Et si les constructeurs américains s'en allaient?
La semaine dernière, on apprenait que Stellantis abandonnait son projet d’assembler le futur Compass à l’usine ontarienne de Brampton, à l’arrêt depuis le 22 décembre 2023. Et puis, pratiquement au même moment, on confirmait la mise sur pause de la seconde phase de l’usine Ultium CAM de Bécancour, en partie détenue par General Motors. Comprenez ainsi que les activités cesseront à cette usine qui assemble des cathodes nécessaires à la fabrication de batteries pour véhicules électriques.
Or, parce que deux mauvaises nouvelles ne viennent jamais sans une troisième, General Motors annonçait aussi il y a quelques jours la fin des camions Chevrolet BrightDrop à son usine d’Ingersoll, en Ontario. C’est un autre coup dur pour l’industrie automobile canadienne, de plus en plus en péril, doublé d’un véritable doigt d’honneur au syndicat Unifor, qui ne sait trop comment trouver des solutions pour assurer l’avenir de ses membres.
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Maintenant, peut-on être surpris que de telles décisions soient prises par les constructeurs automobiles, sous la pression du gouvernement Trump? Avec des tarifs douaniers de 25% s’appliquant aux automobiles ainsi qu’aux camions de poids moyens qui entrent aux États-Unis, la rentabilité est de plus en plus difficile – surtout pour des véhicules fabriqués au Canada par des travailleurs qui sont généreusement rémunérés et qui bénéficient de plans de retraite exceptionnels.
La décision de General Motors de ralentir sérieusement ses activités au pays pourrait donc même mener jusqu’à la fermeture de l’usine d’Oshawa, qui fabrique toujours des camions Chevrolet Silverado et Silverado HD. Soyez-en certains, les employés de cette usine sont de plus en plus nerveux, ayant bien frais en mémoire les nombreuses menaces de fermeture dans le passé.

De son côté, Stellantis ne confirme absolument rien quant à l’avenir de son usine de Brampton et ouvre un troisième quart de travail à celle de Windsor, où sont fabriquées les fourgonnettes Chrysler et la Dodge Charger. Or, considérant que la Pacifica est en fin de carrière et que la Charger n’est pas un produit à fort volume, pourrait-on choisir à moyen terme de changer les plans et de rapatrier la production de l’autre côté de la rivière Detroit?
Est-ce que le regain de production canadienne de cette usine ne serait que temporaire et donc, que de la poudre aux yeux? La question mérite d’être posée, mais bien sûr, les relationnistes de Stellantis n’y répondront pas…

Quant à Ford, toutes les raisons sont bonnes pour s'inquiéter. D’abord, parce que le constructeur n’émet aucun commentaire autre que celui d’affirmer que les plans suivent leur cours, mais aussi parce que les changements de stratégie n’annoncent jamais de bonnes nouvelles sur le long terme. Rappelons que Ford a cessé d’assembler le VUS intermédiaire Edge en avril 2024 à son usine d’Oakville, qui depuis est en phase de réoutillage. Celle-ci devait accueillir un nouveau véhicule électrique qui ne fait plus partie des plans de Ford, ce qui a obligé le constructeur à changer de stratégie par l’annonce de l’assemblage de camions Super Duty, devant débuter quelque part en 2026. Or, nous savons que cette usine doit être considérée comme celle qui compenserait une trop forte demande. Elle ne roulera donc pas à plein régime, contrairement aux usines du Kentucky et de l’Ohio.
J’ajouterais également qu’en discutant avec des relationnistes américains au cours de la semaine, j’ai immédiatement senti un gros malaise lorsqu’il a été question de l’usine d’Oakville. Ceux-ci ne m’ont évidemment rien dévoilé, mais ont bégayé juste assez pour me laisser croire qu’ils en savaient beaucoup plus que ce que laissaient entendre leurs paroles. Cela pourrait-il signifier qu’une annonce est sur le point de se faire? Que les camions de la série Super Duty ne seront finalement jamais assemblés chez nous?

Chose certaine, l’assemblage de véhicules au Canada par les trois constructeurs américains vit sur du temps emprunté. Au point où l’espoir n’est plus fondé et où les yeux sont aujourd’hui rivés sur Honda et Toyota qui, pour leur part, ne semblent pas avoir l’intention de lancer la serviette. Pas avec les investissements qui ont été faits, mais aussi en considérant que les véhicules fabriqués par ceux-ci sont parmi les plus populaires au pays, voire à travers le monde. Pensez à la Civic, au CR-V et au RAV4. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une tâche facile, il existe donc des solutions pour vendre ailleurs sur la planète ces véhicules de fabrication canadienne.

De la place pour de nouveaux joueurs?
Est-ce que le départ des constructeurs américains pourrait faire en sorte d’attirer chez nous de nouveaux joueurs? Des constructeurs coréens, européens ou même chinois qui voudraient s’implanter en profitant de l’expertise des travailleurs canadiens, des subventions fédérales et provinciales ou même de certaines installations qui deviendraient vacantes? Naturellement, cela ne se produirait guère avant que Trump ne cède son trône, puisqu’il pourrait sans doute considérer le geste comme une déclaration de guerre. Une déclaration de guerre de la part du Canada si Carney osait signer un accord avec la Chine en ce sens, mais aussi une déclaration aux constructeurs actuellement établis aux États-Unis et qui choisiraient plutôt le Canada pour l’assemblage de futurs modèles.
Cette étape passée, tout serait donc possible. Les Canadiens auront sans doute la mémoire longue et l’industrie automobile jouera sans doute ses pions deux coups d’avance. Il est évidemment difficile de prévoir une situation ou une crise comme celle que vivent actuellement les travailleurs de l’industrie automobile canadienne. Toutefois, il est clair qu’à l’avenir, les syndicats comme les constructeurs prévoiront le coup. À moins bien sûr qu’ils s’avouent vaincus et qu’ils choisissent de lancer la serviette.
