Le Guide de l'auto et Jacques Duval : l'œuvre d'une vie
Jacques Duval semble avoir vécu plusieurs vies en une seule tant sa carrière a été éclectique. Même les 700 pages du Guide de l’auto ne suffiraient probablement pas à tout raconter! Passionné par les médias, la musique, le sport et l’automobile, il a finalement choisi d’orienter sa carrière vers les quatre roues. Ce qui fait en sorte que, dans l’imaginaire collectif, son nom est très souvent associé au livre que vous tenez entre les mains. Suite au décès de notre fondateur, nous avons souhaité mettre en lumière certaines parties de sa carrière et vous raconter l’histoire de la naissance du Guide.
Texte intégral tel qu'il a été publié dans le Guide de l'auto 2025.
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Né à Lévis le 21 juin 1934, Jacques Duval est un enfant plutôt réservé et discret. Moqué par ses camarades de classe pour sa « face de lune », il peinait à nouer de vraies relations amicales. Des traits de caractère qui ne laissaient pas présager une carrière sous les projecteurs, comme il le reconnaît lui-même dans son autobiographie. « J’ai toujours eu, hélas, très peu d’amis. Face à ce vide, je décidais inconsciemment de leur faire un pied de nez, de devenir quelqu’un de connu. Solitaire, timide et mal à l’aise en présence d’une foule, je devais être un peu masochiste pour vouloir devenir animateur de radio. Sans le savoir, c’était sans doute ma façon de sortir d’une certaine marginalité ». En effet, le jeune Jacques Duval souhaite se lancer dans une carrière radiophonique.
Adolescent, il « jouait à faire de la radio » chez lui grâce à des walkies-talkies offerts par ses parents. Cachant le récepteur derrière le vrai poste de radio, il lisait des journaux pour imiter un bulletin de nouvelles et passait même des chansons avec son tourne-disque. Selon lui, plusieurs invités chez sa mère auraient été dupés! À seulement 17 ans, il envoie sa candidature à toutes les radios qu’il connaît. C’est évidemment un échec, mais cela ne le décourage pas. Alors que sa mère souhaite qu’il devienne directeur de banque, il participe à un concours pour devenir annonceur à la radio CHRC de Québec. Il est sélectionné, puis obtient son premier poste permanent à CKVC. Il a dû se montrer très persuasif, car les recruteurs n’étaient pas vraiment portés sur le jeunisme dans les années 50. Alors qu’il n’a pas encore 20 ans, il obtient un emploi d’annonceur et de disc-jockey à CKVL à Montréal en 1953 et anime sa propre émission en 1954.
Passionné par la musique, notamment la chanson française et québécoise, il rencontre de nombreux artistes et devient une référence du domaine. C’est à partir de ce moment que sa carrière prend réellement son envol. Avec un goût assumé pour la controverse, il travaille sans relâche à la radio, dans des journaux et même à la télévision naissante, avec son fameux Cimetière du disque, une rubrique aussi redoutée par les artistes qu’appréciée du public. Il s’essaie même au spectacle vivant en créant un numéro de voyance avec Pierre Fournier, un de ses collègues à CKVL. Jacques Duval a les yeux bandés, tandis que son compère lui demande de deviner les objets qu’il emprunte aux spectateurs. Il y avait évidemment un truc, mais qu’il n’a jamais révélé : « il ne nous a n’a jamais expliqué comment il faisait pour réussir son tour à chaque fois, aujourd’hui encore j’ignore comment il faisait », explique son fils François Duval. Et aussi curieux que cela puisse paraître, c’est grâce à « Pierre et Jac, les maîtres de la transmission de la pensée » que le fondateur du Guide de l’auto va pouvoir assouvir sa passion pour la course automobile. S’il était payé 150 $ par semaine à la radio (1 500 $ aujourd’hui), il pouvait empocher jusqu’à 1 000 $ (10 000 $) pour 13 spectacles répartis en 6 soirées au cabaret! Une activité très lucrative, qui va lui permettre d’acheter des voitures de très haute performance.

Le frisson de la course
Souhaitant se démarquer de la masse des automobilistes, les premières voitures de Jacques Duval sont plutôt surprenantes. Il achète sa toute première auto en 1954, une Morris Oxford qui avait encore des tiges qui sortaient à gauche ou à droite pour indiquer sa direction! Suivront une Willys Aero puis sa première voiture neuve, une Ford Mainline 1955 bleu poudre rapidement remplacée par une Buick Special. Sur un coup de tête, il s’offre ensuite une voiture allemande totalement inconnue : une Borgward Isabella 1958. Un achat qu’il va amèrement regretter : « N’était-il pas insensé de payer le prix fort (4 000 $) pour une voiture inconnue chez nous, dont la valeur de revente serait minime et qui n’était vendue que par une poignée de concessionnaires ne possédant ni les pièces, ni l’équipement, ni le personnel pour les entretenir? On a du mal à imaginer que le type qui affichait un tel manque de réflexion dans le choix de ses voitures personnelles ait pu devenir le conseiller automobile de milliers de Québécois. Mais, comme on dit souvent, on apprend de ses erreurs, et c’est ce qui m’est arrivé », précise-t-il dans son autobiographie.
Alors qu’il qualifie lui-même sa conduite de peu sûre à ses débuts, son ami Alain Stanké, journaliste, écrivain et éditeur lui donne quelques cours de conduite. Un peu plus tard, Jacques Duval a la piqûre de la course en assistant à une course sur le circuit de St-Eugène. S’essayant d’abord au rallye, à la course de côte et aux courses sur glace avec l’Austin 850 de sa femme, puis des Renault 8 et Dauphine 1093 commanditées par CKVL, il se dirige finalement vers le circuit. Souhaitant s’offrir une auto sport, il opte pour une Alfa Romeo Giulietta Sprint Veloce 1960.

C’est d’ailleurs au volant de celle-ci qu’il prend sa première leçon de pilotage, avec l’espoir Peter Ryan. Mais dès ses premiers tours de roue, il constate qu’elle n’a pas les qualités nécessaires pour être rapide sur circuit. « Mon Alfa de route n’était pas du tout adaptée au pilotage sportif, notamment en raison d’une suspension beaucoup trop souple. Le roulis dans les virages était effroyable ». Lassé de se faire battre par les redoutables Porsche 356 autour de lui, il décide d’acheter une 356B Super 90, d’abord un Roadster pour gagner du poids, puis un coupé.
Il monte ensuite sérieusement en gamme avec une rarissime Porsche Abarth Carrera Zagato, payée 6 500 $ (64 000 $ aujourd’hui) mais sérieusement accidentée puis maquillée… et dotée d’un vilebrequin de minibus Volkswagen! Vite revendue, elle est avantageusement remplacée par une redoutable Porsche 904. Une voiture achetée aux États-Unis que Jacques Duval rapportera par la route, passant à la douane avec une fausse plaque d’identification de sa précédente Porsche 356 canadienne. Un stratagème pour éviter de payer les taxes. Autres temps, autres mœurs…
C’est au volant de cette 904 que le pilote québécois décroche ses deux premiers titres de champion du Québec en 1965 et 1966. Après la 904 suivra une Porsche 906 l’année suivante, payée une fortune (12 500 $, soit 115 000 $ aujourd’hui), qui lui permettra de conserver sa couronne. Avec l’interdiction de ce type de voitures au Québec afin de limiter les coûts, il la revend une bouchée de pain pour s’offrir une « banale » 911 S. Un geste qu’il a un peu regretté par la suite : « Toutes ces Porsche que j’ai vendues au prix d’une Toyota Corolla d’occasion vieille d’au moins cinq ans valent aujourd’hui une petite fortune. Ma seule consolation d’avoir raté le gros lot est de savoir que plusieurs autres coureurs automobiles ont été aussi mauvais investisseurs que moi ».

Au volant de sa Porsche 911, Jacques Duval poursuit sa marche en avant avec deux titres de champion du Québec supplémentaires en 1968 et 1969. Des victoires plus difficiles à obtenir car un nouveau rival, Jacques Bienvenue, lui faisait une concurrence féroce après lui avoir racheté sa première Porsche 911. Mais l’épreuve la plus marquante de Jacques Duval est incontestablement les 24 Heures de Daytona 1971 assisté de Bob Bailey et George Nicholas. Après une course difficile et une énorme sortie de route à 160 km/h - heureusement sans conséquences -, la Porsche 914-6 GT du pilote québécois franchit le drapeau à damiers. « En passant le fil d’arrivée, je ne pus m’empêcher d’éclater en sanglots en voyant tous les membres de l’équipe sauter de joie. Nous avions terminé à la septième position au classement général et à la première place de la catégorie 2 litres. C’était aussi la première fois qu’une équipe canadienne parvenait à un tel résultat. Ce fut incontestablement le plus beau souvenir de ma carrière de coureur automobile ».

Paradoxalement, c’est aussi cette voiture qui va marquer le ralentissement de sa carrière de pilote. En effet, son châssis, durement éprouvé par la course de 24 Heures, nécessitait une réparation facturée 2 000 $ par Porsche, ce que le fondateur du Guide de l’auto refusa de payer. Au-delà de cette mésaventure, la course automobile coûtant de plus en plus cher, Jacques Duval décide de ne plus injecter autant d’argent dans ce domaine. Il va continuer à piloter, mais de manière plus sporadique dans les années 1970. D’abord au volant d’une Renault 17 Gordini, puis avec des Chevrolet Camaro et Corvette.

C’est avec cette dernière qu’il aura un gros accident sur le circuit de Sainte-Croix. Sa dernière victoire d’importance a lieu lors des 3 Heures de Saint-Eustache, où Jacques Bienvenue lui propose de faire équipe avec lui et de conduire sa Porsche 911 RSR en 1978. Pour le voir revenir sur les circuits de manière plus assidue, il faudra attendre le début des années 2000, grâce à son fils François : « Nous avons roulé ensemble plusieurs années en Vintage avec une Porsche 911, décorée comme celle qu’il pilotait dans les années 60. Ce n’était évidemment pas aussi compétitif qu’à l’époque, mais mon père n’avait rien perdu de son agressivité en piste », ajoute-t-il en esquissant un sourire.
La naissance du Guide
D’abord chroniqueur automobile à Télé-Métropole, Jacques Duval entre à Radio-Canada pour animer l’émission Prenez le volant en 1966. Un format inédit pour l’époque, où de vénérables berlines familiales sont battues sur le Circuit Mont-Tremblant, les roues crissant bruyamment et fumant dans les virages. Plusieurs véhicules serviront à filmer les essais routiers, mais c’est surtout une Citroën DS21 familiale qui sera abondamment utilisée. Elle demeurera fidèle au poste, peu puissante mais endurante. Face à la caméra, Jacques Duval continue de repousser les limites… et a fini par les franchir à deux reprises : « Nous prenions des risques considérables, à force de vouloir obtenir des images spectaculaires en roulant à tombeau ouvert avec des voitures qui n’étaient absolument pas construites pour repousser les limites d’une piste de course, j’ai finalement fait deux tonneaux, l’un avec un coupé Fiat 850, l’autre avec une Datsun 510 », explique-t-il dans son autobiographie.

Pour les besoins de l’émission, Jacques Duval avait évidemment des notes manuscrites pour chaque véhicule. Il disposait également de textes conseillant les automobilistes qu’il publiait dans la revue Maclean’s. Dans ce cas, pourquoi ne pas utiliser ce matériel pour rédiger un livre? Suite à cette suggestion de sa future épouse, Monique Ruhlmann, Jacques Duval contacte Alain Stanké, qui est alors directeur des Éditions de l’Homme. Les deux hommes se connaissent depuis de nombreuses années, ont travaillé ensemble dans les années 50 et sont amis. La discussion dure à peine 15 minutes. Stanké est séduit par l’idée mais contrairement à la suggestion de Jacques Duval qui souhaite capitaliser sur le nom Prenez le volant, son interlocuteur suggère Le Guide de l’auto. Paru au début de l’année 1967, ce petit recueil à la couverture rouge connaît un succès immédiat et se vend à 10 000 exemplaires. Au départ, le livre n’est pas millésimé, car il n’était pas destiné à être vendu chaque année. Mais l’engouement est tel qu’Alain Stanké demande à Jacques Duval s’il est prêt à faire une autre édition pour 1968. L’histoire était en marche…

De un à trois
Les premières années, Jacques Duval travaille seul à l’élaboration du Guide de l’auto. Mais avec l’augmentation progressive de la pagination et du nombre d’essais routiers, il doit étoffer son équipe. Le premier joueur d’importance à le rejoindre est Denis Duquet qui rédige ses premiers textes dans l’édition 1981. Son nom sera associé à celui du Guide pour les 40 éditions suivantes! Puis, c’est au tour de Marc Lachapelle de faire son arrivée : C'est peu dire que Jacques Duval n’était pas un grand amateur de camionnettes et c’est de cette manière que je suis entré au Guide pour l’édition 1983». À part une ellipse de quelques années, vous pouvez toujours lire ses essais routiers dans le livre aujourd’hui. Les deux hommes décrivent le fondateur du Guide de l’auto comme un bourreau de travail, travaillant sans relâche pour réaliser le meilleur ouvrage possible.

Le travail était intense, mais plaisant comme se le remémore Marc Lachapelle : « Pour moi, le début des années 80 a été la meilleure période. On travaillait fort, mais on avait du fun et la collaboration se passait bien avec Jacques et Denis ». Toutefois, une certaine lassitude doublée d’une forte fatigue se dessine du côté de Jacques Duval. « Je pense qu’il était brûlé par autant d’années à travailler sans relâche, explique Denis Duquet. L’intensité de la tâche lui pesait, mais il avait aussi de gros problèmes de santé. Son dos le faisait beaucoup souffrir, ce qui compliquait son travail. C’est d’ailleurs en partie pour cela qu’il a arrêté la course automobile. Il s’est fait opérer plusieurs fois et je me souviens qu’à un moment, il portait un petit boîtier à la ceinture qui envoyait du courant dans des électrodes sur son dos pour le soulager ». Pour Jacques Duval, l’année 1984 est un tournant, puisque c’est la dernière fois qu’il participe au Guide de l’auto en tant que journaliste. L’édition 1985, préparée durant l’année précédente, porte encore son nom, mais les suivantes se feront sans lui car il a accepté un mandat important chez un grand constructeur.

De l’autre côté de la clôture
Durant la première partie de sa carrière en journalisme automobile, Jacques Duval s’était taillé une réputation de critique parfois très sévère à l’égard des véhicules qu’il jugeait médiocres. À la fin de l’année 1984, sa carrière prend un virage à 180 degrés puisqu’il accepte de devenir « conseiller spécial » chez Ford Canada. Alors qu’il travaillait dans les médias de manière toujours indépendante, le fait qu’il mette sa notoriété au service d’un constructeur automobile a fait grincer des dents. Le fondateur du Guide de l’auto se l’était fait reprocher à de nombreuses reprises à l’époque. Fort des promesses qui lui ont été faites avant d’arriver chez Ford, Jacques Duval espérait vraiment pouvoir peser dans certaines décisions. « Il pensait sincèrement que ses conseils pour améliorer les produits seraient écoutés, qu’il pourrait avoir un impact significatif sur les futurs véhicules. Mais cela ne s’est pas vraiment passé comme cela, et il a été frustré de cette situation », explique son ami de longue date Claude Carrière.

Il est vrai que mis à part le tournage de publicités, son visage imprimé sur des brochures et sa participation à des évènements liés à l’automobile comme le Salon de l’auto, Jacques Duval était peu sollicité par Ford. En effet, il ne leur devait que 60 jours de travail par année, tout en ayant signé un contrat mirobolant, comme il le détaille lui-même dans son autobiographie. « Je ne nierai pas que l’argent a joué un rôle dans ma décision d’accepter ce poste vers la fin d’année 1984. C’est finalement pour un salaire annuel de 250 000 $ (640 000 $ aujourd’hui!) que l’entente d’une durée de cinq ans fut ratifiée. Ford pouvait se prévaloir d’une option de renouvellement à 350 000 $ (900 000 $) par année et s’engageait à me fournir trois voitures Ford neuves, renouvelables chaque trimestre pendant la durée de l’entente ». Finalement, le fondateur du Guide de l’auto sera employé huit ans par le constructeur américain, et en partira sans avoir pu apporter ses idées. « Pour Ford, c’était juste un Québécois, c’était pas Jackie Stewart non plus. Mais au Québec, il était très populaire. À l’époque, j’avais une boutique d’accessoires auto, on avait pris une Thunderbird Coupé Turbo et mis un kit de carrosserie pour faire une édition Jacques Duval pour le Salon de l’auto de Montréal 1985. Mais les concessionnaires n’étaient pas vraiment emballés par l’idée », précise Claude Carrière.

Plutôt frustré par la tournure des évènements, Jacques Duval a en revanche loué la loyauté de Ford : « Nonobstant le fait que le titre de « conseiller spécial » n’ait été qu’un écran de fumée, Ford a respecté ses engagements à la lettre, et s’est même prévalue après cinq ans d’une clause de renouvellement pour trois années supplémentaires ». En travaillant pour Ford, certaines personnes pourraient aussi soupçonner que Jacques Duval faisait de l’ingérence auprès de Denis Duquet et Marc Lachapelle restés à la barre du Guide de l’auto. Mais il n’en a rien été comme l’explique ce dernier. « Lorsqu’il travaillait pour Ford, à aucun moment il n’a essayé de m’influencer ou de savoir ce que je m’apprêtais à écrire sur les produits Ford, Lincoln ou Mercury. Ma liberté de ton et d’écriture était totale. Et je pense que c’était la même chose pour Denis ».
Un retour mitigé
Les premiers textes publiés par Jacques Duval pour son retour se retrouvent dans le Guide de l’auto 1993. C’est l’année suivante qu’il revient à plein temps, reformant le fameux trio du début des années 80. Cela dit, le retour du fondateur dans l’industrie lui a laissé des sentiments mitigés comme l’explique Denis Duquet : « Quand Jacques est parti chez Ford, il était le leader incontesté et incontestable parmi les journalistes automobiles. Mais à son retour, tout avait changé. Plusieurs publications concurrentes avaient vu le jour, il y avait beaucoup plus de journalistes et son influence, bien qu’importante, n’était plus aussi forte qu’avant. Je pense que c’est pour cette raison que son retour n’a pas été celui qu’il espérait ». Toutefois, cela n’empêche pas le Guide de poursuivre sa marche en avant, augmentant encore son format ainsi que son nombre de pages au fil des années. Les ventes se portent également très bien, les lecteurs québécois demeurant fidèles au livre.

Mais la fatigue après chaque ouvrage bouclé se faisait de plus en plus forte. Faisant courir le bruit que le Guide était à vendre, il finit par conclure une transaction avec la société LC Média en juillet 2003. Mais les relations entre le fondateur du Guide et les nouveaux acquéreurs vont rapidement se dégrader, faisant en sorte que Jacques Duval ne fera pas partie de l’équipe éditoriale pour l’édition 2005. Après un bref retour en tant que collaborateur pour les 40 ans du livre en 2006, il s’éloigne de nouveau du livre qu’il a fondé.
C’est à ce moment qu’il écrit son autobiographie, dans laquelle il jette un regard plutôt amer sur le déroulement des évènements. « Pour moi, ce fut la triste fin de ce que je considère et considérerai toujours comme l’œuvre de ma vie. Mais comme je n’accepte pas d’avoir vu ma vie professionnelle, ma raison de vivre, assassinée de cette façon, il y aura une suite. Je crois fermement que l’expérience mérite d’être tentée une seconde fois ». Cette suite, ce sera L’Auto - un livre similaire au Guide mais publié par une maison d’édition concurrente - à laquelle il participera de 2009 à 2013. Pourtant, cet ouvrage ne supplantera jamais sa création initiale, en dépit de sa photo et du nom de Jacques Duval apposés sur la couverture. Il semblerait que le fondateur du Guide de l’auto ait créé quelque chose d’encore plus grand que lui, une institution que les Québécois ont continué a se procurer fidèlement même après son départ. Les chicanes étant faites pour être résolues, Jacques Duval fait finalement son retour au Guide de l’auto pour l’édition 2014.

Il participera aux deux ouvrages suivants, pour conclure sa collaboration sur un chiffre rond : le 50e parution du livre qu’il a fondé. Lors d’un événement organisé au circuit ICAR pour fêter ce tournant, il a aussi pu mesurer au nombre de commentaires bienveillants et d’autographes signés combien il était apprécié du public québécois. Jamais rassasié par la conduite automobile et friand de nouveautés, il fera même le saut vers la voiture électrique à plus de 80 ans, en s’offrant une Tesla Model S P85+... à propos de laquelle il sera dithyrambique à de nombreuses reprises! Les deux derniers livres auxquels il va collaborer seront d’ailleurs consacrés à la voiture électrique, dont les accélérations vigoureuses et l’insonorisation l’impressionnaient beaucoup.

Merci, Jacques!
Toutes les personnes que nous avons rencontrées pour ce dossier nous ont parlé d’un homme travaillant parfois jusqu’à l’excès, obnubilé par chaque détail afin de faire le meilleur travail possible. Mais aussi d’un homme rieur, bon public et blagueur, ce que l’on a parfois du mal à imaginer lorsqu’on ne le voit qu’à travers le filtre plus sérieux de la télévision. Travailler dans l’automobile à plein temps n’a pas émoussé son amour pour la chanson francophone, avec un favori au sommet de la pyramide : Michel Sardou, dont il connaissait tout le répertoire. Grand amateur de sport, il vouait un véritable culte aux Expos, dont il suivait tous les matchs : « même ma Porsche 911 de 1969 arborait fièrement et gratuitement un autocollant des Expos de Montréal. De cette façon, quand je gagnais, les Expos gagnaient aussi un peu », a-t-il expliqué dans son autobiographie.
Au-delà des frictions et des controverses, inévitables avec une aussi longue carrière, Jacques Duval était connu dans le métier pour son caractère fort et une confiance en soi à l’avenant. Mais il fait reconnaître qu’il est l’homme qui a inventé le journalisme automobile au Québec. Farouchement opposé à l’utilisation d’anglicismes dans ses textes, il s’évertuait à parler un français particulièrement travaillé, alors que tout le secteur automobile ne parlait qu’en anglais dans les années 60. À ce propos, il évoque une tendresse touchante pour la langue française dans son autobiographie « Je ne dis pas que j’ai toujours réussi à lui rendre l’hommage qu’elle mérite, mais je lui ai toujours manifesté beaucoup de respect».

Et même si cela ne lui a pas toujours fait plaisir de voir des jeunes journalistes débarquer dans le milieu, il est indéniable qu’il a pavé la voie à toute une génération qui écrit sur l’automobile aujourd’hui. Et bon nombre de journalistes québécois en activité ont été bercés par les écrits de Jacques Duval, qu’ils travaillent au Guide de l’auto ou ailleurs. Le livre que vous tenez entre les mains est la 59e édition, et nous sommes heureux de voir qu’il a toujours autant de succès. Lorsque nous vous rencontrons dans les salons de l’auto, nous sommes très touchés par vos bons mots et votre bienveillance à notre égard. Et si tout cela est possible aujourd’hui, c’est grâce à notre fondateur. Alors, merci Jacques!
