Imperial 1955-56 : ambitions contrariées

Publié le 26 avril 2025 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la croissance revient en Amérique du Nord. Histoire d’aller chercher la dominante General Motors, les deux autres grands de Detroit débordent d’ambition et se mettent en tête de créer une structure de marques identique, soit en avoir cinq. Pour Ford, cela entraînera l’ajout de Continental en 1956 et d’Edsel en 1958. Pour Chrysler, ce sera Imperial. Mais tout ne va pas se passer comme prévu, ni pour Ford ni pour Chrysler…

Chrysler Corporation sera fondée en 1925 sur les restes de Maxwell Motor Company. Chrysler, la marque, avait été introduite en 1924. Dès la première année, un modèle baptisé Imperial faisait partie de la gamme. Il faut attendre 1926 pour qu’Imperial devienne une série à part entière, tout en haut de la gamme Chrysler. Cette situation va perdurer jusqu’en 1954. Selon les années, il y aura plus ou moins de modèles et de carrosseries disponibles.

Photo: Chrysler

De 1946 à 1950, le nom Imperial est réservé à des berlines à empattement allongé, les Crown Imperial. En 1951, la gamme Imperial est redéveloppée (4 versions) et les Crown Imperial subsistent. En 1953, les Imperial deviennent Custom Imperial (voir photo ci-dessous). Reste maintenant à parler de Chrysler, la compagnie, dans les années 50.

Photo: Chrysler

Une nouvelle énergie

Pour comprendre l’état d’esprit de la société, il faut remonter aux années 30 et au désastre des Airflow. Présentés en 1934, ces modèles ont été dessinés pour être le plus aérodynamiques possible. Révolutionnaires à l’époque, ils ont malheureusement été boudés par les acheteurs et ont été arrêtés en 1937. Cet échec va faire rentrer Chrysler dans une attitude de conservatisme esthétique. Conservatisme renforcé par le président de la compagnie, K.T. Keller. Nommé en 1935 pour remplacer Walter P. Chrysler, il ne s’intéresse qu’à la technologie et pas du tout au design. Après la guerre, alors que les lignes de toit commencent à s’abaisser, il demande que l’on puisse continuer à entrer et sortir des Chrysler avec un chapeau sur la tête. Bien conçues et bien construites, les Chrysler 1949-54 vont moins résonner avec le public car d’allure très conservatrice alors que GM sonne la charge sur le plan du design (avec les premiers ailerons sur les Cadillac pour ne donner qu’un exemple).

Mais Keller n’est pas obstiné et observe la tendance. Six mois après le lancement des Chrysler 1949, il décide d’embaucher le second protagoniste de notre histoire : Virgil Exner. Originalement illustrateur, Exner rentre chez GM comme designer en 1934 et prendra rapidement la tête du studio Pontiac. En 1938, il est engagé par le dessinateur industriel Raymond Loewy qui a un contrat avec Studebaker. En 1944, il signe un dessin directement pour Studebaker sans que Loewy ne soit au courant. Furieux, il le licencie et Exner part travailler directement pour la marque de South Bend. Et c’est en 1949 qu’il accepte l’offre de Chrysler.

Au début, Exner n’est en charge que du studio de design avancé. Son rôle est de créer des concepts (véhicules idées comme il les appelait) sans être impliqué dans les modèles de production. Il en imaginera de nombreux, dont le Chrysler Norseman qui finira au large des côtes du Massachusetts après un naufrage, généralement avec la collaboration du carrossier italien Ghia.

Parmi ces voitures idées, deux vont avoir de l’importance pour la suite des choses : la K-310 de 1951 (voir photo ci-dessous, en haut) et l’Imperial Parade Phaeton de 1952 (voir photo ci-dessous, en bas).

Photo: Chrysler

En 1950, K.T. Keller est remplacé à la présidence de Chrysler par L.L. « Tex » Colbert (Keller devient alors président du conseil d’administration de la compagnie). Colbert est nettement plus intéressé par le design que Keller. À l’hiver 1951-52, Colbert et Keller invitent Exner à passer en revue les designs pour la gamme 1955. Ce dernier les juge sans intérêt. Passé une légitime période de choc, les deux dirigeants décident de confier à Exner le style des modèles 1955. Le développement est séparé en 2 parties : Dodge et Plymouth d’un côté, DeSoto, Chrysler et Imperial de l’autre, les autos étant plus longues et, surtout, plus larges. S’il a la responsabilité de superviser le design de toutes les marques, Exner va personnellement travailler sur les trois marques seniors.

Photo: Chrysler

100 millions!

Les origines de la décision de transformer Imperial en marque séparée ne sont pas claires. Il est certain que le succès insolent de Cadillac au début des années 50 et l’annonce par Ford en 1952 de créer le groupe Special Products Operation, qui deviendra la marque Continental pour 1956, n’y sont pas étrangers. De plus, en laissant de la place en haut de la gamme Chrysler, il est alors possible d’ajouter un nouveau porte-étendard, la 300, qui va donner naissance à la lignée des 300 Letter Series, produites de 1955 à 1965. Ce qui est sûr, c’est que le développement des lignes des Imperial commence en même temps que celui des autres modèles 1955, au début de 1952. Mieux, ce sont les Imperial qui vont servir de base aux Chrysler et DeSoto.

Dans un premier temps, c’est la K-310 qui sert d’inspiration. Mais rapidement, les designers réalisent qu’il sera très difficile d’adapter ce style sur les deux marques sœurs. Alors, ils vont partir des lignes de base de la Phaeton, y mettre des passages de roues ronds, revoir toute l’ornementation (les feux en forme de cible sont dérivés de ceux de la K-310) et créer une nouvelle grille avant en deux parties (qui sera reprise dans la Chrysler 300). Le style final des modèles 1955 pour l’ensemble des 5 gammes est moderne, bien dans l’air du temps et sera nommé « Forward Look » par l’agence de publicité McCann Erickson. Chrysler communiquera de son côté en l’annonçant comme « The 100 million dollar look » (le style de 100 millions de dollars) en référence à la somme que la compagnie aurait dépensée pour dessiner ses nouveaux modèles.

Photo: Chrysler

Des efforts mais peut mieux faire

Les Imperial 1955 arrivent sur le marché le 17 novembre 1954. La gamme « normale » comprend le coupé hardtop Newport et la berline 4 portes avec montants centraux. Les deux reposent sur un empattement de 130 pouces (3,30 mètres) et mesurent 223 pouces de long (5,66 mètres). Viennent ensuite les Crown Imperial sur un empattement de 149,5 pouces (3,80 mètres) et mesurant 242,5 pouces (6,16 mètres). Elles sont disponibles en deux versions : berline 8 places et limousine 8 places (se distinguant par une vitre de séparation escamotable). Les prix vont de 4 483 USD/5 867 CAD pour une berline à 7 737 USD/9 285 CAD pour une Crown limousine.

Photo: Chrysler

Toutes partagent la même partie technique : châssis séparé, suspension avant indépendante à ressorts hélicoïdaux, essieu rigide arrière monté sur des ressorts à lames semi-elliptiques, direction assistée et transmission automatique PowerFlite à 2 rapports. Les Crown Imperial se distinguent par leur système électrique en 12 volts et par leurs freins à disque. Un seul V8 est disponible : le 331 pouces cubes (5,4 litres) FirePower développant 250 chevaux à 4 600 tr/min et 340 lb-pi à 2 800 tr/min. Ce moteur à culasse hémisphérique (oui, c’est un Hemi) a été présenté en 1951 et est aussi utilisé sur les Chrysler New Yorker. L’équipement est complet (vitres électriques, sièges électriques, horloge) et les options se limitent à l’air conditionné, aux vitres teintées, à la radio avec ou sans haut-parleur arrière (de série sur les Crown).

Le nouveau style Chrysler a été bien accueilli par le public mais ventes d’Imperial vont s’avérer… discrètes (voir tableau en fin de texte). La raison est peut-être que les acheteurs n'ont pas bien compris qu’il s’agissait d’une marque séparée (Chrysler ne s’est pas aidée en utilisant la même planche de bord dans les Chrysler et les Imperial) ou bien est-ce à cause de la gamme réduite (il n’y a par exemple pas de cabriolet). Toujours est-il que Chrysler sait que, dorénavant, la marche va être haute à monter.

Photo: Chrysler

Tout ça pour ça…

Contrairement aux habitudes, les modifications pour le deuxième millésime vont être substantielles. Afin d’être à la mode, le style arrière est entièrement revu pour intégrer élégamment des ailerons. Ceci entraîne de nouveaux feux arrière et un pare-chocs redessiné (les sorties de pot d’échappement sont dorénavant sous la voiture). Combiné à un allongement de l’empattement de 3 pouces, la longueur des modèles de base s’établit maintenant à 229,6 pouces (5,83 mètres). Il y a aussi de nouvelles moulures latérales tandis que les passages de roues ne sont plus ronds et deviennent similaires à ceux des Chrysler. À l’avant, on retrouve simplement de nouveaux entourages de phares et un aigle central plus discret. Les Crown, produites en toute petite série, restent les mêmes qu’en 1955 mais les ailes arrière reçoivent un appendice additionnel afin de créer une vague ressemblance avec les modèles courants ainsi que de nouvelles moulures latérales.

Photo: Chrysler

La grande nouveauté dans la gamme est l’apparition d’un modèle 4 portes hardtop. Pour pouvoir obtenir un véritable effet de coupé, il est important de pouvoir baisser toutes les vitres. Ce qui présente un problème avec les portes arrière, notamment au niveau de la vitre de custode qui ne peut pas complètement disparaître à cause des dimensions de la porte. Pour le résoudre, les ingénieurs vont créer deux vitres décalées. La principale descend vers le bas tandis que celle de custode s’abaisse vers l’avant, permettant de réaliser l’effet voulu. Toutes les versions hardtop prennent cette année-là le nom de Southampton.

Photo: Chrysler

La partie technique est elle aussi sensiblement retravaillée : la suspension arrière est révisée, le système électrique passe en 12 volts et il y a de nouveaux freins à tambour (jugés suffisamment efficaces pour remplacer les disques des Crown). La sélection des rapports de boîte se fait dorénavant par boutons-poussoirs, placés sur le côté gauche de la planche de bord. À partir de février 1956, la transmission PowerFlite est remplacée par la nouvelle TorqueFlite à 3 rapports. Le V8 FirePower connaît une sérieuse mise à jour. La cylindrée monte à 354 pc (5,8 litres) et le taux de compression passe de 8,5:1 à 9,0:1, ce qui a pour effet d’augmenter la puissance à 280 chevaux à 4 600 tr/min et le couple à 380 lb-pi à 2 800 tr/min.

Photo: Chrysler

Même les systèmes de son offrent du nouveau. Les Imperial peuvent recevoir la première radio d’auto à transistor du monde, un modèle fabriqué par Philco. Un lecteur de disques est également proposé, le Highway Hi Fi phonograph. Il s’agit d’un lecteur spécial monté sur un épais tapis de caoutchouc et qui comprend un bras de lecture amorti afin de réduire l’impact des irrégularités de la route sur la lecture. Il utilise des disques spécifiques de 7 pouces tournant à une vitesse de 16 2/3 tours par minute et offrant environ 45 minutes d’écoute.

Et que croyez-vous que tous ces efforts vont engendrer? Une baisse de la production de 7%... Il faut dire que les Lincoln ont été renouvelées pour 1956.

1955

1956

Imperial

11 260

10 458

Imperial Crown

 172

 170

Total Imperial

11 432

10 628

Total Cadillac

140 777

155 577

Total Lincoln

27 222

50 322*

Total Packard

55 517

28 835

*Hors Continental

Photo: Chrysler

Mais Chrysler ne lâchera pas et lancera de nouveaux modèles pour 1957, qui vont se vendre près de 3,5 fois mieux. La suite d’Imperial sera plus difficile et Cadillac et Lincoln ne seront jamais vraiment inquiétés avant la disparition de la marque en 1975. Chrysler tentera de faire revivre le nom à deux reprises : de 1981 à 1983 puis de 1990 à 1993, sans grand succès. Comme quoi, dans la vie, avoir de l’ambition, ça ne suffit pas toujours!

À voir aussi : Antoine joubert présente la brochure de l'Imperial 1990

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