Buick Riviera 1995-99 : essai non transformé
La carrière de la Buick Riviera a connu de jolis hauts et d’affreux bas. Même de belles lignes ne parviendront pas à sauver un nom qui avait été trop malmené.
Comme vous le savez peut-être, la Buick Riviera de 1963 est la réponse de GM au passage avec succès de la Ford Thunderbird de coupé 2 places à 4 places en 1958. Ses lignes sculpturales vont lui permettre de rapidement s’installer sur le marché. Passer derrière un classique instantané n’est pas chose facile mais la Riviera de seconde génération s’acquittera remarquablement de sa tâche de 1966 à 1970. Fait important, elle devait passer à la traction avant comme les Oldsmobile Toronado 1966 et Cadillac Eldorado 1967 mais Buick résistera et la Riv’ restera une propulsion jusqu’en 1979.
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Le succès… puis le crash!
Les années 70 ne seront pas faciles pour le coupé de luxe de Buick. Le design flamboyant de la génération 1971-73 (voir ci-dessous) ne se traduira pas par des ventes… et le restylage plus conventionnel de 1974 non plus d’ailleurs. En 1977-78, la Riviera de cinquième génération quittera momentanément ses cousines Eldorado et Toronado pour reposer sur la plateforme B des modèles pleine grandeur, qui viennent de subir un régime significatif.

GM rationalise ses gammes (enfin, essaye de…) et il n’est plus question pour la Riviera de ne partager qu’une partie de sa plateforme avec les Oldsmobile et Cadillac. Pour le millésime 1979, la Riviera passe donc à la traction avant et tout le monde repose sur le même châssis E-Body. Et cela fera beaucoup de bien au modèle, dont la production montera de 20 535 en 1978 à 52 181 en 1979. Ce qui correspond à un gain de 154% alors même que le second choc pétrolier montre le bout de son affreux nez! La sixième génération a réussi à toucher les acheteurs et elle sera celle qui connaîtra le plus grand succès commercial de l’histoire du modèle avec 370 282 exemplaires produits en 7 millésimes (soit une moyenne de 52 897 exemplaires par an, retenez bien ce chiffre).

Le premier round de réduction du poids (1977-79) a été une vraie réussite pour GM. Mais suite à la deuxième crise du pétrole, la compagnie choisit de réaliser un deuxième round tout aussi drastique pour les millésimes 1984 à 1986. Les Toronado, Riviera et Eldorado subissent une seconde cure d’amaigrissement, trop radicale au goût des consommateurs. Trop petites, trop proches en matière de style de modèles au pédigrée moindre (les N-Body Pontiac Grand Am, Oldsmobile Calais et Buick Skylark) et pas très bien construites, les nouvelles E-Body font fuir les acheteurs potentiels.

Dans le cas de la Riviera, le millésime 1986 se solde par une production de 22 138 exemplaires contre 65 305 en 1985, soit une baisse de 66,1%! Pour GM, c’est brutal. La compagnie procède à des restylages importants de la Riviera en 1989 (+28 cm sur la longueur, au profit des porte-à-faux) et de la Toronado en 1990 (+31 cm). L’Eldorado est à peine retouchée mais sera complètement redessinée pour 1992. Les vents redécollent… un peu, temporairement. La Riviera de septième génération est produite jusqu’en 1993 à 120 009 exemplaires (soit une moyenne de 15 001 exemplaires par année; 71,6% de moins que la sixième). La Toronado ne s’en remettra pas et il faudra attendre 1995 pour qu’une nouvelle Riviera fasse son apparition.

Des rondeurs là où il faut
Si la clientèle n’a pas raffolé des E-Body 1986, c’est également le cas des designers de GM, qui ont eu de grandes difficultés à travailler avec ce qu'a développé l’ingénierie. Cela inclut Bill Porter, directeur du design extérieur 1 de Buick de 1979 à 1996 (en photo ci-dessous, à gauche, avec Paul Tatseos, responsable du style intérieur). Dans une entrevue, il déclarera avoir trouvé l’expérience pénible. Porter est rentré chez GM en 1957. De 1963 à 1979, il sera chez Pontiac où il participera aux très belles années de la marque. C’est sous sa direction, et grâce à l’impulsion de Chuck Jordan, le vice-président responsable du design de GM de 1986 à 1992, que Buick retrouvera une identité stylistique propre dans les années 90 et 2000.

Les études de style pour la huitième génération de Riviera commencent en 1988. Les premières maquettes sont très inspirées par le concept Lucerne, présenté en janvier 1988 (voir ci-dessous). Puis les stylistes évoluent vers des rondeurs plus marquées, soulignées par quelques arêtes bien placées. À l’automne 1989, les lignes sont essentiellement finalisées. Porter proposera même un modèle 4 portes, mais la direction de GM avait décidé de ne produire qu’un seul coupé et une seule berline sur la plateforme traction avant G-Body. La berline en question sera l’Oldsmobile Aurora (1995-99).

La Riviera est initialement prévue pour 1992. Elle sera repoussée une première fois à 1993 puis finalement à 1995. Car il faut dire que GM est à ce moment dans une situation catastrophique. La compagnie a alors accumulé près de 30 milliards USD de pertes entre 1990 et 1992 et doit se concentrer sur ses projets les plus vitaux. C’est pour cela qu’il n’y aura pas de Riviera en 1994.
Rigide mais molle
Les nouvelles Riviera arrivent en concessions en avril 1994 pour le millésime 1995. Le moins que l’on puisse dire c’est que les lignes font sensation et que l’auto est une digne descendante du modèle original. Elles reposent sur un empattement de 2 891 mm (le même que l’Aurora) et mesurent 5 263 mm de long. Elles pèsent 1 716 kilos et Buick se vante de leurs caisses particulièrement rigides. Au lancement, la seule mécanique est le traditionnel V6 Buick 3,8 litres dans sa forme à compresseur (225 chevaux à 5 000 tr/min et 275 lb-pi à 3 200 tr/min). L'unique boîte disponible est une automatique à 4 rapports.
Cette mécanique permet à la Buick d’avoir des performances équivalentes à certaines de ses concurrentes équipées d’un V8. Dans son édition 1995, le Guide de l’auto annonce un 0 à 100 km/h en 7,7 secondes alors qu’une Cadillac Eldorado Touring dotée du V8 Northstar de 4,6 litres développant 300 chevaux réalise le même exercice en 8,8 secondes. En juin 1994, le V6 à compresseur passera dans la liste des options lorsque le nouveau V6 3,8 litres « Series II » atmosphérique arrivera (205 chevaux à 5 200 tr/min et 230 lb-pi à 4 000 tr/min). Le 0 à 100 km/h montera alors à 8,2 secondes.

La Riviera 1995 est dotée d’une suspension indépendante aux 4 roues (McPherson à l’avant et bras tirés avec correcteur automatique d’assiette à l’arrière) et d’une direction à crémaillère à assistance variable. Elle est clairement calibrée pour le confort… peut-être un peu trop, ce dont se plaindra le Guide de l’auto : « À quoi bon dessiner une caisse très rigide pour ensuite saboter le travail avec des amortisseurs remplis de guimauve? Les virages pris à vive allure se traduisent par un important roulis de caisse. La direction est passablement précise, mais elle a été atténuée dans ses réactions pour être au diapason du reste de la voiture. »

L’intérieur, supposément inspiré du modèle 1963 et réalisé par Paul Tatseos, est très élégant mais certains lui reprocheront son ambiance très « monochromatique ». Le modèle vient de série avec une sellerie en tissu et des sièges avant divisés 55/45 avec réglages électriques. La Riviera peut donc confortablement accueillir 6 personnes. Il est bien sûr possible de commander l’intérieur en cuir ou bien des sièges baquets avec console centrale. L’équipement de base comprend ABS, contrôle de traction, pneus 225/60R16 sur des roues en aluminium, coussins gonflables conducteur et passager, régulateur de vitesse, radiocassettes à 6 haut-parleurs, volant inclinable, verrouillage central et vitres électriques. Les options se limitent au toit ouvrant en verre, aux radios (CD ou CD+K7) et au siège conducteur chauffant avec mémoire. Le prix de base de la version de lancement (avec compresseur) est de 38 025 CAD. À titre de comparaison, une Cadillac Eldorado demande 49 405 CAD, une Lincoln Mark VIII 49 895 CAD et une Acura Legend Coupé 52 000 CAD.

La nouvelle venue est plutôt bien accueillie et la production du millésime 1995 (certes allongé) monte à 41 442 exemplaires. C’est beaucoup, beaucoup mieux que les chiffres de 1993 (4 555 exemplaires) et nettement plus que la moyenne de la précédente génération. Tous les espoirs sont donc permis!
Le vent a tourné
Le millésime 1996 marque l’arrivée du V6 à compresseur « Series II » qui voit sa puissance passer à 240 chevaux à 5 200 tr/min et son couple à 280 lb-pi à 3 200 tr/min. Un système de personnalisation de l’intérieur via la télécommande d’ouverture permet d’ajuster la position du siège conducteur, le réglage des rétroviseurs extérieurs, de l’éclairage et d’autres accessoires. Du faux bois fait une apparition (en quantité limitée) sur la planche de bord, le lecteur CD est de série et des jantes chromées sont proposées en option. Et c’est tout… Les ventes baissent radicalement (voir ci-dessous), illustrant ainsi clairement l’idée que les coupés ne sont plus à la mode dans cette période, les acheteurs se tournant (déjà) en plus grand nombre vers les utilitaires.

L’année modèle 1997 est encore plus calme : nouvelle boîte automatique 4T65-E et suspension recalibrée pour un peu plus de fermeté. Le V6 atmosphérique de base et les sièges 55/45, très peu commandés par les clients, ne sont plus proposés pour le millésime 1998. Les ventes baissent encore et le 17 septembre 1998, Robert Coletta, directeur général de Buick, annonce qui la production de la Riviera cessera après une courte année modèle 1999. « Le marché a parlé » déclarera-t-il.

Les 200 derniers exemplaires sont baptisés « Silver Arrow », en hommage à des concepts développés sur base de Riviera. Le premier date de 1963 et sera l’auto personnelle de Bill Mitchell, vice-président responsable du design de GM de 1958 à 1977. Le second, dénommé Silver Arrow III (il aurait apparemment existé une Silver Arrow II mais elle n’a jamais été montrée au public), est construit sur un modèle 1972 et sera également utilisé par Mitchell (en photo ci-dessous). Les deux prototypes se distinguent par une couleur argentée, une calandre retravaillée et une ligne de toit abaissée.

Les modèles 1999 ont droit, eux aussi, à une peinture argent ainsi qu’à des logos exclusifs, une plaque numérotée, un équipement plus complet et un livret de 34 pages expliquant l’histoire du modèle. La page 32 contient les chiffres de production de toute l’histoire de la Riviera et le total indiqué est de 1 127 376 exemplaires.
Buick Riviera |
|
1995 |
41 442 |
1996 |
18 036 |
1997 |
18 827 |
1998 |
10 953 |
1999 |
2 156 |
Total |
91 414 |
C’est une triste fin pour un modèle aussi important de l’histoire de Buick. La marque avait pourtant fait ses devoirs et lui avait donné une véritable personnalité, une vraie présence. Mais comme dit plus haut, les coupés n’étaient plus dans le coup (la Toronado s’est éteinte en 1992 et l’Eldorado tiendra de peine et de misère jusqu’en 2002). Buick tentera de raviver l’intérêt pour le modèle en présentant des concepts en 2007 et 2013 mais rien n’ira plus loin. Le 25 novembre 1998 marquait bel et bien le dernier couché de soleil sur la Riviera.