Volvo 760 et 740 : scénario catastrophe!

Publié le 7 décembre 2024 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Nous avons tous entendu parler de véhicules qui ont sauvé leur constructeur de la faillite. Chez Volvo, ça ne plaisantait pas à l’époque, car l’apocalypse était concrètement évoquée dans le nom du projet des 740 et 760! Bon, bin, y’a plus qu’à…

Le premier choc pétrolier d’octobre 1973 n’a pas été un choc que pour les consommateurs, il a aussi mis plusieurs constructeurs dans une situation difficile. C’est le cas de Volvo en 1975. Les problèmes de la compagnie sont alors multiples : la série 200 (les 240 et 260), qui vient d’être lancée l’année précédente, a quelques ennuis de fiabilité. Les clients sont à la recherche de voitures plus petites et plus économiques, Volvo n’a rien à leur proposer et les caisses commencent à se vider. Et malgré tout cela, il faut songer au futur. Facile!

Photo: Volvo

Deviner l’avenir

Certains aspects vont commencer à s’améliorer à partir de 1976. Après deux années délicates, les 200 sont maintenant à un bon niveau de qualité et, grâce au rachat de l’entreprise néerlandaise DAF, Volvo possède dans sa gamme un modèle plus compact : la 340 (qui, dans ses différentes versions, sera commercialisée à 1,14 million d’exemplaires entre 1976 et 1991).

Volvo a déjà commencé à réaliser des études préliminaires pour le replacement de la série 200 dès 1975. Déterminer les paramètres de la future voiture n’est pas chose facile car les conditions des différents marchés à travers le monde évoluent rapidement (normes de pollution et de sécurité, besoins des consommateurs). Ce qui est certain, c’est qu’il va falloir travailler avec un budget de développement serré. Le programme est initialement nommé NV80 pour « New Vehicule 80 », 80 étant la date prévue du lancement, et son chef de projet est Hans Gustavsson. L’emphase est mise sur les coûts d’opération, la fiabilité et une bonne économie d’essence. Par rapport à la 200, le nouveau modèle doit être plus habitable (empattement rallongé de 10 cm et plus large) tout en étant aussi long et peser 100 kilos de moins. L’ensemble de la partie technique (moteurs, boîtes, certains trains roulants) proviendra de la 200 avec un minimum de modifications, notamment au niveau des émissions.

Photo: Volvo

Le projet avance et Volvo reçoit des études de style préliminaires de la part de carrossiers extérieurs en plus des croquis réalisés par Jan Wilsgaard, le directeur du style de la marque. Celui-ci est entré chez Volvo en 1950 et y travaillera jusqu’en 1991, dont trois décennies en tant que directeur du design. C’est lui qui signera les lignes de l’Amazon ainsi que des séries 100 et 200. Ses croquis pour la NV80, qui va devenir P31, sont très rectilignes, ce qui réduit les coûts de production. Ce sont eux qui seront choisis par la direction.

Tic toc, tic toc, tic toc…

La situation de Volvo reste cependant économiquement délicate durant les années 1976/77 et la marque cherche différents moyens pour survivre. Une tentative de fusion avec Saab avortera à l’été 1977. Puis, c’est un accord avec le gouvernement norvégien qui prévoyait d’échanger 40% de la société contre des droits d’exploitation dans des champs pétrolifères qui est bloqué en 1978. Et oui, Volvo aurait pu devenir une compagnie pétrolière! Tout ceci concourt à amener l’équipe du programme P31 à le renommer 1155 (soit 5 minutes avant minuit en rapport avec l’horloge de la fin du monde inventée en 1947 pour dénoncer les dangers qui pèsent sur l’humanité après l’explosion des deux bombes atomiques au Japon). Bonjour l’ambiance!

Le projet est évalué par la direction de Volvo au printemps 1978, qui décide d’aller de l’avant. Un premier prototype roulant, assez proche du modèle final, est complété en janvier 1978. Ce ne sont pas moins de 3,2 millions de kilomètres qui seront effectués dans toutes les conditions de froid et de chaud. Certains prototypes seront maquillés avec une calandre Lancia. Volvo va également réaliser des tests « cliniques » auprès de la clientèle, notamment en Allemagne de l’Ouest et aux États-Unis, les deux principaux marchés d’exportation. C’est en Amérique que les réactions seront les plus positives.

Photo: Volvo

En 1979, le projet est de nouveau revu par le conseil d’administration, qui souhaite l’annuler. Il sera sauvé in extremis et prendra la désignation de Projet 01, indiquant son niveau de priorité pour assurer l’avenir de Volvo. Le développement avance pourtant bien et l’idée est dorénavant de lancer la nouvelle série 700 au Salon de l’auto de Francfort, en septembre 1981. Mais avant, la marque dévoile en février 1980 le concept VCC pour Volvo Concept Car (ils ont travaillé fort sur ce nom…) afin de préparer le public à ce qu’il s’en vient. Il présente les lignes quasi définitives de la future 760 sauf au niveau du porte-à-faux arrière, plus court que le modèle final (longueur de 4,44 mètres contre 4,80 pour le modèle de série) et plus proche des dessins initiaux de Wilsgaard. Il se distingue aussi par son spoiler avant qui se déploie automatiquement au-delà de 70 km/h, son instrumentation numérique et l’ouverture de son hayon qui empiète sur le toit.

Photo: Volvo

Septembre 1981 arrive mais pas de Volvo 760 à l’horizon. Le lancement sera repoussé au 2 février 1982 à cause de problèmes de qualité initiale. La remplaçante des 240/260 est enfin là après 7 ans d’efforts et un investissement de 3,5 milliards de couronnes suédoises (environ 740 millions CAD de l’époque, soit 2,1 milliards en 2024).

La beauté est intérieure

Ses lignes taillées à la serpe ne donnent pas à la 760 un excellent Cx (0,39) mais la vitre arrière droite permet une bonne habitabilité. Deux moteurs sont initialement offerts : un V6 de 2,8 litres développant 130 chevaux et un 6 cylindres turbo diesel de 2,4 litres développant 106 chevaux. Le premier est issu de l’association de Peugeot, Renault et Volvo pour sa conception (d’où son nom PRV). Il devait initialement être un V8 (d’où son ouverture à 90 degrés, inhabituelle pour un V6) mais deux cylindres seront enlevés suite au premier choc pétrolier. Il sera monté dans de nombreux modèles, y compris la DeLorean DMC-12.

Le second est fourni par Volkswagen. Les boîtes manuelle et automatique ont chacune 4 rapports. L’essieu arrière rigide est dit à « voie constante », une innovation brevetée par Volvo. Les freins sont à disque aux 4 roues et la direction à crémaillère. À l’intérieur, les sièges sont conçus pour empêcher les occupants de glisser sous leur ceinture de sécurité en cas d’accident.

Photo: Volvo

L’accueil de la presse européenne est assez unanime : la 760 GLE n’est pas très belle mais elle est bien construite, elle tient bien la route et offre un rapport prix/équipement assez intéressant face aux Audi 100, BMW 528 et autres Mercedes-Benz 230 et 280 (W123).

Des impressions qui sont partagées par le Guide de l’auto dans son édition 1983 : « Si ses lignes ne sont pas tellement enthousiasmantes, son confort, sa tenue de route et ses performances en font une voiture qui possède un agrément de conduite très certain. L’aménagement intérieur peut difficilement être critiqué : la visibilité est excellente, la finition impeccable, l’espace vaste; en outre, les sièges y sont confortables, les places de rangement à l’infini et les instruments et commandes bien placés grâce à un tableau de bord et une console centrale orientés vers le conducteur. » Parmi les défauts relevés, on note des freins peu assistés, des sièges difficiles à ajuster, un accès aux places arrière difficile et des bruits de vents à haute vitesse.

Photo: Volvo

La 760 finit à la troisième place de la « Voiture européenne de l’année 1983 » derrière deux très importantes nouveautés : l’Audi 100 et la Ford Sierra.

Extensions de gamme

Les modèles de série 700 ont été commercialisés partout à travers le monde, ce qui veut dire qu’il existe une multitude de motorisations et de versions. Les changements peuvent ne pas arriver partout au même moment. Les lignes qui suivent vont s’attacher à décrire les évolutions sur le marché canadien telles qu’indiquées dans les différents Guide de l’auto.

Le millésime 1984 voit l’apparition d’une troisième motorisation pour la 760 : un 4 cylindres 2,3 litres turbocompressé avec refroidisseur d’air développant 157 chevaux. L’année suivante marque l’arrivée de la 740. Auparavant, on pouvait lire le nom du modèle comme suit : numéro de la série, nombre de cylindres et nombre de portes. Mais avec le temps, les permutations sont devenues plus nombreuses et cette nomenclature ne voulait plus dire grand-chose.

Par exemple, la 760 Turbo aurait dû s’appeler 740. On peut résumer la nouvelle 740 comme étant un modèle avec moins d’équipement de série et des choix de motorisations différents. Pas de 6 cylindres donc pour la 740, mais un 4 cylindres de 2,3 litres développant 114 chevaux en version atmosphérique et 160 chevaux en version turbo (même puissance dans la 760). La 740 aurait logiquement dû remplacer la 240, mais celle-ci se vendant encore très bien reste au catalogue. Quant à la 760, ses 6 cylindres ne sont accouplés qu’à des boîtes automatiques.

Photo: Volvo

Les familiales 740 et 760 sont introduites pour le millésime 1986. Présentant la même longueur que les berlines, elles sont cependant un peu plus hautes (1,43 mètre contre 1,41) et offrent un volume de chargement pouvant aller jusqu’à 2 120 litres. Dans la bonne tradition Volvo, ce type de carrosserie va connaître un large succès et représentera 32% de l’ensemble de la production de la série 700 (voir tableau en fin de texte). Les amateurs d’économie seront par contre déçus puisque la version turbo diesel n’est plus commercialisée. L’année modèle 1987 est d’abord et avant tout marquée par l’arrivée du coupé 780 (qui a déjà bénéficié d’un historique à part sur ce site) et ainsi que de révisions significatives sur le V6 PRV pour réduire sa consommation et améliorer sa puissance (145 chevaux). La 760 est profondément revue pour 1988 : calandre plus aérodynamique, nouvelle suspension arrière indépendante multibras sur les berlines (l’essieu reste rigide sur les familiales) et planche de bord modifiée. La 740 continue sans changements.

Photo: Volvo

Ce qui n’est pas le cas pour 1989 puisqu’elle reçoit une motorisation additionnelle sous la forme du 2,3 litres atmosphérique doté d’une culasse à 4 soupapes par cylindres avec double arbre à cames en tête (159 chevaux). Le turbo est révisé pour 1990. Plus compact pour une réponse plus rapide, il permet de faire passer la puissance à 163 chevaux. La 760 bénéficie de feux arrière redessinés.

Photo: Volvo

Les survivantes

Les remplaçantes des 740 et 760, les 940 et 960, sont présentées à l’automne 1990. Il ne s’agit en fait que d’un restylage important (au moins pour les berlines, car les familiales restent très proches) accompagné d’améliorations de la partie mécanique et de l’intérieur. Au Canada, pour le millésime 1991, la 760 est retirée en attendant la venue de la 960. La 940 arrive chez nous avec soit le moteur 16 soupapes soit le turbo. Mais la 740 fait de la résistance et reçoit même un tableau de bord redessiné.

Et que devient la 240 dans tout ça? Elle est encore et toujours commercialisée! La 960 arrive pour l’année modèle 1992 et la 740 n’est plus disponible qu’en version familiale et sans le moteur turbo. La 740 est finalement retirée du catalogue pour le millésime 1993. Et l’ironie de tout cela, c’est que la 240 est encore offerte, pour une dernière année. Increvable!

Photo: Volvo

Les 740 et 760 seront produites en Suède et en Belgique et seront même assemblées (à partir d’ensembles CKD) à l’usine d’Halifax, en Nouvelle-Écosse (ouverte en 1963 et fermée en 1998), ainsi qu’en Australie.

Production

760 berline

 183 864

760 familiale

 37 445

740 berline

 650 443

740 familiale

 358 952

780

 8 518

Total série 700

1 239 222

L’apocalypse n’aura pas eu lieu pour Volvo et la série 700 aura effectivement bien renfloué les coffres de son constructeur. Si l’on compte la série 900 (produite à 632 710 exemplaires), le châssis aura été produit jusqu’en 1998. C’est très bon pour la rentabilité tout ça!

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