Plymouth Valiant 1960-62 : originale mais classique

Publié le 4 octobre 2025 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Le millésime 1960 marque l’arrivée des Trois Grands de Detroit sur le segment des véhicules compacts. Chacun des trois modèles sera radicalement différent, avec des philosophies de développement bien marquées. L’offre de Chrysler sera probablement la plus « au milieu » mais avec tout de même un caractère propre.

Jusqu’en 1959, et à part quelques modèles spéciaux (Chevrolet Corvette, Ford Thunderbird), il n’y avait essentiellement qu’une seule taille d’auto dans les gammes de Chrysler, Ford et General Motors : la grande. Pourtant, dès la fin des hostilités en 1945, ces trois compagnies en commencé à plancher sur des modèles plus économiques afin de, pensaient-elles, relancer le marché (qui se relancera finalement très bien tout seul). Mais les trois se sont heurtées aux réalités économiques d’un tel projet, c’est-à-dire sa quasi-absence de rentabilité. Certes, il y a aura bien quelques tentatives de petites autos américaines d’après-guerre. On pense notamment aux Crosley (1939-1952), Henry J (1951-1954), Hudson Jet (1953-1954), Hudson et Nash Metropolitan fabriquées en Angleterre, (1953-1962) et Willys Aero (1952-1955). Toutes seront des échecs commerciaux, toutefois la Willys connaîtra par contre un grand succès au Brésil.

Il ne faut bien sûr pas oublier les modèles importés, d’abord d’Europe puis du Japon à la fin de la décennie 50. La seule qui va parvenir à réellement s’imposer, c’est évidemment la Volkswagen Beetle. Les ventes initiales sont très faibles : 270 exemplaires en 1950. Mais elles vont rapidement exploser : 6 344 exemplaires en 1954, 50 011 en 1956, 78 588 en 1958 et 120 442 en 1959. C’est 44 508% d’augmentation en 10 ans! Les américains commencent à sentir que le vent tourne. C’est American Motors, issu de la fusion de Nash-Kelvinator et Hudson, qui dégaine le premier avec de nouvelles Rambler en 1957 et la petite American (reposant sur un empattement de 100 pouces) en 1958. Studebaker suit en 1959 avec les Lark (empattement de 108,5 pouces ou 113 pouces pour les familiales), des modèles qui vont permettre à la marque, déjà en difficulté, de survivre jusqu’en 1966.

Photo: Plymouth

Elle a tout d’une grande

C’est dans ce contexte que les Trois Grands de Detroit vont commencer à planifier leurs modèles compacts, encouragés par la récession économique de 1957-58. Pour sa Corvair, Chevrolet va choisir d’adapter la recette de Volkswagen (moteur à plat refroidi par air en position arrière) mais à des proportions américaines : empattement de 108 pouces contre 94,5 pour l’allemande, moteur de 140 pouces cubes (2,3 litres) contre 72,7 (1,2 litre) et de la place pour 6 personnes. Si l’on oublie le scandale autour du livre « Unsafe at any speed » de Ralph Nader, la Corvair se vendra plutôt bien mais déroutera une clientèle conservatrice et sera suppléée par la Chevy II à partir de 1962. La Ford Falcon, imaginée par Robert McNamara, le futur Secrétaire à la défense des gouvernements Kennedy et Johnson, ne fera preuve d’aucune originalité tant sur le plan du style que de la mécanique. Mais son châssis monocoque va s’avérer une base mécanique remarquable pour bon nombre de modèles Ford, Mercury et même Lincoln jusqu’en 1980 (y compris la première Mustang).

C’est début 1957 que Chrysler établit un comité en vue de définir les lignes directrices du projet. Dirigé par Harry Chesebrough, il étudiera de nombreuses configurations techniques avant de choisir un 6 cylindres à refroidissement liquide en position avant avec roues arrière motrices. La seule originalité technique viendra du fait que le châssis sera de construction monocoque, comme tous les modèles Chrysler prévus pour 1960 (sauf Imperial). Certains calculs seront réalisés par ordinateur, une première, et des maquettes en plastique transparent à l’échelle permettront de visualiser les points de flexion les plus importants. L’auto reposera sur un châssis avec un empattement de 106,5 pouces (2,70 mètres) contre 118 ou 122 pouces pour les modèles pleine grandeur. Même s’il s’agit d’un modèle compact, Chrysler décidera de le concevoir et de le commercialiser comme une « première voiture » et non pas comme une « seconde voiture ». Cela veut dire qu’il devra offrir de bonnes cotes d’habitabilité et un volume de chargement pour 6 personnes.

Photo: Plymouth

Du nouveau sous le capot

C’est en mai 1958 que commence le développement de la compacte, sous la direction de Bob Sinclair. Le temps presse pour un lancement à l’automne 1959, alors Chrysler décide de regrouper tous les corps de métier impliqués sous un même toit, créant ainsi l’ancêtre des équipes de plateforme (platform team), méthode qui participera à sauver Chrysler dans les années 90. Tout est fait pour améliorer l’accessibilité et l’habitabilité, y compris concevoir un nouveau 6 cylindres. Ce sera le fameux « méo penché » qui sera monté dans un nombre incalculable de modèles de la gamme nord-américaine de Chrysler jusqu’en 1987.

De son vrai nom « moteur G », il hérite de ce sobriquet de par son inclinaison de 30 degrés vers le côté passager, qui permet de placer la pompe à eau sur le côté, d’installer un collecteur d’admission optimisé, de légèrement abaisser le centre de gravité et de réduire la hauteur du capot, facilitant la vie aux stylistes. D’une cylindrée de 170 pc (2,8 litres), ce bloc à soupapes en tête développe 101 chevaux à 4 400 tr/min et 155 lb-pi à 2 400 tr/min. Il est accouplé à deux nouvelles boîtes de vitesses à trois rapports : la A-903 manuelle avec commande au plancher de série et la Torqueflite A-904 automatique optionnelle avec commande par boutons-poussoirs sur le côté gauche de la planche de bord. Le rapport de pont arrière est de 3,55:1 de série mais la boîte auto peut également bénéficier d’un rapport de 3,23:1 contre supplément.

Photo: Plymouth

Les suspensions avant font appel à des ressorts de torsion tandis que des ressorts à lames asymétriques sont installés à l’arrière avec un essieu de type Hotchkiss. Les freins sont à tambour aux 4 roues et le tout est monté sur des roues de 13 pouces. La direction et les freins assistés sont proposés en option. La tenue de route sera généralement appréciée des acheteurs même si le moteur incliné peut parfois créer des réactions parasites dans les virages serrés.

Pas de compromis

Jusque-là, que du classique. Mais il faut maintenant parler du design. Celui-ci est réalisé sous la direction de Virgil Exner. Après être passé par les studios de Pontiac et de Studebaker (via le designer industriel Raymond Loewy), il rentre chez Chrysler en 1949. Sa mission initiale est de développer des véhicules concepts (qu’il baptise « voitures idées »). Il sera très prolifique et plusieurs d’entre eux seront fabriqués chez Ghia, en Italie, comme le Chrysler Norseman au destin tragique. À partir de 1952, il reçoit également la responsabilité de réaliser les gammes commerciales, la première étant en 1955. C’est sous sa direction que sera créé le « look de 100 millions de dollars ». Exner ne fait pas dans la complaisance et cherche toujours à pousser les normes.

C'est ce qu’il va faire pour la Valiant, qui sera en quelque sorte un pot-pourri de plusieurs de ses idées développées pour des véhicules concept : la strie sur les ailes avant, une grille avant simulant un radiateur, la ligne d’entourage des roues arrière finissant sur des feux en amande, une fausse roue de secours sur le coffre… Le moins que l'on puisse dire, c’est que les proportions sont inhabituelles et que le style de la Valiant est clairement le plus marqué des trois nouvelles compactes de 1960. La version familiale reprend les portes de la berline mais ajoute une vitre de custode à l’inclinaison inverse donnant sur une large vitre arrière et présentant, là encore, des proportions étonnantes. Et malgré tout, elle reste formellement identifiée comme un produit Chrysler.

Photo: Plymouth

Plymouth Falcon?

La nouvelle Valiant est présentée à l’automne 1959. Elle devait initialement s’appeler Falcon (du nom d’un concept montré en 1955 qui aurait pu concurrencer les Chevrolet Corvette et Ford Thunderbird) mais Ford demandera l’utilisation de ce nom pour sa compacte et Chrysler acceptera. Mais il y a une twist! La Valiant est alors considérée comme une marque à part entière et pas comme une Plymouth. Elle sera associée à Plymouth dès 1961, essentiellement pour faire monter les chiffres de production de la marque aux États-Unis. Au Canada, elle restera pour les trois années de sa commercialisation une marque séparée et sera vendue indifféremment dans les réseaux Dodge et Plymouth.

Au lancement, deux carrosseries sont offertes : berline 4 portes et familiale Suburban en 6 ou 9 places (avec une troisième rangée dans le coffre, non offerte au Canada). Il y a deux niveaux de finition : V-100 et V-200. Cette dernière se distingue par plus de chrome à l’extérieur et un intérieur mieux fini. Le prix de base est de 2 033 USD/2 551 CAD et peut monter jusqu’à 2 546 USD/2 983 CAD. L’équipement de base n’est évidemment pas très fourni mais il est toujours possible d’ajouter une chaufferette, des pneus à flancs blancs, un rembourrage de sécurité du tableau de bord, le lave-glace, les essuie-glaces à vitesse variable, la vitre arrière électrique pour les familiales, le rétroviseur gauche, le pare-brise teinté, des protecteurs de pare-chocs et une suspension renforcée.

Photo: Plymouth

À partir du printemps 1960, les clients pouvaient commander une option de performance : l’Hyper-Pak. Le 6 cylindres est profondément modifié : taux de compression à 10,5:1 contre 8,5:1, nouvel arbre à cames, collecteur d’admission revu et carburateur 4 corps Carter AFB-3083-S. Le tout donne 148 chevaux à 5 200 tr/min. Une boîte manuelle à rapports rapprochés est offerte en option. Les suspensions sont également renforcées, ainsi que les freins. Cette option permettra à Plymouth de courir en NASCAR dans la nouvelle catégorie des compactes.

À la fin de l’année, même si la Valiant est troisième derrière les Falcon et Corvair (voir tableau comparatif en fin de texte), les chiffres sont quand même bons avec 194 292 exemplaires produits (voir tableau de production complet en fin de texte). Avec près de 880 000 exemplaires au total, les Trois Grands ont réussi le lancement de leurs modèles compacts. Mais Volkswagen est tout de même parvenu à vendre 159 995 Beetle en 1960…

Photo: Plymouth

Une carrière courte

La compétition augmente en 1961 (notamment les Pontiac Tempest, Oldsmobile F-85 et Buick Special), alors Plymouth ne baisse pas sa garde. Esthétiquement, la grille avant et les finitions chromées sont revues. Deux nouvelles carrosseries sont ajoutées : 2 portes sedan pour la V-100 et 2 portes hardtop pour la V-200. La version familiale 9 places devient une simple option (non offerte au Canada). Mécaniquement, une version en aluminium du 6 cylindres est proposée en cours de millésime dans une cylindrée de 225 pc (3,7 litres). La puissance passe à 145 chevaux. Mais ce bloc ne sera pas très populaire et sera arrêté en novembre 1962 après seulement 52 000 exemplaires produits. Le taux de compression du 170 pc passe à 8,2:1 mais la puissance reste à 101 chevaux.

Photo: Plymouth

La production de la Valiant est en recul de 26,4% pour 1961. Cela est en grande partie dû au fait que Dodge a lancé un clone aux États-Unis : la Lancer. Par rapport à la Valiant, le style est un peu plus simple avec une calandre assez conventionnelle, des feux arrière ronds et l’absence de la fausse roue de secours sur le coffre. En combinant les deux modèles, la production des Chrysler compactes est en fait en augmentation de 12,1%.

Les Valiant 1962 reçoivent une nouvelle grille avant, l’embouti de coffre de la Lancer et des décorations latérales chromées redessinées. Les feux arrière deviennent ronds et sont placés sous le pli de l’aile. Des peintures deux tons sont proposées. Une 2 portes sedan V-200 est ajoutée à la gamme. À l’intérieur, la planche de bord est modifiée et le levier de vitesses de la boîte manuelle passe sur la colonne de direction. Mais la plus grosse nouveauté est le lancement de la version Signet 200, équipée de sièges baquets à l’avant afin de surfer sur la même vague « sportive » que les Corvair Monza et Falcon Futura (voir photo ci-dessous). Elle reçoit aussi une grille avant noire et un traitement chromé minimal. Son succès permet à la Valiant de voir sa production remonter de 9,9%.

Photo: Plymouth

1960

1961

1962

Valiant V-100 4 portes

52 788

25 695

33 769

Valiant V-100 familiale 6 places

12 018

6 717

5 932

Valiant V-100 familiale 9 places

1 928

Valiant V-100 2 portes

22 230

19 679

Valiant V-200 4 portes

106 515

59 056

55 789

Valiant V-200 familiale 6 places

16 368

10 794

8 055

Valiant V-200 familiale 9 places

4 675

Valiant V-200 2 portes

8 484

Valiant V-200 2 portes hardtop

18 586

Valiant Signet 200 2 portes hardtop

25 586

Total

194 292

143 078

157 294

L’ensemble Valiant/Lancer progresse quant à lui de 1,7% mais cela ne suffit pas à inquiéter les modèles Chevrolet et Ford. Après trois ans, le marché a parlé et c’est le modèle le plus conventionnel, la Falcon, qui trône sur la première place du podium.

1960

1961

1962

Plymouth Valiant

194 292

143 078

157 314

Dodge Lancer

74 776

64 351

Chevrolet Corvair

250 007

282 075

292 531

Ford Falcon *

435 676

474 241

396 129

* Excluant les utilitaires Ranchero et Delivery

Photo: Plymouth

Pour 1963, la Valiant sera redessinée et la Lancer prendra le nom de Dart. Le style sera nettement plus classique. C’est normal, Virgil Exner a été viré et a été remplacé par Elwood P. Engel, un transfuge de Ford (qui a signé notamment la Lincoln Continental 1961), avec une approche plus conservatrice. Cette génération servira de base au coupé Barracuda de 1964. Les Valiant et Dart seront produites jusqu’en 1976 avant d’être remplacées par les Dodge Aspen et Plymouth Volare. Mais ceci est une autre histoire…

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de la Plymouth Reliant 1981

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