Chevrolet Chevy II 1962-67 : retour aux fondamentaux
En octobre 1959, Chevrolet tente un gros pari. Tellement gros en fait que les dirigeants de la marque vont rapidement devenir nerveux et vouloir couvrir leurs arrières. Le résultat : la Chevy II.
Durant les années 50, Volkswagen vend des centaines de milliers de sa Beetle en Amérique du Nord (et partout dans le reste du monde d’ailleurs). Pas assez pour détrôner les constructeurs américains de leur monopole mais suffisamment pour les pousser à réagir. C’est pourquoi les trois grands de Detroit vont présenter presque simultanément leurs premiers véhicules compacts (Studebaker avait déjà dévoilé sa Lark pour le millésime 1959) à l’automne 1959 pour l’année modèle 1960. Les trois autos, propulsion avec moteur 6 cylindres et à construction monocoque, visent le même acheteur mais s’avèrent très différentes. La Valiant de Chrysler (considérée comme une marque à part mais deviendra une Plymouth l’année suivante) revêt des lignes… originales (façon polie de dire alambiquées), la Ford Falcon est la plus conventionnelle des trois alors que la Chevrolet Corvair se rapproche le plus de la Beetle (dans l’esprit, pas dans les dimensions) avec son moteur à plat refroidi par air en position arrière.
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Avoir la chienne
En regardant les Falcon et Valiant, la direction de Chevrolet se demande s’ils ne sont pas allés trop loin avec la Corvair et si son originalité ne va pas repousser une partie de la clientèle. La Chevrolet est commercialisée le 2 octobre 1959. Dès le mois de décembre, la décision est prise d’ajouter à la gamme un modèle compact classique à moteur avant. À la fin du millésime, force est de constater que les dirigeants de Chevrolet ont vu (plutôt) juste. Même si la Corvair a obtenu le titre de Voiture de l’année 1960 de la part du magazine Motor Trend, les chiffres de production montrent que c’est le classicisme de la Ford qui a séduit les acheteurs : 435 676 Falcon contre 250 007 Corvair et 194 292 Valiant. Le modèle à battre est bien celui qui porte l’ovale bleu.
Dans la panique, une échéance ambitieuse est fixée aux designers et aux ingénieurs : la nouvelle petite Chevrolet doit être prête pour le millésime 1962, soit dans moins de deux ans. Ambitieux lorsque l’on sait que le développement d’un nouveau véhicule prenait environ 4 ans à l’époque. Dans ces conditions-là, pas le temps de faire de la recherche fondamentale, il faut utiliser des solutions éprouvées. En même temps, tout est à créer. La Falcon sert bien évidemment de modèle étalon. Une toute nouvelle structure monocoque avec châssis auxiliaire à l’avant est conçue. Elle intègre des suspensions à ressorts hélicoïdaux à l’avant et des ressorts à lames à l’arrière composés d’une seule lame effilée pour chaque roue (afin de réduire les coûts et d’être moins sujets à la corrosion). Les dimensions générales sont légèrement plus importantes que celles de la Ford (voir ci-dessous) et le moteur à l’avant permet d’obtenir un meilleur volume de chargement que celui de la Corvair (722 litres).
Millésime 1962 |
Chevrolet Chevy II |
Ford Falcon |
Chevrolet Corvair |
Chevrolet Biscayne |
Empattement (cm) |
279,4 |
278,1 |
274,3 |
302,3 |
Longueur (cm) |
464,8 |
460,0 |
457,2 |
532,4 |
Largeur (cm) |
179,8 |
179,3 |
177,8 |
200,7 |
Poids à vide (kg) |
1 151 |
1 052 |
1 094 |
1 580 |
(berlines 4 portes 6 cylindres)
Une nouvelle génération de moteurs est également conçue : un 4 cylindres (une première chez Chevrolet depuis l’apparition du Stovebolt 6 en 1929) de 153 pouces cubes (2,5 litres) et un 6 cylindres de 193 pc (3,2 litres). Ces deux blocs reçoivent des soupapes en tête, des poussoirs hydrauliques de soupape, des pistons en aluminium, un carburateur 1 corps Rochester. Ils partagent leur taux de compression (8,5:1) et leur course (82,6 mm). Le plus petit développe 90 chevaux et le plus gros 120 chevaux. Ils se positionnent favorablement face aux 6 cylindres de la Falcon : 85 chevaux pour le 144 pc (2,4 litres) et 101 chevaux pour le 170 pc (2,8 litres). Il existe deux choix de transmissions : une manuelle 3 rapports de série et une automatique à deux rapports Powerglide optionnelle.
Les designers n’ont pas le temps d’expérimenter et tracent des lignes simples, tendues mais non dénuées d’élégance. La Chevy II sera disponible en 5 carrosseries dès son lancement : 2 portes (sedan ou hardtop), 4 portes, familiale et cabriolet (une variante qui n’existe pas encore chez Ford). Enfin, le nom fera débat en interne jusqu’à l’introduction du modèle. En fin de compte , c’est « Chevy II » qui est choisi parce qu’il commence par un C, comme les Corvair et Corvette. Le nom Nova avait un temps été envisagé, mais il servira à autre chose comme nous allons le voir plus loin.
Outil de croissance
Les équipes de développement tiennent leurs objectifs, et les premières voitures sortent d’usine en août 1961 pour une présentation le 29 septembre. Trois niveaux de finition sont au catalogue : 100, 300 et Nova 400 (un niveau 200 avait été envisagé mais n’a pas été commercialisé). Proposée à partir de 2 003 USD / 2 358 CAD, la 100 vient en trois carrosseries (2 et 4 portes sedan et familiale deux banquettes) et avec un équipement limité : accoudoirs avant, deux pare-soleil réglables, boîte à gants à serrure, plafonnier central et tapis en caoutchouc noir. La 300 offre les mêmes carrosseries (à part la familiale qui reçoit une troisième banquette escamotable dans le compartiment arrière) et propose plus d’équipements (moulures spécifiques, meilleures garnitures, sellerie tissu/vinyle, cercle d’avertisseur au volant, accoudoirs arrière, allume-cigare et tapis de couleur assortie) mais demande au moins 2 084 USD / 2 450 CAD. La Nova 400 ajoute deux carrosseries (une 2 portes hardtop baptisée Sport Coupe et un cabriolet) et profite de moulures, de garnitures et d’une sellerie plus luxueuses et du 6 cylindres de série (pas au Canada). Elle est facturée de 2 198 USD / 2 586 CAD à 2 497 USD / 2 910 $. Les options comprennent la direction et les freins assistés, les sièges baquets à l’avant, la suspension renforcée, le différentiel arrière à glissement limité, les vitres teintées, la climatisation, la peinture deux tons, les feux de recul, les essuie-glaces à deux vitesses et deux radios à transistors.
Pour un simple moyen de transport, la Chevy II est plutôt bien accueillie par la presse, qui apprécie sa taille raisonnable, sa tenue de route, son espace intérieur, son freinage et le comportement du 6 cylindres. Elle déplore le bruit dans l’habitacle et le manque de raffinement du 4 cylindres. Ce fait n’est pas négligé par la clientèle, ce moteur ne réalisant que 14% des ventes. Cela marquera pourtant la meilleure année pour le petit bloc qui, aussi à cause de l’introduction d’autres motorisations, tombera rapidement dans l’oubli pour ne réaliser que quelques centaines de ventes annuelles dans les derniers millésimes du modèle.
La Chevy II va parfaitement réaliser les objectifs que Chevrolet lui a assignés. Si les ventes de Falcon se maintiennent à un bon niveau, celles de la Corvair atteignent un record et la Chevy II amène plus de 300 000 ventes additionnelles. Combinées, les Chevrolet écrasent la concurrence (voir tableau de production à la fin du texte). À propos des chiffres de production, il existe de nombreuses différences selon les sources. Ceux indiqués dans ce texte sont les plus probables.
Chevrolet continue l’offensive pour 1963 en ajoutant une version SS (pour Super Sport) sur les Nova 400 Sport Coupe et cabriolet. Ce nom a été inauguré sur les Impala en 1961. L’ensemble comprend des moulures spécifiques et un fini argenté de la face arrière, un intérieur spécial tout vinyle avec des sièges baquets, une instrumentation complète (sauf le compte-tours), des roues de 14 pouces avec des enjoliveurs sport. Avec plus de 42 000 exemplaires produits, cette option va s’avérer très populaire auprès des acheteurs. Le reste de la gamme évolue peu : nouvelle grille, moulures latérales et sellerie, et disparition de la Nova 2 portes sedan. Chevrolet apporte des révisions au système de freinage et à l’alternateur. La Valiant a été redessinée pour 1963 et la gamme Falcon a été modifiée en cours de millésime (ajout d’un moteur V8 260 pc de 164 chevaux et introduction des modèles Futura Sprint, en coupé ou en cabriolet) mais cela n’empêche pas la Chevy II de connaître une année record. Sans l’aide de la Corvair, elle a réussi à surpasser la Falcon avec plus de 370 000 exemplaires produits contre un peu moins de 330 000 pour la Ford.
Concurrence interne
C’est l’introduction au millésime 1964 de l’intermédiaire Chevelle / Malibu dans la gamme Chevrolet qui va finalement faire le plus de mal à la Chevy II. La production des Corvair et des Chevy II s’effondre à près de 191 000 exemplaires pour chaque modèle alors que celle de la nouvelle venue monte à 338 296. Chevrolet avait même un temps pensé à supprimer la Chevy II pour 1964 avant de se raviser devant les chiffres de 1963. L’introduction des Chevelle / Malibu est aussi une mauvaise nouvelle pour la gamme Chevy II qui est fortement simplifiée avec la disparition de la finition 300, du cabriolet ainsi que des Nova Sport Coupe et Super Sport Coupe (à la demande des enthousiastes, les deux coupés seront réintroduits début 1964). Cependant, tout n’est pas tout noir : la Nova 2 portes sedan fait son retour alors qu’un 6 cylindres 230 pc (3,8 litres, 155 chevaux) est disponible en option. Mais les meilleures nouvelles restent l’ajout du V8 327 pc (4,6 litres) de 195 chevaux et de la boîte manuelle à 4 rapports. Ainsi équipée, la Chevy II s’avère très vivante, notamment grâce à son poids réduit de seulement 1 214 kilos. Plus de 25 000 exemplaires recevront le V8 (mais à peine 1 121 le 4 cylindres).
Voyant ces chiffres, Chevrolet pensera plus en termes de performances que d’économie pour le millésime 1965. La Chevy II devient un véritable muscle car avec l’ajout du V8 327 pc (5,4 litres) dans des configurations de 250 ou 300 chevaux. Ce bloc sera relativement rare en 1965 (643 exemplaires équipés) mais deviendra beaucoup plus populaire en 1966 et 1967 (10 589 et 6 181 exemplaires respectivement). La gamme connaît des améliorations classiques : feux avant et arrière revus, calandre élargie, nouveau toit sur les carrosseries sedan alors que la Nova 2 portes sedan disparaît cette fois-ci pour de bon. Les intermédiaires ont le vent en poupe et les ventes de compactes déçoivent. Celles de la Corvair remontent juste parce que le modèle a été entièrement redessiné. La situation de la Chevy II est suffisamment délicate pour que le directeur général de Chevrolet, Semon E. Knudsen, confirme au Salon de l’auto de Chicago 1965 qu’il y aura bien une Chevy II 1966.
Du tonus sous le capot
Chose promise, chose due et, cerise sur le gâteau, la Chevy II est restylée. Celle qui profite le plus du nouveau dessin, c’est la version coupé hardtop, dont les lignes de toit sont inspirées de celles du véhicule concept Super Nova, présenté au Salon de l’auto de New York 1965. Les 4 et 6 cylindres demeurent inchangés mais l’offre des V8 est revue : le 283 pc est proposé en variantes de 195 ou 220 chevaux tandis que le 327 pc développe 275 ou 350 chevaux. On est très loin des vocations économiques d’il y a 4 ans! La boîte manuelle à 4 rapports reste disponible sur tous les V8 mais la Powerglide n’est pas compatible avec le plus puissant des blocs. Les ventes redécollent, néanmoins sans atteindre celles de 1962-63.
Le millésime 1967 est placé sous le signe de la sécurité grâce à de nouvelles lois fédérales. La Chevy II hérite d’une colonne de direction à absorption d’énergie, de ceintures de sécurité avant et arrière et d’une planche de bord rembourrée. La grille est redessinée. Le 6 cylindres 230 pc est retiré et est remplacé par un 250 pc (4,1 litres) toujours de 155 chevaux alors que les V8 ne sont plus qu’au nombre de deux : 283 pc 195 chevaux et 327 pc de 275 chevaux. Pour référence, les V8 réalisent 24,4% des ventes de Chevy II tandis que le 4 cylindres n’atteint que… 0,45%!
Chevrolet Chevy II |
Chevy II SS ** |
Chevrolet Corvair |
Total Chevrolet |
Ford Falcon |
|
1960 |
250 007 |
250 007 |
435 676 |
||
1961 |
282 075 |
282 075 |
474 241 |
||
1962 |
326 607 |
0 |
292 531 |
619 138 |
396 129 |
1963 |
372 626 |
42 432 |
254 571 |
627 197 |
328 339 |
1964 |
191 691 |
10 576 |
191 915 |
383 606 |
300 770 |
1965 |
122800 * |
9 100 |
235 528 |
358 328 |
213 601 |
1966 |
172500 * |
20 986 |
103 743 |
276 243 |
182 669 |
1967 |
106500 * |
10 069 |
27 253 |
133 753 |
64 335 |
* arrondi à la centaine
** inclus dans le total Chevy II
Pour 1968, Chevrolet prépare une nouvelle génération de Chevy II, laquelle connaîtra un très joli succès commercial grâce à des lignes élégantes ainsi que des modèles SS toujours plus puissants (sans oublier la rarissime Yenko 427 de 425 chevaux) et dont les choix techniques (semblables à ceux de 1962) serviront de base à la nouvelle Camaro 1967. Mais ceci est une autre histoire…
Pendant ce temps en Acadie…
La Chevy II sera vendue au Canada dans des configurations très similaires à celles des États-Unis. Mais le réseau de GM est très disséminé à travers le pays et les concessionnaires Pontiac ont besoin d’un modèle compact, format en proportion plus populaire chez nous que chez nos voisins du Sud. Au lieu d’ajouter un modèle à la gamme, les stratèges d’Oshawa décident de créer une nouvelle marque : Acadian. Lancée dès 1962, elle comprend deux gammes : Invader et Beaumont. Les Acadian se distinguent par une calandre séparée en son milieu rappelant celle des Pontiac et des garnitures différentes de celles de la Chevy II. Tout le reste est du pur Chevrolet. Les prix de l’Acadian sont d’ailleurs très proches de ceux de la Chevy II. Elle se vendra presque aussi bien que la Chevrolet, justifiant alors sa place sur notre marché.
Pour la suite, l’Acadian connaîtra les mêmes changements techniques que la Chevy II mais sa gamme évoluera de façon différente. En 1963, une version Canso est insérée entre les Invader et Beaumont. L’année suivante, les Beaumont sont basées sur les nouvelles Chevelle/Malibu (Beaumont deviendra à son tour une marque séparée en 1966 avant de disparaître à la fin du millésime 1969) et il ne reste donc que les Invader et Canso. En 1965, une variante SD (pour Sport Deluxe) similaire à la SS est ajoutée. Le style évolue en 1966 alors que le 4 cylindres n’est plus offert. Le modèle 1967 subit les mêmes modifications que la Chevy II. Comme cette dernière, ses ventes sont en baisse.
Elle revient pourtant en 1968, basée sur la nouvelle génération. La marque Acadian sera abandonnée à la fin du millésime 1971 alors que la Ventura II se joint à la gamme Pontiac. Le pacte de l’auto avait été signé en janvier 1965 et les gammes canadiennes s’alignaient progressivement sur celles des États-Unis.