ingénieurs de Porsche ont adopté un carter sec. Au lieu d’un gros carter situé en bas du moteur (la « pan à huile » en bon québécois…), le réservoir est déporté dans l’aile arrière et le lubrifiant rentre et sort du moteur grâce à des pompes. Cela permet d’abaisser le bloc dans la voiture et d’assurer une pression d’huile constante. Une solution technique rare sur une voiture de route à l’époque et qui avait fait l’objet de quelques réticences à l’interne à cause de son coût élevé.
Les motoristes de Porsche apportent également des modifications aux culasses, à l’admission, au vilebrequin et montent des chaînes de distribution. Ce nouveau moteur, baptisé 901, se montre nettement plus performant, comme l’explique Hans Mezger : « Passer du moteur 821 à 901 a occasionné beaucoup de changements. Il y avait deux versions qui tournaient au banc, le 901/1 et le 901/2 au début de l’année 1963. Le premier se destinait à la route et le second à la course. Pour Ferdinand Piëch, il était important que ce moteur soit une base dont la puissance pouvait être augmentée pour la compétition.
Grâce à l’expérience acquise sur le moteur que nous utilisions en Formule 1, nous avons modifié les chambres de combustion pour leur donner une forme hémisphérique. Cela a amélioré les performances, mais aussi l’économie de carburant, ce qui était un point fort de la voiture par la suite. Finalement, le moteur 901 destiné à la route est entré en production. Il développait 130 chevaux comme nous l’avions prévu ». Une puissance obtenue à 6 100 tr/min, associée à un couple maximal de 128 lb-pi à 4 200 tr/min. Refroidi par air forcé via une turbine au-dessus du moteur, le bloc est alimenté par deux carburateurs triple corps. Alors que sa durée de vie initiale prévue était de 6 à 8 ans, ce flat-6, aux spécifications techniques très particulières, va voir sa taille grossir jusqu’à 3,8 litres et battre des records de longévité. En effet, il faudra attendre la fin des années 90 pour voir une Porsche 911 équipée d’un tout nouveau 6 cylindres refroidi par eau!
Se démarquer de la 356
Techniquement, la Porsche 356 dérivait de la Volkswagen Beetle. Cela signifie qu’elle avait un châssis plutôt basique et un moteur 4 cylindres à plat disposé derrière l’axe des roues arrière. L’avantage de cette architecture, c’est qu’elle libère de la place dans l’habitacle et améliore l’accélération en ligne droite en mettant du poids sur les roues arrière. L’inconvénient, c’est que la répartition des masses est loin d’être optimale. Le manque de poids à l’avant rend la voiture sous-vireuse en entrée de virage, puis survireuse une fois inscrite en courbe à cause de l’effet « sac à dos » du moteur. La remplaçante de la 356 devant avoir quatre places (une 2+2 en réalité), il n’était pas possible de mettre le moteur en position centrale arrière. La solution du porte-à-faux arrière a donc été conservée sur la 901, qui deviendra par la suite la 911. La voiture devait être plus spacieuse, plus raffinée et afficher les mêmes performances que la 356 Carrera 2 tout en demandant moins d’entretien. Contrairement à sa devancière, la 901 délaisse la technique du châssis séparé au profit d’une construction monocoque pour une meilleure rigidité. Plus longue, plus haute et dotée d’une surface vitrée généreuse, la 901 se veut plus polyvalente que la 356. Si l’équipement demeure limité, on note tout de même la présence de cinq cadrans avec un compte-tours central et la clé de contact disposée du côté gauche, héritage de la compétition.
Des caractéristiques que l’on retrouve toujours sur la 911 actuelle. À l’arrière, deux petits sièges d’appoint rabattables permettent d’accueillir des passagers, en dépit d’un dégagement limité. Du côté des trains roulants, Porsche fait appel à des suspensions à barres de torsion assistées d’amortisseurs télescopiques afin de gagner de l’espace, notamment dans le coffre à l’avant. La colonne de direction est à crémaillère, une pratique qui n’était pas encore généralisée dans l’industrie, et la voiture ralentit grâce à quatre disques de frein. Les jantes mesurent 15 pouces et sont chaussées de pneus de 165 mm de large. Une finesse surprenante quand on y repense aujourd’hui. Du côté du design, la voiture est dessinée par Ferdinand Alexander Porsche, surnommé Butzi, le fils aîné de Ferry Porsche. Alors que les premiers prototypes, comme le projet T7, ont un toit relativement haut et quatre vraies places, la 911 adoptera finalement une ligne de type fastback.
Cela offre moins d’espace à la tête pour les passagers assis à l’arrière, mais autorise des lignes beaucoup plus profilées et harmonieuses. Une fois le design finalisé sur papier, il faut encore lui faire prendre vie en trois dimensions. C’est Erwin Komenda, qui travaille avec la famille Porsche depuis de nombreuses années, qui se charge de cette tâche. Toutefois, ce dernier avait une préférence pour la T7, ce qui a conduit à un différend entre lui et Butzi, différend qui fut aplani par Ferry Porsche lui-même. « Komenda construisit plusieurs prototypes basés sur la Type 7, nommés version 1, 2 et 3, mais chaque version devenait plus grande et plus lourde que la précédente. Je finis par m’apercevoir que Komenda ne tenait aucun compte de mes directives et qu’il voulait à tout prix construire les modèles que lui et son équipe avaient dessinés. D’autant plus qu’il était constamment en train de modifier le stylisme de mon fils, en fonction de ses goûts propres. Il me fallut donc trouver un moyen pour que le style proposé concordât avec les impératifs du travail des ingénieurs ». Ferry Porsche fait alors appel à la compagnie Reutter, qui avait déjà carrossé la 356. « Quand Komenda le sut, il fut tout d’abord sidéré, mais, au bout de quelques semaines, il se laissa finalement séduire, et son équipe dressa les plans définitifs. Il en sortit un modèle à l’échelle 1:1 : la 901 ». Un véritable coup de maître puisque les formes générales de la 911, bien que modernisées au fil du temps, demeurent fidèles au coup de crayon initial.
De la 901 à la 911
La Porsche 901 est officiellement présentée au Salon de l’auto de Francfort 1963. Aussi curieux que cela puisse paraître, elle n’est pas mise sur un piédestal face au reste de la gamme 356. Bien que l’on sache aujourd’hui que la voiture est entrée dans l’histoire, certains médias n’ont pas fait grand cas de cette première présentation, y compris en Allemagne. Par exemple, le célèbre magazine Auto Motor und Sport s’est contenté de quelques lignes et d’une petite photo sur la couverture de son numéro d’octobre 1963.
À ses débuts, la 901 connaît quelques problèmes de jeunesse, notamment la carburation qui sera revue rapidement, mais aussi la tenue de route. Pour remédier au manque de poids sur le train avant, les pare-chocs sont lestés afin d’améliorer le comportement dynamique. Dernier problème, Peugeot s’oppose à ce que Porsche utilise l’appellation 901. En effet, la marque française avait déjà déposé tous les numéros avec un zéro central, de 101 à 909. Certaines sources évoquent aussi une rancœur héritée de la Seconde Guerre mondiale, lorsque Ferdinand Porsche était impliqué dans la gestion de l’appareil de production de Peugeot pendant l’occupation allemande. Le fait que Peugeot ait mis un véto à Porsche pour la 901, mais ait autorisé BMW à vendre des 507 et Ferrari des 308 semble accréditer cette hypothèse. D’après les informations que nous avons pu recueillir, Peugeot n’a jamais intenté de procès à Porsche, se contentant de demander au constructeur allemand de ne pas utiliser le numéro 901. Porsche a accepté cette requête et changé le nom de sa voiture qui est finalement baptisée 911. Un choix qui, comme nous allons le voir, n’a pas eu d’incidence notable sur la carrière de la sportive allemande.
Toujours plus de versions
Dès le milieu des années 60, Porsche diversifie sa gamme. D’abord avec la 912, qui n’est autre qu’une 911 avec le 4 cylindres des dernières 356. Une astuce permettant de vendre la voiture moins cher. En 1966, la 911 S, plus performante, fait son apparition avec son moteur de 160 chevaux, sa suspension peaufinée et son freinage plus efficace. L’année suivante, la 912 est remplacée par la 911 T (pour Touring), qui conserve un moteur à 6 cylindres mais avec une puissance réduite à 110 chevaux. Le constructeur se lance aussi dans l’univers de la boîte automatique avec la 911 E. Côté carrosserie, l’arrivée de la version Targa à l’automne 1966 marque un jalon important. De part et d’autre d’un gros arceau en aluminium, se trouve un toit souple et une lunette arrière escamotable.
Cette dernière sera vite remplacée par un vitrage traditionnel, seul le toit demeurant démontable. La première évolution technique importante arrive en 1969, avec un allongement de l’empattement de 57 mm. Porsche augmente régulièrement la cylindrée du moteur et la puissance, tout en améliorant les trains roulants par petites touches. Une évolution pas à pas qui va devenir une marque de fabrique du constructeur. Au début des années 1970, la voiture la plus emblématique de la gamme est sans aucun doute la 911 2.7 RS. Son moteur poussé et ses pneus plus larges à l’arrière qu’à l’avant la distinguent du reste de la gamme. Voiture conçue pour la compétition, elle utilise un aileron en « queue de canard », finement étudié en soufflerie. Un appendice qui va faire entrer cette voiture dans la légende, à la grande surprise de Hermann Burst, ingénieur aérodynamicien qui a travaillé sur ce projet : « À l’époque, cet aileron était juste une réponse à un problème technique. J’ai réalisé des années plus tard que nous avions créé une icône ».
Porsche met le turbo
La première grosse évolution de la 911 arrive en 1974. Appelée Type G, cette génération connaîtra une longue carrière, qui s’étirera jusqu’en 1989. On la reconnaît surtout à ses pare-chocs à soufflets caractéristiques, montés sur la voiture pour répondre aux normes américaines. Dans la gamme 911, le milieu des années 70 est marqué par l’arrivée de la redoutable 911 Turbo, aussi appelée 930. À l’époque, l’utilisation d’un turbocompresseur était extrêmement rare.
Dotée d’un moteur de 3 litres de 256 chevaux et d’un gros temps de réponse, la 930 était surpuissante et difficile à conduire. Les modèles atmosphériques demeurent évidemment au catalogue, avec des améliorations apportées régulièrement. La 911 se vend encore bien et Porsche continue sa marche en avant avec l’arrivée d’une Turbo 3,3 litres dont la puissance atteint 296 chevaux! Pourtant, l’arrivée de la 911 SC en 1978 marque un tournant, puisque selon les dirigeants de Porsche il s’agit… de la dernière 911!
Le début de la fin?
À la fin des années 70, le développement de la Porsche 911 est ralenti. À cette époque, le directeur de Porsche est Ernst Fuhrmann, qui avait déjà travaillé chez Porsche, notamment sur le 4 cylindres de la 356 Carrera dont il est question plus haut. Avec l’arrivée de la 924 en 1976, puis de la 928 en 1978, Porsche construit des voitures avec des moteurs à refroidissement liquide et une architecture dite « transaxle » avec le moteur à l’avant et la boîte de vitesses à l’arrière pour optimiser la répartition des masses. Tout le contraire de la 911, dont le moteur est à l’arrière et refroidi par air forcé. Cela peut sembler complètement fou aujourd’hui, mais pour Ernst Fuhrmann, l’avenir de Porsche passe par les « PMA », les Porsche à moteur avant. À tel point que la disparition de la 911 est prévue pour l’année 1981! À cette décision s’ajoute une parité défavorable de la monnaie allemande face au dollar américain, ce qui augmente le coût des voitures et fait baisser les ventes. Suite à des divergences de points de vue, notamment avec la famille Porsche, Ernst Fuhrmann quitte la société en 1980, un an avant la fin de son mandat. Il est remplacé par Peter Schutz, un ingénieur américain né en Allemagne.
Convaincu que la Porsche 911 a encore un grand potentiel, il relance le développement de la voiture et valide l’arrivée d’une variante cabriolet. La version définitive est présentée à Genève en 1982 et la commercialisation débute pour l’année modèle 1983. Au départ, le toit souple est à commande manuelle et il faudra attendre 1987 pour qu’un système électrique soit proposé. Après l’ajout de cette nouvelle version au sein de la gamme, l’existence de la 911 ne sera plus jamais menacée. Dans son autobiographie, Ferry Porsche reconnaît d’ailleurs le rôle central de Peter Schutz dans la survie de la 911 : « Schutz a rendu d’appréciables services à la société. C’est lui, par exemple, qui a stoppé le déclin de la 911 en décidant de la construction du cabriolet, et qui resta inflexible pour qu’on ne laisse pas mourir ce modèle. J’affirme que nous serions dans une très mauvaise position aujourd’hui si cela avait été le cas ».
Un renouveau éclatant
Pour l’année modèle 1984, la renaissance de la 911 arrive avec la Carrera 3.2. Comme son nom l’indique, le moteur gagne 200 cm3 comparé à l’ancien 3 litres ainsi qu’un système de lubrification amélioré et un boîtier intégrant la gestion de l’allumage et de l’injection de carburant. Au total, ce moteur revendique 231 chevaux en Europe, soit 73 chevaux/litre, une valeur impressionnante pour l’époque. De notre côté de l’Atlantique, il faudra se contenter de 207 chevaux, normes antipollution obligent…
Extérieurement, la fameuse option « Turbo Look », qui fait ressembler une 911 atmosphérique à une Turbo était livrable depuis 1983. Avec l’arrivée de la Carrera 3.2, les versions Targa et Cabriolet peuvent désormais y prétendre. Les années 80 marquent aussi le développement de la célèbre 959 (voir plus bas), dotée d’une technologie très avancée et qui représente la première incursion de Porsche dans le segment des supercars. Enfin, la 911 Type G, apparue en 1974, bénéficie d’un dernier hommage sous la forme du Speedster pour l’année modèle 1989. Basée sur une 3.2 Cabriolet avec les ailes larges ou étroites au choix, cette version particulière se distingue par son toit souple et minimaliste dissimulé sous un double bossage.
Porsche 965 : et si la 911 avait eu un V8?
Dans la deuxième moitié des années 80, Porsche a envisagé de monter un V8 sous le capot de la 911. Le projet ne s’est jamais concrétisé, mais la réserve Porsche abrite encore un prototype doté d’un tel moteur. Le bloc, en provenance de chez Audi, est à refroidissement liquide. Baptisé Porsche 965, ce véhicule a roulé sur la route pour des tests, qui n’ont probablement pas été concluants.
Avec un moteur aussi lourd placé en arrière de l’axe des roues, l’équilibre général de la voiture devait trop souffrir pour que cette architecture soit adoptée. De plus, l’idée d’une 911 à moteur V8 n’aurait pas forcément plu au marché européen à l’époque. En revanche, elle aurait pu rencontrer un certain succès en Amérique du Nord.
Porsche 959, la première supercar
La Porsche 959 est tout simplement une prouesse technologique. Pour courir dans le redoutable Groupe B, il fallait produire au moins 200 exemplaires d’un modèle homologué pour la route. Outre la ligne bien plus profilée que celle d’une 911 contemporaine, le moteur a été profondément revu. D’une cylindrée de 2,8 litres, le flat-6 hérite d’un refroidissement mixte. La majorité du moteur est toujours refroidi par air forcé, mais les deux culasses utilisent du liquide de refroidissement pour un meilleur contrôle de la température. Pour améliorer le remplissage, on dénombre quatre soupapes par cylindre, deux arbres à cames en tête et un système d’alimentation avec deux injecteurs par cylindre. Et pour éviter un déjaugeage de l’huile dans les virages, pas moins de cinq pompes acheminent le lubrifiant au bloc moteur!
Le 6 cylindres à plat était gavé par deux turbocompresseurs, connectés entre eux par un système complexe permettant de diminuer le temps de réponse. Finalement, les motoristes réussissent à extirper 444 chevaux et 369 lb-pi de ce moteur. Innovation majeure chez Porsche, la 959 fait appel à un rouage intégral avec une gestion électronique du couple. Grâce à une batterie de capteurs, la puissance est répartie sur chaque essieu en fonction des besoins du conducteur. Et pour améliorer l’aérodynamique et la tenue de route, la hauteur de caisse diminue à mesure que la vitesse augmente. Cela peut sembler banal aujourd’hui, mais c’était presque de la science-fiction à l’époque!
Cette très haute technologie s’accompagnait évidemment d’un tarif salé : 420 000 deutsche marks, soit 300 000 dollars canadiens en 1987! Selon Porsche, 292 voitures destinées à la route ont été construites. En compétition, l’arrêt brutal du Groupe B a fait en sorte qu’aucune 959 n’a été engagée dans cette catégorie. Mais, contre toute attente, Porsche n’abandonne pas et s’inscrit au Rallye Paris-Dakar. Une aventure ponctuée par une victoire lors de l’édition 1986. C’est en hommage à cette voiture que le constructeur allemand a dévoilé la récente 911 Dakar.
L’arrivée du rouage intégral
La génération suivante, la 964, se distingue principalement par ses pare-chocs plus proéminents. Techniquement, les changements sont plus nombreux avec l’arrivée d’équipements comme la direction assistée, une suspension revue et un freinage ABS. Mais la principale innovation, c’est la possibilité de commander une 911 Carrera 4, dotée du rouage intégral! Cela semble banal dans la gamme actuelle, mais c’était une première à l’époque. Le moteur passe de 3,2 à 3,6 litres et reçoit un système à double allumage avec deux bougies par cylindre afin d’améliorer la combustion.
La puissance monte alors à 247 chevaux. Précision importante, c’était la première fois que la 911 affichait la même puissance en Europe et chez nous, grâce à une meilleure gestion des systèmes antipollution. En plus de l’incontournable version Turbo, la 964 a été déclinée en version RS, avec un moteur de 3,6 litres en Amérique du Nord mais de 3,8 litres en Europe! Quand on sait que la 911 a démarré sa carrière avec le même moteur cubant seulement 2 litres de cylindrée, on réalise l’ampleur du chemin parcouru.
La 993, dernière 911 « à l’ancienne »
La 911 type 993 est une voiture emblématique, parce que c’est la dernière itération dotée d’un moteur refroidi par air. Sa ligne, mêlant habilement les rondeurs des années 90 aux lignes originelles de la 901, lui donne aussi une aura particulière. Sous sa carrosserie fluide, les principaux changements concernent l’arrivée d’une nouvelle épure de suspension arrière à double triangulation, d’un rouage intégral plus performant et d’un freinage à contrôle électronique.
À l’intérieur, l’habitacle est plus cossu, avec des matériaux de meilleure qualité. Les versions Turbo évoluent également et sont uniquement disponibles avec la traction intégrale. Les moteurs de 3,6 litres à 3,8 litres de cylindrée sont peaufinés pour la dernière fois, avec une puissance oscillant entre 268 et 444 chevaux selon les modèles. Dans toute la gamme, la version la plus radicale est sans aucun doute la 911 GT (aussi appelée GT2). Destinée à la compétition, elle se base sur une 993 Turbo S mais est allégée et se passe du rouage intégral. Sa carrosserie avec un aileron spécifique est également distinctive.
Révolutionner pour avancer
Dans les années 90, la marque Porsche fait face à un sérieux problème. La 911 se vend encore bien, mais les ingénieurs arrivent au bout de son développement. Pour rester dans la course, la voiture doit évoluer en profondeur. D’autant plus que les ventes de la 928 n’ont jamais atteint les chiffres espérés. En entrée de gamme, les 924, puis 944 ont été de beaux succès commerciaux (c’est moins vrai pour la 968), mais partageaient peu d’éléments avec la 911. L’avenir passe donc par une rationalisation de la gamme et le partage d’un grand nombre de composantes pour faire des économies d’échelle. C’est la raison pour laquelle la Boxster et la nouvelle 911 type 996 se ressemblent autant. Un choix logique et rationnel, même s’il a fait tiquer certains « porschistes » à l’époque. Techniquement, Porsche repart d’une feuille blanche. Nouvelle plateforme, nouveau design avec des phares qui s’allongent vers le capot et surtout un moteur refroidi par eau!
D’une cylindrée de 3,4 litres, ce bloc permettait de diminuer le bruit dans l’habitacle et de simplifier le système de chauffage. L’absence d’ailettes de refroidissement autorisait aussi l’utilisation de quatre soupapes par cylindres au lieu de deux. Ajoutez le système VarioCam, capable de faire varier la levée des soupapes, et vous obtenez un moteur moderne, développant 296 chevaux à sa sortie. Plus confortable, plus raffinée, la 996 inaugurait aussi l’arrivée des aides à la conduite comme le contrôle de stabilité (Porsche Management System ou PSM). Pour Porsche, cette nouvelle 911 avait une mission délicate : demeurer attirante aux yeux des puristes, tout en séduisant de nouveaux acheteurs.
Une incertitude que Jacques Duval avait très bien résumée dans le Guide de l’auto 1998 : « La nouvelle 911 Carrera réussira-t-elle à obtenir la même ovation que sa devancière? Sans être réfractaire au changement, je pense que les bons souvenirs laissés par le modèle actuel ne s’oublieront pas de sitôt. En revanche, j’avoue que cette nouvelle interprétation d’un vieux thème ne me laisse pas indifférent ». Un peu plus de 25 ans après la sortie de la 996, il ne fait aucun doute que Porsche a pris la bonne décision. Les chiffres de ventes en témoignent, tout comme le choix de développer un VUS de luxe en parallèle. Bien que son arrivée ait une nouvelle fois fait hurler certains propriétaires de Porsche, l’immense succès du Cayenne a permis au constructeur de continuer de développer activement la 911, ce qui n’aurait peut-être pas été possible sans cette importante rentrée d’argent.
Porsche 911 GT1, voiture exotique et reine des 24 Heures du Mans
Entre 1996 et 1998, la Porsche 911 GT1 a connu trois versions différentes. Construite pour répondre au règlement de la catégorie GT1 en Endurance, elle était basée sur le châssis de la Porsche type 993 à l’avant, associé à un élément tubulaire à l’arrière. Contrairement à toutes les autres 911, le moteur est en position centrale arrière. Il s’agit d’un flat-6 de 3,2 litres biturbo, qui dépassera les 600 chevaux en course. Certains éléments dérivent de la Porsche 911 de route, comme les phares ou les portières. Mais tout change en 1997, avec la GT1 Evo, dont les caractéristiques techniques évoluent notablement. Les phares sont désormais ceux de la génération 996 et le châssis et la carrosserie sont revus en profondeur. Une ultime évolution arrive l’année suivante avec la GT1/98.
Bien que moins rapide que les Mercedes-Benz CLK-GTR et Toyota GT-One, son excellente fiabilité permettra à Porsche de réaliser un doublé aux 24 Heures du Mans 1998. Mais la GT1 n’est pas seulement une voiture de course. En effet, pour pouvoir courir avec cette voiture, la Fédération internationale du sport automobile (FIA) imposait aussi de produire des véhicules destinés à la route.
C’est ce que Porsche a fait avec les 911 GT1 « Straßenversion », version routière en allemand. Moins poussée que la voiture de course, elle développe tout de même 536 chevaux. La vitesse de pointe s’élève à 310 km/h, soit environ 20 km/h de moins que la 911 GT1 engagée au Mans. La voiture coûtait 1,5 million de deutsche marks en 1997, l’équivalent de 1,2 million de dollars canadiens à la même période. Porsche annonce une production totale de 21 exemplaires destinés à la route, ce qui en fait une des 911 les plus rares de l’histoire.
Le retour des phares ronds
Pour la génération suivante, la 997, Porsche fait un pas en arrière en revenant à des phares ronds. Ce sera la seule concession faite au passé, l’innovation continuant de faire partie de l’ADN de la 911. Une volonté que l’on retrouve aussi dans les deux générations qui ont suivi, à savoir la 991 et la 992 qui est vendue actuellement. Dans les années 2010 et 2020, le modèle est arrivé à maturité. Le constructeur peut compter sur des ventes solides et une excellente image de marque. La gamme actuelle, vendue en trois carrosseries principales (coupé, cabriolet et Targa), dispose toujours de deux rouages distincts (propulsion ou intégral). Selon le modèle, il est aussi possible de choisir un grand nombre de versions (Carrera, S, GTS, Turbo, Turbo S, GT3 et GT3 RS). Sans oublier les séries limitées comme l’aventureuse Dakar ou la Sport Classic qui élargissent encore le spectre.
Contrairement aux années 80 où Porsche s’adressait uniquement aux puristes, la marque s’est diversifiée et a développé toute une gamme autour de son modèle phare (Cayenne, 718, Panamera, Macan et Taycan). Le prochain défi pour la 911? Prendre le virage de l’électrification et plus largement de la mobilité dite « sans émissions ». Va-t-on conduire une 911 complètement électrique un jour? Est-ce que les carburants synthétiques, dans lesquels Porsche investit actuellement, réussiront à sauver le célèbre flat-6 au-delà de 2035? Il va falloir attendre encore quelques années pour le savoir…
Remerciements :
Un immense merci à Patrick Saint-Pierre de Porsche Canada pour toute l’aide qu’il nous a apportée, ainsi qu’à Thomas Wrobel et Kai Ross pour nous avoir ouvert les portes des archives et de la réserve du musée à Stuttgart.