Lamborghini LM002 1990 : le franchisseur au cœur de feu
Florence, Italie – Après avoir rendu les clés du tout nouveau Lamborghini Urus SE à motorisation hybride, nous avons eu l’opportunité de conduire un véritable morceau d’histoire du constructeur italien.
En effet, le LM002 est le premier VUS exotique à avoir vu le jour. Lorsque l’on regarde les gammes des marques les plus prestigieuses de la planète, les utilitaires sport sont devenus monnaie courante. Lamborghini Urus, Ferrari Purosangue, Rolls-Royce Cullinan, Bentley Bentayga, ou encore Aston Martin DBX, la liste est longue. À cette énumération, on peut aussi ajouter le BMW XM, le Range Rover et le Porsche Cayenne, moins chers mais qui visent aussi une clientèle fortunée, surtout avec les versions les plus huppées.
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Pourtant au milieu des années 80, Lamborghini était seul sur son créneau. L’irremplaçable Range Rover existait déjà, mais il ne jouait pas encore dans la même cour, son positionnement étant davantage un VUS de luxe qu’un modèle exotique.

Guépard ou éléphant?
À la fin des années 70, l’armée américaine lance un appel d’offre pour se doter d’un véhicule tout terrain performant et robuste. Lamborghini y participe avec le projet Cheetah (guépard en français), une proposition plutôt particulière.

Il s’agit d’un 4x4 à l’allure étrange, dépourvu de portières et de toit, avec un moteur central arrière. Puis, Lamborghini développera le LM001, plus abouti, doté de portes et d’un V8 toujours positionné à l’arrière. Finalement les Cheetah et LM001 ne verront jamais un champ de bataille, encore moins une guerre avec l’armée américaine puisque c’est le Humvee de Am General qui est retenu. Un modèle qui sera lui aussi dérivé en version civile avec le Hummer H1.
Dans l’histoire tumultueuse de Lamborghini le début des années 80 n'est pas vraiment un âge d'or, la marque peinant à remplir ses coffres. L’idée est donc de s’inspirer des Cheetah et LM001, mais en modifiant le tout profondément pour aboutir à un VUS exotique destiné aux acheteurs fortunés en quête d’exclusivité. Le résultat est le LM002, présenté au Salon de l’auto de Genève en 1982. La production s’étalera entre 1986 et 1992.
Bâti autour d’un châssis multitubulaire en acier, sa carrosserie mêle des panneaux en aluminium rivetés et de la fibre de verre. Le moteur n’est plus à l’arrière mais à l’avant, et pour animer son gros 4x4, Lamborghini puise dans sa banque d’organes la plus noble en le dotant du fameux V12 Bizzarrini. Un bloc surnommé ainsi en hommage à son concepteur, et qui a motorisé toutes les supercars de Lamborghini jusqu'en 2010 (Miura, Countach, Diablo et Murciélago) avec différentes versions et cylindrées.

Le V12 du LM002 dérive de celui de la Countach et cube 5,2 litres. Volumineux, il rentre au chausse-pied à en juger par les deux bossages du capot abritant les collecteurs d'admission et les deux filtres à air. Alimenté par 6 carburateurs à double corps ou une injection électronique, sa puissance est légèrement différente selon les sources. En nous référant à la brochure officielle du constructeur, il est question de 455 chevaux et 368 lb-pi de couple. La boîte de vitesses retenue est une ZF manuelle à 5 rapports.

La vocation sportive de ce moteur se voit immédiatement sur la fiche technique puisque le couple maxi est obtenu à 5 000 tr/min tandis qu’il faut attendre 7 000 tr/min pour bénéficier de toute la puissance! Sur papier, cela ne doit pas aider à franchir des obstacles et évoluer à basse vitesse…d’autant plus que le poids annoncé s’élève à 5 995 lb, soit 2 717 kg. Pour bénéficier d’une autonomie suffisante, Lamborghini a monté deux réservoirs d’essence. Les sources divergent concernant la contenance, 276 ou 290 litres. Dans les deux cas, faire le plein d’essence sera long et onéreux…
Alors qu’il semble énorme en photo, nous avons été surpris par les mensurations du véhicule en l’approchant pour la première fois. S’il était gros dans les années 80, ses 4,90 mètres de long (5 cm de plus qu’un Toyota Highlander) n’impressionnent guère en 2025, tout comme ses 2 mètres de large. Cela ne poserait aucun problème chez nous, mais sa largeur de voie demeure problématique sur les petites routes italiennes où deux véhicules compacts se croisent difficilement.

Au total, Lamborghini a produit 300 exemplaires du LM002 entre 1986 et 1992 avec des moteurs à carburateur ou à injection. Puis, un dernier modèle destiné au PDG de l’époque a été assemblé, mais ce dernier a quitté l’entreprise avant de le recevoir. De couleur or, il a intégré le Musée Lamborghini de Sant’Ataga Bolognese où il se trouve toujours aujourd’hui.
Notre modèle d’essai a été construit en 1989 et livré en 1990 à un certain Walter Wolf. Le célèbre entrepreneur canadien qui a possédé l’écurie de course éponyme, gagné quelques courses en Formule 1…et fait rouler un certain Gilles Villeneuve en Can-Am. Peint en Bleu Acapulco avec un intérieur gris à sa sortie d’usine, il a finalement été repeint en noir au cours de sa vie tandis que la sellerie et les panneaux en cuir sont désormais de couleur crème.

C’est beau mais étroit
En ouvrant la porte, on arrive dans un habitacle invitant dont la finition est plutôt cossue pour un 4x4. Ce qui surprend immédiatement, c’est le manque d’espace. Les places arrière sont très restreintes et il vaut mieux ne pas être trop costaud pour prendre place à l’avant. Le gros tunnel central gêne le bras droit, tandis que votre coude gauche cogne contre la porte une fois celle-ci refermée.
Le petit volant est droit et devance des cadrans offrant de nombreuses informations au conducteur (niveau d’essence, vitesse, régime, voltage de la batterie, température d’huile et d’eau).

Si le combiné d’instrumentation est lisible, le reste de l’ergonomie rappelle que les Italiens étaient plutôt fantaisistes à cette époque. Commandes des vitres électriques difficilement accessibles, boutons en pagaille (tous identiques) au centre de la planche de bord et autoradio au plafond ne sont pas vraiment faciles à actionner en conduisant. Et comme la cigarette était encore acceptée à peu près partout dans les années 80, on compte deux cendriers et autant d’allume-cigares sur l’immense console centrale.

À cause du manque de place, le frein à main est collé au tunnel de transmission et touche votre jambe droite. Deux autres leviers complètent cette salle des machines digne d’un navire de croisière, un pour sélectionner les gammes du rouage 4x4 (haute ou basse) et l’autre pour rouler en propulsion ou en 4x4.
Pour bénéficier du mode « 4x4 Lock » (blocage de différentiel), il faut d'abord actionner le levier dans l’habitacle. Puis descendre du véhicule, utiliser une clé de la trousse à outils fournie, et tourner manuellement le centre des roues avant vers l'avant ou l'arrière selon le réglage souhaité (voir photo).

Un ténor difficile à apprivoiser
Au démarrage, il ne faut pas hésiter à appuyer sur l’accélérateur pour lancer le V12. Notre modèle à injection s’ébroue rapidement et dévoile un ralenti assez haut lorsqu’il est froid. Le chant du moteur donne des frissons, tandis que des effluves d’essence non-brûlée parviennent à nos narines.
Les pédales très rapprochées demandent des chaussures fines pour conduire convenablement. Paradoxalement, une paire de Converse est plus adaptée que des bottes pour actionner ce pédalier. Un choix plutôt curieux considérant la vocation du véhicule.

L’embrayage est ferme et mord presque immédiatement au lâcher de pied. Première en bas (le LM002 a une boîte inversée) et il est temps de se lancer. Avec une pédale d’accélérateur dure et une certaine inertie du V12 à monter en régime, le démarrage n’est pas vraiment intuitif. Le diamètre de braquage d’Airbus A380 n’aide pas non plus lors des manœuvres, un banal demi-tour nécessitant de s’y reprendre deux ou trois fois selon l’étroitesse du stationnement dans lequel on se trouve.
Une fois lancé, le LM002 est bruyant et sautillant sur la route. Le freinage n’est pas vraiment mordant et impose de garder de la marge au moment de ralentir. La direction ne brille évidemment pas par sa précision, mais n’est pas plus floue qu’un Jeep Wrangler actuel.
Au moment de changer les rapports, nous sommes surpris d’entendre la boîte craquer bruyamment alors que nous avions bien décomposé tous les mouvements. Le mécanicien de la marque qui nous accompagnait nous a expliqué que la transmission n’est que partiellement synchronisée, ce qui impose de faire un double-débrayage pour éviter le problème. Ce que nous avons fait par la suite pour préserver la boîte.

Si vous n’êtes pas familier avec cette technique de conduite, elle remonte à l’époque où il n’y avait pas de synchroniseurs montés avec les pignons dans les boîtes de vitesses. Pour préserver les pignons, il faut donc faire coïncider la vitesse de rotation des arbres dans la transmission, ce que l’on obtient avec un double débrayage. Voici ce qu’il faut faire : appuyer sur la pédale d’embrayage, mettre le levier au neutre, relâcher l’embrayage, mettre un léger coup de gaz, rappuyer sur l’embrayage, placer le levier sur le rapport souhaité, et relâcher l’embrayage. Heureusement que nous n'avons pas roulé dans le trafic, cela aurait vite été fastidieux!

Une fois le mode d’emploi du LM002 assimilé, nous profitons d’une ligne droite pour pousser le moteur à fond. Plutôt creux à bas régime, il faut attendre 4 000 tr/min pour qu’il se réveille. Passé ce régime la poussée devient plus forte et une sonorité enivrante envahit l’habitacle, le moteur hurlant jusqu’à 7 000 tr/min. Les accélérations sont énergiques mais pas violentes, il y a tout de même 2,7 tonnes à déplacer. À ce propos, Lamborghini annonce un 0 à 100 km/h réalisé en 7,8 ou 8,5 secondes selon les sources. Cela dit, les pulsations et la sonorité du V12 laissent penser que le LM002 est plus rapide qu’il ne l’est en réalité.
Après un (trop) court galop d’essai, c’est déjà l’heure de rendre les clés de ce modèle mythique. La conduite du véhicule n’est pas évidente mais d’un autre côté, son caractère affirmé et son V12 difficile à apprivoiser en font un véhicule fascinant. Si l’on devait faire une analogie humaine, le LM002 nous fait penser à la voix d’Andrea Bocelli sortant du corps d'un lutteur. Une sorte de Frankenstein bourré de défauts, mais diablement attachant!