Chrysler 1974-78 : un timing affreux!

Publié le 14 décembre 2024 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Imaginez : vous développez une nouvelle génération de modèles pleine grandeur, vous faites vos devoirs en matière de design et sortez un produit bien dans l’air du temps. À peine trois semaines plus tard, des évènements à l’autre bout du monde viennent démolir tous vos plans.

Les Chrysler 1969-73 se sont plutôt bien vendues. Mais leur style dit « fuselage », très distinctif et apprécié au lancement, a rapidement pris un coup de vieux. La ceinture de caisse haute et les surfaces vitrées réduites n’étant pas nécessairement au goût de tous.

Photo: Chrysler

Différentes dehors, similaires en dessous

C’est pourquoi Elwood P. Engel, directeur du design de Chrysler depuis novembre 1961, décide de changer son fusil d’épaule. Il va demander au directeur du studio Chrysler, Don Wright, et à son designer en chef, Gerry Thorley, de rabaisser de deux pouces la hauteur de la ceinture de caisse des nouveaux modèles, permettant ainsi d’augmenter la taille du vitrage. Il veut des lignes nettes et sans trop de fioritures. Les proportions des autos sont classiques mais offrent des détails agréables à l’œil comme la grille de calandre haute, le cerclage chromé des phares avant ou la ligne de bas de caisse qui prend un décroché en avant des roues arrière (spécialement quand elle est complétée par des appliques argentées sur les New Yorker). Là où elles sont le plus réussies, c’est avec les jupes d’ailes arrière (en option sur les Newport et de série sur les New Yorker et Town & Country). Après avoir favorisé les pare-chocs enveloppants pour les millésimes 1969-1972, les designers étaient revenus à des éléments classiques en 1973 afin de respecter les nouvelles normes d’impact fédérales. Les modèles 1974 vont continuer dans la même direction.

Photo: Chrysler

Comme précédemment, les berlines et coupés reposent sur un empattement de 124 pouces (3,15 m) mais également, et c’est nouveau, les familiales (dont l’empattement était de 122 pouces auparavant). Et contrairement à l’adage « bigger is better » (plus c’est gros mieux c’est) en cours dans l’industrie à l’époque, les dimensions sont en baisse de 13 cm pour les berlines (5,72 m) et de 5 cm pour les familiales (5,78 m). Par contre, le poids est en hausse : + 102 kg pour une berline (2055 kg) et + 64 kg pour une familiale (2229 kg). L’essentiel de la partie mécanique est repris de la génération précédente : construction monocoque, suspension à barres de torsion à l’avant et ressort à lames à l’arrière, essieu arrière rigide et la quasi increvable transmission automatique 3 rapports Torqueflite A-727.

Pour les moteurs, rien de bien nouveau non plus. Tous font appel à un allumage transistorisé. Selon les années, les V8 proposés des deux côtés de la frontière diffèrent. Ce texte se réfère uniquement aux gammes canadiennes. Les Newport viennent de série avec un 400 pouces cubes (6,6 litres) à carburateur 2 corps développant 185 chevaux et 315 lb-pi de couple. En option, elles peuvent recevoir le même 400 pc mais avec un carburateur 4 corps donné pour 205 chevaux et 310 lb-pi. Les New Yorker et familiales Town & Country bénéficient quant à elles du 440 pc (7,2 litres) à carburateur 4 corps bon pour 230 chevaux et 350 lb-pi (optionnel sur les Newport). Le radiateur a été avancé de 16 cm pour faciliter l’accès au moteur.

Photo: Chrysler

Du choix de série… et en option

Les Chrysler 1974 sont disponibles en quatre carrosseries (4 portes, 4 portes hardtop, 2 portes hardtop et familiale) et 5 gammes : Newport, Newport Custom, New Yorker (la seule qui ne peut pas être en 2 portes), New Yorker Brougham et la familiale Town & Country. Les T&C peuvent être commandées en 6 ou 9 places (avec une troisième banquette repliable dans le coffre), peuvent charger la très importante planche de 4x8 et viennent, fidèles à la tradition, avec des côtés en faux bois. Leur porte arrière (avec vitre électrique de série) peut s’ouvrir soit sur le côté soit se rabaisser. Toutes les Chrysler viennent de série avec la direction assistée, les freins à disque à l’avant et à tambour à l’arrière et un nouveau système de ventilation.

Les New Yorker reçoivent des intérieurs avec de plus belles garnitures et de meilleures selleries mais ne se distinguent guère des plus plébéiennes Newport en termes d’équipement de série. Tout ou presque est en option : climatisation, régulateur de vitesse, lampes de virage (placées dans le bas des ailes avant), différentiel à glissement limité, dégivrage arrière (sur les berlines seulement), verrouillage central, vitres électriques (de série sur New Yorker Brougham), radios, système d’alarme, volant inclinable, vitres teintées, ensemble remorquage (léger de 2 000 livres ou lourd de 7 000 livres), suspension renforcée ou toit en vinyle.

Prix CAD

Newport

Newport Custom

New Yorker

New Yorker Brougham

Town & Country

1974

4 863 $ - 5 024 $

5 283 $ - 5 477 $

6 108 $ - 6 359 $

6 552 $ - 6 803 $

6 086 $ - 6 256 $

1975

5 642 $ - 5 821 $

6 040 $ - 6 255 $

7 362 $ - 7 642 $

7 061 $ - 7 251 $

1976

5 633 $ - 5 813 $

6 049 $ - 6 265 $

7 607 $ - 7 750 $

6 910 $ - 7 101 $

1977

5 767 $ - 5 905 $

7 536 $ - 7 678 $

6 972 $ - 7 278 $

1978

6 652 $ - 6 740 $

8 711 $ - 8 837 $

L’essai d’une Newport Custom 2 portes avec moteur 400 pc 4 corps dans le Guide de l’auto 1974 est relativement positif : « Le tableau de bord est bien présenté. […] La boîte à gants est même logée au centre du tableau de bord pour un accès plus facile. […] Malgré ses 205 chevaux obtenus à 4 400 tr/min, le moteur de la Chrysler Newport Custom n’est pas très vivace, surtout à bas régime. Une fois lancée, la voiture est rapide et possède de bonnes performances, mais le moteur met du temps à manifester sa puissance. […] Comme à peu près toutes les voitures construites par Chrysler, la Newport Custom n’est pas aussi silencieuse et n’a pas la même douceur de roulement que certains autres modèles du genre. Par contre, elle est beaucoup plus habile en virage et sa maniabilité est supérieure, compte tenu de son encombrement. […] Avec les pneus radiaux (un peu bruyants sur certains revêtements), la Newport est sous-vireuse à la limite d’adhérence, mais dans des conditions raisonnables. » Le 0 à 60 mph est mesuré à 11 secondes et le quart de mille est réalisé en 18,4 secondes. Quant à la consommation, mieux vaut ne pas s’attendre à des miracles : « En roulant très paisiblement, nous n’avons pas pu faire mieux que 13 m/g » (soit 21,7 L/100 km).

Photo: Chrysler

Le début des emmerd…

Les Chrysler 1974 sont introduites sur le marché le 25 septembre 1973. Suite à la guerre du Kippour, l’OPEP (l’organisation des pays exportateurs de pétrole) impose un embargo aux États-Unis le 17 octobre 1973. Celui-ci durera jusqu’en mars 1974. Dans le même temps, le prix du baril quadruple. Du jour au lendemain, les grosses voitures ne sont plus à la mode. Chrysler sera même critiquée d’avoir lancé ses nouveaux modèles à ce moment-là. Un genre de commentaire purement démagogique lorsque l’on sait que cela prend de 3 à 4 ans pour développer un nouveau véhicule. Mais les chiffres sont imparables : par rapport au millésime 1973, la production de 1974 est divisée par deux (117 373 exemplaires contre 234 229). Il faut dire aussi que la qualité de construction, pas toujours reluisante dans les véhicules de la génération précédente, n’a pas non plus fait de gros progrès. Ce qui n’aide pas… Alors que Ford et GM arrivent à rester dans le vert pour l’exercice 1974, Chrysler perd 52 millions de dollars. C’est le début des ennuis pour la corporation, qui vont durer tout au long des années 70.

Pour 1975, le rayon de soleil pour Chrysler, la marque, est le coupé Cordoba qui va réaliser des ventes inespérées. Du côté des modèles pleine grandeur, la New Yorker est retirée du catalogue. Les calandres et pare-chocs avant sont révisés pour faciliter le refroidissement du moteur. Et justement, il y a du changement dans l’offre des motorisations : le 400 pc 2 corps est supprimé, le 400 pc 4 corps devient le bloc de série des Newport (195 chevaux) et est disponible dans les New Yorker Brougham et T&C. Le 440 pc voit sa puissance passer à 215 chevaux et un 360 pc (5,9 litres) est disponible en option pour ceux qui veulent rouler à l’économie (tout est relatif, bien sûr…). Les pneus radiaux sont installés de série tandis qu’un indicateur d’économie (baptisé Fuel Pacer) est proposé en option. Ce système, qui mesure la pression dans le collecteur d’admission, indique au conducteur s’il a le pied trop lourd en allumant une lumière placée sur l’aile avant. À l’intérieur, les garnitures et selleries sont révisées. Dans un marché en dépression, les ventes ne baissent « que » de 13,6% (voir tableau de production à la fin du texte).

Photo: Chrysler

L’Imperial est morte, vive l’Imperial!

Il nous faut maintenant parler d’Imperial. Ce nom existe chez Chrysler comme étant le modèle au sommet de la gamme depuis 1926. À partir de 1955, Imperial devient une marque à part entière, destinée à lutter contre Cadillac et Lincoln. Après des débuts prometteurs (37 593 exemplaires en 1957), les ventes stagnent et ne parviennent à dépasser les 20 000 exemplaires qu’une seule fois, en 1964. Des autos uniques vendues en si petites quantités ne peuvent pas être rentables et c’est pour cela que la direction de Chrysler décide de confondre la base technique des Imperial avec les Chrysler pour le millésime 1969 (sur un empattement de 127 pouces). Par rapport à 1968, la production passe de 15 361 à 22 077 exemplaires. Mais le succès est de courte durée : 11 816 exemplaires en 1970 et 11 558 en 1971. C’est là qu’est prise la décision de tout simplement supprimer la marque pour 1974.

Alors que les lignes des Newport et New Yorker 1974 sont déjà figées, les stylistes imaginent une éventuelle Imperial et y greffent une calandre en forme de chute d’eau. Elwood Engel voit le dessin, l’aime et demande de réaliser une maquette en argile à l’échelle 1. Lorsqu’il la montre à John Riccardo, le président de Chrysler, il lui dit : « Vous l’aimez? Mais vous ne pourrez pas l’avoir, ce n’est pas dans le programme ». Le fruit défendu était trop mûr et Imperial connaitra un millésime 1974 (aidé aussi probablement par un frémissement des ventes en 1972 et 1973). Mais les autos reposeront sur le même empattement de 124 pouces que les Chrysler. Il fallait couper dans le budget.

Photo: Chrysler

Cependant, l’accueil de ces nouvelles Imperial est pour le moins tiède : 14 483 exemplaires en 1974 et 8 830 en 1975. Cette fois-ci, le couperet tombe pour de bon! Mais plutôt que de laisser de l’outillage à l’abandon, Chrysler va réaliser un tour de passe-passe : la New Yorker Brougham 1976 devient essentiellement l’Imperial LeBaron 1975. Certaines décorations changent bien évidemment, il y a moins d’équipement de série (notamment la climatisation), les freins deviennent des tambours à l’arrière et il n’y a que des carrosseries hardtop. La substitution sera bien appréciée des consommateurs et les ventes de New Yorker Brougham augmentent de 53% par rapport à 1975 (une bonne chose pour Chrysler puisque ces modèles sont plus rentables).

Photo: Chrysler

La Newport Custom en profite alors pour reprendre les éléments esthétiques de l’ancienne New Yorker Brougham. L’offre des motorisations n’évolue pas par rapport à 1975, seules leurs spécifications changent : 170 chevaux pour le 360 pc, 205 chevaux tant pour le 400 pc que le 440 pc (mais ce dernier délivre 320 lb-pi contre 305 pour le 400). Le succès de la New Yorker Brougham ne réussit pourtant qu’à stabiliser les ventes, qui progressent de 0,2%.

Photo: Chrysler

En attendant la seconde crise…

Chrysler consolide sa gamme pleine grandeur en éliminant la Newport Custom pour 1977, la Newport héritant des attributs extérieurs de la Custom. Les intérieurs sont revus et les ingénieurs parviennent à gagner quelques kilos (toujours bon pour l’économie d’essence). Le Canada adopte les moteurs « Lean Burn » un an après les États-Unis. Cette technologie comprend un calculateur électronique et 8 capteurs pour ajuster idéalement l’avance à l’allumage dans toutes les conditions de circulation afin de réduire les émissions polluantes. Mais ce système acquerra une mauvaise réputation de fiabilité et plusieurs utilisateurs à bout l’enlèveront pour remettre un distributeur classique. Les puissances passent à 195 chevaux pour le 400 pc et à 200 pour le 440 pc. Le 360 pc n’est plus proposé en option. La production progresse de 58,6%, probablement aidée par le spectre du choc pétrolier qui s’éloigne et l’introduction des modèles pleine grandeur de GM, plus petits et plus légers, qui a possiblement effrayé une partie de la clientèle traditionaliste.

Photo: Chrysler

Mais cette reprise ne durera pas : la production baisse de 48,2% pour 1978. Les changements sont pourtant assez significatifs pour cette dernière année de présence sur le marché : suppression de la Town & Country, calandre de la New Yorker Brougham redessinée, équipement et garnitures modifiées, ajout d’un verrouillage de convertisseur sur la boîte automatique et le 400 pc devient le moteur de série sur tous les modèles tandis que le 440 pc est toujours offert en option.

Newport

Newport Custom

New Yorker

New Yorker Brougham

Town & Country

Total

1974

49 696

27 667

6 138

25 678

8 194

117 373

1975

41 670

27 080

26 039

6 655

101 444

1976

28 387

27 928

39 837

5 539

101 691

1977

76 389

76 342

8 569

161 300

1978

38 955

44 559

83 514

Total

235 097

82 675

6 138

212 455

28 957

565 322

La situation financière de Chrysler se dégrade (pertes de 204,6 millions pour 1978), notamment à cause des Dodge Aspen et Plymouth Volaré, dont le lancement a été pour le moins raté. Mais vous savez quoi? Les choses vont encore s’empirer avec la présentation de la nouvelle génération de modèles pleine grandeur en 1979 (les R-Body), dont les ventes vont être si faibles qu’elle ne restera sur le marché que trois ans. Ceci étant en partie dû au second choc pétrolier de 1979 (mais pas que…). Décidément, Chrysler avait un sacrément mauvais sens du timing! Heureusement, elle se rattrapera dans les années 80, mais ceci est une autre histoire…

À voir aussi : Antoine Joubert vous présente la brochure de la Chrysler New Yorker 1983

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