Crédits pour Tesla: Elon Musk s'en met plein les poches grâce à Québec
Les compensations financières mises en place dans le but de favoriser la transition énergétique au Québec ont un effet pervers: seule Tesla en profite vraiment, au moment où son propriétaire, Elon Musk, est un proche conseiller de Donald Trump en pleine tourmente économique.
Depuis 2018, le Québec a mis en place des objectifs devenant de plus en plus sévères chaque année pour en arriver à un parc automobile 100% propre en 2035. Un système similaire sera mis en place l’an prochain au fédéral.
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Au Québec, les constructeurs qui ne respectent pas ces critères annuels doivent soit payer une compensation au gouvernement, soit acheter des crédits à un autre fabricant qui dispose de crédits excédentaires.
Un véhicule zéro émission (VZE), selon son autonomie, pouvait donner droit jusqu’à quatre crédits, d’une valeur unitaire de 5000 $, si la compensation était payée au gouvernement.
Mais depuis 2025, un VZE ne donne plus qu’un seul crédit, dont le coût a été établi à 20 000 $. Les véhicules à faibles émissions tels un hybride rechargeable ne donnent dorénavant aucun crédit.

Le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) confirme que toutes les compensations ont été établies à la suite d’ententes entre les constructeurs et qu’il n’a jamais reçu un seul dollar.
Secret absolu
L’objectif de forcer les constructeurs à accélérer leur transition vers des véhicules propres tout en récompensant ceux qui ont de l’avance dans le domaine a aujourd’hui un effet pervers.
Depuis 2018 (voir tableau), 73 298 crédits ont été négociés entre constructeurs. Près de 90% de ces crédits ont été achetés à Tesla. À 5000 $ l’unité, cela aurait représenté une somme de 329 M$, si elle avait été payée au gouvernement.

« Nous ne pouvons pas révéler le montant, car il est confidentiel », explique Ken Chiu, de Honda Canada.
Ça ne se limite pas à Honda, puisqu’aucun chiffre ne circule sur la valeur des ententes entre Tesla et chaque constructeur tant en Amérique qu’en Europe.
Grâce aux chiffres du MELCCFP, il est possible d’apprendre qu’en 2023 et 2024, seules Honda et Mazda ont acheté des crédits au Québec. Et pour ces deux années, seule Tesla en a vendu.
Hypothèse
« Je peux vous affirmer qu’il est moins cher d’acheter des crédits d’un autre manufacturier que du gouvernement [québécois] », confirme Sandra Lemaitre, de Mazda Canada.
Mais avec une alternative à 5000 $, la question de la marge de manœuvre de l’acheteur se pose.
Sur une estimation de 3500 $ le crédit, Tesla aurait empoché 230 M$ depuis 2018 uniquement au Québec. Et le chiffre n’est peut-être pas si éloigné de la réalité.
Les transactions au Québec entre 2018 et septembre 2024
Crédit vendus | Nombre | Pourcentage |
GM | 5835 | 8% |
Hyundai | 1650 | 2,3% |
Tesla | 65 813 | 89,8% |
Total: 73 298 (69 100 VZE + 4198 VFE) |
Seule Tesla a vendu des crédits en 2023 (9136) et en 2024 (4777)
* Au tarif de 5000 $ par crédit en vigueur jusqu’à la fin de 2024, cela représenterait une somme de 329 millions de $.
Source : Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs
Crédits achetés | Nombre | Pourcentage |
Honda | 27 333 | 37,3% |
Stellantis | 14 500 | 19,8% |
Mazda | 11 615 | 15,8% |
Subaru | 7800 | 10,6% |
Toyota | 7300 | 10% |
Mercedes | 3100 | 4,2% |
BMW | 1650 | 2,3% |
Source : Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs
Tesla ne révèle pas le prix de ses crédits
Tesla garde jalousement le secret sur le tarif auquel elle vend ses crédits.
Tesla a été la seule au Québec à vendre des crédits en 2023 et 2024 et totalise 90% des ventes depuis 2018.
Depuis 2018, les crédits que Mazda a achetés auraient représenté 58,1 M$ au tarif gouvernemental de 5000 $. Et le constructeur ne compte que pour 16% des achats de crédits au Québec.
Déductions
« Nous avons dépensé des centaines de millions de dollars en majeure partie pour nous conformer aux règles du Québec et de la Colombie-Britannique, mais aussi en provision aux normes du fédéral en 2026 », a affirmé Sandra Lemaire, de Mazda Canada.

Tesla a déclaré dans ses états financiers avoir empoché 2,6 G$ de la vente de crédits à travers le monde en 2023 et 3,9 G$ en 2024 sur les marchés où il y a un système de crédits (la Chine, l’Union européenne ainsi que le tiers des marchés des États-Unis et du Canada.)
« Dans le contexte où les règles sur les véhicules zéro émission ont été élaborées, c’était plein de sens. Mais on peut se poser des questions sur le type de joueur qui reçoit les fonds. C’est peut-être le signal qu’il faut réajuster le tir. On veut que ça bénéficie à la société, pas à un seul joueur », estime Yan Cimon, directeur du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport et professeur à l’Université Laval.
Ras-le-bol
En commission parlementaire, le 29 janvier, Ian P. Sam Yue Chi, PDG de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec, y est allé d’une charge contre l’impact de ces règles.
« Certains effets pervers sont très peu connus. Le grand gagnant de tout le plan, d’un point de vue financier, c’est Tesla avec la vente de crédits à d’autres manufacturiers, qui, eux, doivent réinvestir pour faire cette transition, alors que ce n’est pas le cas pour Tesla. Parfois, une bonne idée en 2016 peut devenir une mauvaise idée en 2025 », a-t-il avancé.

« L’action gouvernementale bénéficie à qui? À Tesla, une entreprise qui n’investit ni dans les collectivités, ni dans le bâti au Québec, ni dans les médias traditionnels. Nous avons un enjeu ici », a-t-il ajouté.
Mélanie Jalbert, du cabinet du ministre de l’Environnement Benoit Charette, a répliqué que «les manufacturiers qui doivent acheter des crédits ont le choix d’acheter d’autres vendeurs» ou de payer au gouvernement. Ce sont donc eux qui font le choix d’acheter les crédits à d’autres manufacturiers.
Mais selon Mazda, les manufacturiers qui ont des crédits disponibles les accumulent pour répondre aux normes de plus en plus sévères.