Lancia Thema 8.32 1986-1992 : cœur de Ferrari
Le premier véhicule de série à 4 portes avec un moteur Ferrari est bien évidemment le Purosangue. Perdu! Il y a près de 40 ans, une classique berline italienne a reçu la greffe d’un V8 frappé du cheval cabré. Retour sur une auto qui voulait concurrencer la BMW M5.
De son vivant, Enzo Ferrari s’est toujours opposé à l’idée d’apposer son nom sur une voiture à 4 portes. Il y a par exemple eu le superbe concept Pinin (évidemment dessiné par le carrossier Pininfarina, voir photo ci-dessous) présenté en 1980 et qui aurait pu devenir un modèle de série… mais rien n’est allé plus loin. Et lorsque la direction de Fiat, qui a racheté Ferrari en 1969, propose une collaboration entre Ferrari et Lancia pour le lancement de la nouvelle berline Thema, il va de nouveau dire non. Enzo cèdera finalement, mais au prix de plusieurs conditions. Mais d’abord, voyons ce qu’est une Lancia Thema.
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L’union fait la force
Au début des années 80, le triumvirat des marques « spécialistes » allemandes (Audi, BMW, Mercedes-Benz) ne domine pas encore le marché de la berline haut de gamme tandis que chez les Japonais, Acura, Infiniti et Lexus n’existent pas encore, pas même sur papier. À ce moment, presque tous les constructeurs européens « généralistes » ont des grandes berlines dans leur catalogue : Citroën CX, Renault 20/30, Peugeot 504/604, Ford Granada, Opel Rekord/Commodore, Rover SD1. Chez les constructeurs italiens, ces modèles se nomment Fiat 132 / Argenta, Lancia Gamma (en photo ci-dessous) et Alfa Romeo Alfetta. Autant dire que la concurrence est rude.

Dès 1978, Fiat, Lancia (qui appartient à Fiat depuis 1969) et Saab s’associent pour créer la plateforme d’une nouvelle génération de grandes berlines traction avant qui sera connue plus tard sous le nom de Tipo 4. Lancia et Saab vont également collaborer sur d’autres fronts puisque Saab vendra des Lancia Delta en Suède, Norvège et Finlande sous le nom de Saab 600 (de 1980 à 1982). Alfa Romeo, qui n’est pas encore la propriété de Fiat, se joindra au projet en 1982. C’est en 1984 que sont lancées les Lancia Thema (en photo ci-dessous) et Saab 9000. La Fiat Croma arrivera en 1985. Les trois autos partagent l’essentiel de leur cellule centrale. Introduite sur le marché en 1987, après le rachat par Fiat en 1986, l’Alfa Romeo 164 offrira plus de différences par rapport à ses trois cousines.

Classique mais élégante, la Lancia Thema a été dessinée par Italdesign et présente un Cx de 0,32. Elle sera fabriquée de 1984 à 1994 et connaîtra un joli succès avec 357 572 exemplaires produits. En plus de la berline, elle recevra une déclinaison familiale et même limousine. Elle bénéficiera de nombreuses motorisations sous son capot, principalement des 4 cylindres en ligne essence ou turbo diesel ainsi que des V6 (d’abord le PRV issu d’un développement commun entre Peugeot Renault et Volvo puis un Alfa Romeo, dynamique de groupe oblige). Mais le plat de résistance, c’est bien évidemment le V8 Ferrari.

Une Lancia à moteur Ferrari… nuance!
La rumeur veut que ce soit l’importateur Lancia en France, André Chardonnet, qui ait suggéré l’idée de la Thema à moteur Ferrari à la direction de Lancia. Réalisant de gros chiffres de ventes et distribuant également la marque Autobianchi (qui appartenait aussi à Fiat), celui-ci était très écouté par le management italien. Celui qu’il va falloir convaincre, c’est Enzo Ferrari. Mais Vittorio Ghidella, le président du groupe Fiat, parvient à le persuader… à quelques conditions.
Tout d’abord, pas question de nommer l’auto « Thema Ferrari » comme il a été un temps envisagé. Ensuite, le nom Ferrari ne peut apparaître que sur la tête du moteur. Enfin, il ne sera possible d’utiliser que le V8 2,9 litres à culasses multisoupapes des Ferrari 308 GTS/GTB QV et Mondial QV (pour quattro valvole) et non pas le nouveau 3,2 litres des 328 GTS/GTB.

Ce bloc tout aluminium doit être sérieusement revu pour être installé sous le capot de la Thema. Les ingénieurs visent une plus grande souplesse de fonctionnement. Il reçoit un vilebrequin conventionnel plutôt qu’un à plat tandis que les culasses, les arbres à cames, les systèmes d’alimentation et de refroidissement, la lubrification et la ligne d’échappement sont modifiés. Il bénéficie d’une injection électrique Bosch KE3 Jetronic et d’un allumage Marelli Microplex avec détecteur de cliquetis. Dénommé F105L, ce V8 voit sa puissance baisser par rapport à celle des Ferrari (215 chevaux à 6 750 tr/min contre 240 chevaux à 7 000 tr/min) mais sa valeur de couple progresse (208 lb-pi à 4 500 tr/min contre 190 lb-pi à 5 000 tr/min, données européennes). Ainsi équipée, la Thema 8.32 (pour 8 cylindres et 32 soupapes) devient la traction avant la plus puissante du monde.

Le reste de la partie technique n’est pas... en reste. Afin de supporter le supplément de poids sur le train avant (répartition AV/AR de 62%/38%), le berceau moteur est renforcé. Même chose pour la boîte de vitesses à 5 rapports qui doit faire face à un surcroît de couple (il n’y aura pas de boîte automatique disponible). Les suspensions sont recalibrées et les 4 freins à disque (264 mm ventilés à l’avant et 251 mm à l’arrière) ont droit à un ABS Bosch. La direction est une ZF Servotronic qui ajuste sa fermeté en fonction de la vitesse.
Les performances annoncées au lancement sont : 240 km/h en vitesse de pointe, 6,8 secondes sur le 0 à 100 km/h et 26,8 secondes sur le kilomètre départ arrêté. Ces chiffres la placent presque exactement en face de la BMW M5. Jolie comparaison…

La beauté est à l’intérieur
À l’extérieur, les modifications sont relativement discrètes mais impossible de confondre la 8.32 avec une Thema plus commune : grille unique, bas de caisse spécifiques, roues Speedline de 15 pouces à 5 branches évoquant Ferrari (avec des pneus Goodyear spécialement développés pour elle), liseré jaune soulignant le profil… jusque-là, rien que du classique. À l’arrière par contre, la 8.32 reçoit le premier aileron escamotable de série au monde. Activé par un moteur électrique, celui-ci se déploie sur commande du conducteur. Inconvénient, il empiète sérieusement sur le volume de chargement. Il est cependant réellement efficace et ajoute 30 kilos d’appui sur l’arrière à 220 km/h.

À l’intérieur par contre, tout ou presque est exclusif. La planche de bord avec une instrumentation spécifique est entièrement recouverte de cuir ainsi que les contre-portes, le pommeau du levier de vitesses, l’accoudoir et la console centrale. Les sièges sont recouverts d'Alcantara de série, un matériau très en vogue chez Lancia à l’époque, mais peuvent recevoir du cuir Poltrona-Frau en option. La véritable ronce de noyer polie est omniprésente (planche de bord, cendrier, portes). Les appuie-têtes arrière se rabaissent automatiquement lorsque la marche arrière est sélectionnée. L’équipement de base est correct, sans plus, et il faut mettre la main à la poche pour avoir la climatisation automatique, le toit ouvrant, les sièges avant électriques et chauffants, la banquette arrière à réglages électriques, le pré-équipement pour radiotéléphone, l’autoradio Blaupunkt Brema SQR46 ou la condamnation centrale. Une mini-télévision à installer sur l’accoudoir était également offerte en accessoirie.

Le talon d’Achille
La Lancia Thema 8.32 est officiellement présentée au Salon de l’auto de Turin, fin avril 1986. Le plan est alors de fabriquer de 1 100 à 1 200 exemplaires par an (dont 700 pour l’Italie) dans l’atelier de l’usine de San Paolo qui sert aussi à la construction des Delta S4 de rallye (Groupe B). Mais la production va prendre du retard à cause de soucis de qualité et après 280 exemplaires livrés en Italie dans les derniers mois de 1986, les exportations en Europe ne vont réellement commencer qu’à l’été 1987. Ceci ne va pas aider la carrière commerciale du modèle. De plus, la 8.32 est chère (environ 2,5 fois le prix d’une Thema de base de 120 chevaux) et elle souffre de problèmes de motricité (essayer de faire passer 215 chevaux sur les seules roues avant sans la moindre assistance électronique, vous verrez!), d’une suspension jugée un peu trop souple et d’un freinage manquant de mordant. En face, la BMW M5 E28 est encore plus chère mais c’est une propulsion et les 286 chevaux du 6 cylindres M88/3 passent tout en finesse à la première sollicitation du pied droit.

C’est au Salon de l’auto de Paris 1988, pour le millésime 1989, que la Thema reçoit son premier restylage avec des optiques avant et arrière, la grille et l’intérieur qui sont revus. La 8.32 en profite également. Son V8 est désormais catalysé et la puissance passe à 205 chevaux. La grosse nouveauté est l’arrivée de la suspension à amortissement variable Boge à contrôle hydraulique. En recevant des informations comme l'accélération verticale, l'angle de braquage, la vitesse de rotation du volant, le freinage et la vitesse de la voiture, l’électronique de contrôle peut ajuster la fermeté. Le conducteur peut sélectionner les modes « Automatic » ou « Sport ». Cette technologie améliorera le dynamisme de l’auto.
L’équipement est enrichi et il n’y a pratiquement plus d’options. Mais cela a un coût : à la fin de sa carrière, au millésime 1992, la Thema demande dorénavant un peu plus de 3 fois le prix d’une Thema de base. Contrairement à la Thema « normale », la 8.32 ne connaîtra pas la phase 3 du millésime 1993. Ceci étant à cause de la demande limitée et des normes de pollution Euro 1.

Au total, la Thema 8.32 aura été produite à 2 370 exemplaires en phase 1 et à 1 601 exemplaires en phase 2. Cela inclut une série spéciale « Limited Edition » réservée à l’Allemagne et peinte dans un rouge Ferrari (32 phase 1 et 32 phase 2, en photo ci-dessous). Ce ne sont pas de si mauvais chiffres lorsqu’on les compare aux 2 241 exemplaires de la BMW M5 E28 (construite de 1984 à 1988). Pourtant, aujourd’hui la 8.32 est un peu oubliée. Les beaux modèles sur le marché de la collection ne demandent pas des fortunes. Mais il faut dire que l’auto fait un peu peur. Moteur Ferrari oblige, les courroies de distribution sont à changer au maximum tous les 40 000 kilomètres, une opération qui peut demander la dépose du bloc. Imaginez un peu le coût de l’entretien!

Pas rancunier, enfin pas dans ce cas-ci, Enzo Ferrari utilisera une 8.32 comme voiture personnelle dans les dernières années de sa vie. Finalement, une Thema à moteur Ferrari, ce n’était pas une si mauvaise idée…
