Opel GT 1969-73 : la mini-Corvette
C’est par ce titre que commence l’essai du coupé importé d’Europe dans l’édition 1971 du Guide de l’auto. Il est vrai que l’influence américaine sera forte sur ce projet, et ce à de multiples niveaux. Et la clientèle américaine sera justement séduite puisque ce marché absorbera à lui tout seul près de 70% de la production totale.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Opel GT aura de prestigieux parrains tout au long de sa genèse. L’histoire commence en 1962, lorsque Clare MacKichan est muté chez Opel, filiale européenne de General Motors depuis 1929. Celui-ci est entré chez GM en 1939 et prendra la tête du studio de design de Chevrolet en 1951. C’est sous sa direction que seront dessinées, entre autres, les Corvette C1 et C2, les fameuses « Tri-Chevy » des millésimes 1955 à 1957, l’étonnante Chevrolet 1959 ou les Corvair et Nomad. La mission de MacKichan chez Opel est simple : revitaliser le design de la marque, parfaitement désuet. À cette époque, Opel est une marque reconnue pour ses autos sérieuses, construites sérieusement et à la tenue de route sérieuse. MacKichan (en photo ci-dessous) va développer de nouveaux locaux, embaucher des designers et créer un studio de design avancé, inauguré en 1964, et qui sera dirigé par Erhard Schnell. Ce dernier est entré chez Opel en 1952 et ne quittera la compagnie que 40 ans plus tard après avoir signé les lignes des premières Corsa et de la Calibra, pour ne citer que les plus connues.
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Il faut dépoussiérer!
Quoi de mieux pour marquer les esprits que de créer un véhicule concept? Et tant qu’à faire, MacKichan et Schnell décident que ce sera une voiture de sport, une idée impensable chez Opel à ce moment-là. Elle est tellement étonnante pour la compagnie que les travaux seront même gardés secrets à la direction pendant un temps. Ainsi démarre le projet 1484. Le style va être très inspiré par l’Amérique, ce qui est normal. MacKichan restait en contact permanent avec Bill Mitchell, vice-président responsable du design de GM. On peut retrouver l’influence de concepts tels que le Chevrolet Corvair Monza GT (véhicule à moteur arrière présenté en 1962, voir photo ci-dessous) ou le Chevrolet Mako Shark II (développé en même temps que le projet 1484 et qui servira de base stylistique à la Corvette C3 de 1968).

Le premier membre du management d’Opel à découvrir le modèle expérimental sera Bob Lutz. Oui, « le » Bob Lutz qui est nommé régulièrement dans ces textes d’autos anciennes. Rentré chez GM en septembre 1963, il est rapidement muté chez Opel de par ses origines suisses germaniques. Lorsqu’il voit le concept, il est enthousiasmé et va soutenir le projet de toutes ses forces. Opel est une marque très conservatrice, il faut le rappeler, et avoir l’accord de la direction pour dévoiler le véhicule au grand public n’est pas chose acquise. Il faudra attendre la visite de Semon « Bunkie » Knudsen, ancien directeur général de Pontiac et Chevrolet fraîchement nommé vice-président des opérations internationales, à l’été 1965 pour que les choses bougent. Ce dernier avait revitalisé Pontiac en allant chercher une clientèle plus jeune. Il est lui aussi séduit par le concept.

La décision est prise d’exposer le modèle au Salon de l’auto de Francfort en octobre 1965 sous le nom d’Opel Experimental GT (voir photo ci-dessous). La marque présente cette étude comme un véhicule pour tester son nouveau circuit d’essai de Dudenhofen. Le public, qui n’attendait rien d’autre d’Opel que des boîtes carrées sans saveur, est véritablement emballé. Ce qui n’était qu’un simple exercice de style au départ pourrait bien passer en production. Mais il va y avoir de nombreux problèmes à régler.

Le projet avance, le moteur recule!
D’abord, il va falloir revoir le design pour l’industrialisation. Schnell et MacKichan s’y attellent mais ce dernier retournera à Detroit en 1967 pour prendre la direction d’un studio de design avancé. Il restera chez GM jusqu’en 1979 avant de prendre sa retraite. Il sera remplacé à la tête du design d’Opel par Chuck Jordan. Entré chez GM en 1949, il prendra la tête des studios Cadillac en 1957. Il était le choix de Bill Mitchell pour prendre la tête du design de GM en 1977 mais la direction choisira plutôt Irv Rybicki. Mais Jordan prendra finalement le poste en 1986 et l’occupera jusqu’en 1992. C’est lui qui finalisera les lignes de la GT. Il sera assisté dans sa tâche par Anatole « Tony » Lapine. Recruté par GM en 1951, il sera muté chez Opel en 1965 avant d’occuper le poste de directeur du design de Porsche de 1969 à 1989 (où il dirigera, entre autres, le style des 924, 944, 928 et 959).
Le modèle de série restera proche du concept mais aura des lignes plus courbes, une entrée d’air à l’avant pour le refroidissement moteur, une excroissance sur le capot à cause du filtre à air du plus gros moteur offert et des phares escamotables ronds et non plus carrés pour passer les normes américaines (le modèle est prévu dès le début pour l’Amérique du Nord). Ceux-ci sont d’ailleurs assez originaux dans leur fonctionnement. Ils se déploient de façon entièrement mécanique grâce à une poignée située sur la console centrale, devant le levier de vitesses, et se retournent selon un axe longitudinal (dans le sens de la voiture) et non pas de haut en bas.

Comme souvent dans ce genre de projet, l’enveloppe allouée ne permet pas de concevoir une toute nouvelle plateforme. Il va falloir se contenter de celle de la Kadett B (voir photo ci-dessous), une compacte propulsion présentée en 1965. Pour les suspensions, on retrouve des triangles superposés à l’avant ainsi qu’un essieu rigide monté sur ressorts hélicoïdaux et guidé par une barre Panhard à l’arrière. Pour le freinage, il y a des disques à l’avant et des tambours l’arrière.

La position du moteur va faire grand débat. Plus il est en retrait vers l’habitacle, plus l’auto va être agile. Mais son déplacement engendrerait des frais supplémentaires et les comptables d’Opel ne veulent rien savoir. Afin de régler le problème, Hans Mersheimer, l’ingénieur en chef d’Opel, va autoriser la construction de deux prototypes : l’un avec le châssis non modifié de la Kadett B et l’autre avec un châssis modifié comprenant un moteur reculé de 40 cm. Après des essais sur piste, la direction du constructeur sera bien obligée de reconnaître la nécessité de déplacer le bloc (même Bob Lutz essayera les deux véhicules). Au final, la répartition du poids sera de 54% sur l’avant et de 46% sur l’arrière. Le choix des motorisations, en 4 cylindres, sera très simple : un 1,1 litre provenant de la Kadett (67 chevaux SAE) et un 1,9 litre installé sous le capot de la Rekord (ainsi que dans les versions les plus sportives de la Kadett, 102 chevaux SAE). La boîte de vitesses de série est une manuelle à 4 rapports tandis qu’une automatique à 3 rapports sera offerte en option.
Reste enfin à assurer la production. Opel envisage de fabriquer 20 000 GT par année. Mais la marque n’a pas la capacité industrielle pour réaliser de la moyenne série et décide de trouver un partenaire extérieur. Elle se tournera finalement vers la France. Ce sera le carrossier Chausson qui effectuera la fabrication des caisses en blanc (construction monocoque en acier). Puis, c’est la compagnie de construction métallique Brissonneau et Lotz, principalement spécialisée dans le ferroviaire mais qui construira des autos pour Renault dans les années 50 et 60, qui est chargée de la peinture, de l’assemblage de l’habitacle et de l’électricité avant que les autos ne soient envoyées en Allemagne, à l’usine Opel de Bochum, pour l’installation du moteur et des trains roulants. La production sera retardée à cause des évènements de mai 1968 qui vont paralyser la France. Elle démarrera finalement en août 1968.

Méthode Corvette ou méthode Mustang?
D’un côté, vous avez la Corvette qui est une pure auto de sport avec seulement deux places. De l’autre, vous avez la Mustang qui est une voiture « d’apparence » sportive (qui peut avoir des petits 6-cylindres ou de gros V8 au choix) et qui est capable de transporter 4 personnes. Cette distinction va avoir de l’importance dans la suite de la carrière de l’Opel GT. La GT est plutôt d’inspiration Corvette : une stricte deux places. L’espace derrière les sièges avant sert au chargement des bagages et, comme dans la Corvette C3, il n’y a pas de porte de coffre.

L’Opel GT est présentée sur le circuit d’Hockenheim, en Allemagne (voir photo ci-dessous). Du 21 au 29 octobre, ce sont des journalistes, des concessionnaires, des vendeurs et même quelques clients qui vont pouvoir prendre le volant du coupé ainsi que de quelques modèles Opel orientés sport. La GT offre un empattement de 2,43 m, mesure 4,11 m de long et 1,58 m de haut et repose sur des roues de 14 pouces. Au lancement, ses principales concurrentes sont les Fiat 124 Coupé et MGB GT mais la plus dangereuse va être présentée en janvier 1969, au Salon de l’auto de Bruxelles : la Ford Capri. Conçue pour être la « Mustang européenne », cette propulsion va offrir une large gamme de finitions et de moteurs (de 1,3 à 3,1 litres) et pourra donc transporter 4 personnes. Celle-ci sera vendue en Amérique du Nord par les concessionnaires Lincoln-Mercury.

La presse européenne accueille la GT tièdement. Elle apprécie les lignes, l’intérieur et le changement de vitesses, mais c’est au niveau du comportement routier que le bât blesse. La prise de roulis est un peu trop importante et l’essieu arrière est sautillant sur routes plus ou moins dégradées. Qu’importe, c’est surtout de l’autre côté de l’Atlantique qu’Opel a des visées.
Une petite européenne au milieu des grosses américaines
La GT arrive en Amérique du Nord au printemps 1969 et est commercialisée dans le réseau Buick. Quel lien entre un coupé sport européen et une marque située dans le moyen/haut de gamme vendant essentiellement des gros bateaux? En fait, Buick a commencé à vendre des Opel suite à la récession de 1957/1958. Selon les années, les concessionnaires américains écouleront des Olympia, Rekord et des Kadett (A et B). Buick commercialisera des Opel jusqu’en 1979. Au Canada, GM préfère écouler des produits anglais Vauxhall (à cause du Commonwealth). La GT ne sera proposée chez nous qu’à partir de 1971. La gamme comprend les 1,1 et 1,9 litre mais c’est le plus gros bloc qui enregistrera l’écrasante majorité des commandes (au point que le 1,1 litre ne sera plus proposé à partir de 1971).

Le Guide de l’auto conclut son essai par les mots suivants : « En conclusion et malgré quelques remarques désobligeantes (notamment au niveau du train arrière, NDLA), nous devons avouer que nous avons éprouvé beaucoup de plaisir au volant de l’Opel GT. Elle est solide, très sûre, jolie et amusante à piloter. Évidemment, à titre de Grand Tourisme, son aspect pratique est limité, mais pour un jeune couple sportif ou pour Madame, c’est une voiture qui ne manque pas d’attraits. Seul son prix l’est un peu moins (4 074 CAD) et risque d’être un obstacle à sa popularité au Québec. » Le Guide effectuera un 0 à 60 mph en 11,5 secondes, réalisera le tour du circuit du Mont-Tremblant en 2 minutes 32 secondes et 5 dixièmes et obtiendra une consommation moyenne de 29 mpg (9,6 L/100 km).

Comme dit en introduction, l’Opel GT va réaliser l’essentiel de ses ventes en Amérique du Nord. Mais elle va souffrir de la concurrence d’un modèle japonais commercialisé en octobre 1969 pour le millésime 1970 : la Nissan 240 Z. Dotée d’un 6 cylindres de 2,4 litres développant 151 chevaux et d’une suspension indépendante aux 4 roues, elle était capable d’aller chercher une Porsche 911 tout en étant à peine plus chère que la GT (3 526 USD contre 3 328 pour l’allemande). Mais ce n’est pas tout… La GT va également avoir de la concurrence interne avec le lancement de l’Opel Manta au millésime 1971 (elle sera vendue en Amérique du Nord à partir de l’année modèle 1973, en photo ci-dessous). Celle-ci se place comme une compétitrice directe de la Ford Capri en reprenant la « méthode Mustang ».

Quand ça veut pas, ça veut pas…
L’Opel GT ne connaîtra pas énormément de modifications au cours de sa carrière. La marque présentera au Salon de l’auto de Francfort 1969 un concept de GT avec rigide amovible baptisé Aero GT mais rien n’ira plus loin.

Afin de relancer les ventes, Opel introduira une version GT/J (pour Junior) au Salon de l’auto de Genève, en mars 1971 (voir photo ci-dessous). Celle-ci se passe de tous les équipements non essentiels mais reçoit le moteur de 1,9 litre. Ce dernier voit sa puissance baisser en Amérique du Nord au millésime 1971 à cause du mandat de GM de rendre toutes ses motorisations compatibles avec de l’essence sans plomb (en préparation de la venue des pots catalytiques). La puissance passe de 102 à 90 chevaux SAE.

La marque allemande présentera deux concepts sur la base de l’Opel GT : l’Elektro GT en 1971 (entièrement électrique) et la Diesel Rekordwagen en 1972 qui décrochera plusieurs records du monde après 72 heures de conduite sur la piste de Dudenhofen (voir photo ci-dessous).

La production de la GT cessera à la fin du millésime 1973, en juillet 1973, coïncidant avec l’arrêt de la Kadett B et son remplacement par la Kadett C reposant sur la plateforme T-Body de GM (connue chez nous sous le nom de Chevrolet Chevette, Pontiac Acadian et Pontiac T-1000). La GT aura été fabriquée à 103 463 exemplaires (dont seulement 3 573 équipés du moteur 1,1 litre et 10 760 GT/J). Les États-Unis en auront reçu 70 222 exemplaires. La GT aura globalement répondu aux attentes commerciales mais ne sera pourtant pas reconduite. Il y a à cela plusieurs raisons. Tout d’abord, elle a perdu l’essentiel de ses supporters : MacKichan et Jordan sont retournés aux États-Unis, Lapine est allé chez Porsche, Lutz est parti chez BMW fin 1971 et Knudsen chez Ford en février 1968. Ensuite, si la GT a connu un excellent début, les ventes se sont progressivement tassées. Puis, il y a l’achat par Renault de parts de Brissonneau et Lotz en 1970 qui va obliger Opel à rapatrier la production en interne, entraînant un surcoût malvenu. Les activités automobiles de cette compagnie seront entièrement absorbées par Chausson en 1972. Enfin, les normes fédérales d’impact américaines, prévues pour le millésime 1974, auraient entraîné d’importantes et coûteuses modifications des pare-chocs, impensables à ce niveau de production. La Manta se vendait bien, autant laisser aller l’affaire…

Pourtant, l’histoire ne s’arrête pas totalement là. Opel présentera en 1975 un concept GT/2 aux lignes très tranchées et reposant sur les soubassements de la seconde génération de Manta. Il intégrait des portes coulissantes. Mais ce modèle ne dépassera pas le stade de prototype. Il faudra attendre le millésime 2007 pour qu’Opel lance une nouvelle GT. Elle repose alors sur l’architecture Kappa des Pontiac Solstice et Saturn Sky… deux modèles imaginés et poussés par Bob Lutz (revenu chez GM en 2001)! L’histoire bégaye… La GT moderne ne sera produite que jusqu’en 2009 à 7 519 exemplaires.

Enfin, Opel présentera en 2016 un concept hommage à la GT originale. Une production en série sera un temps évoquée… mais le marché n’était tout simplement pas là.

La GT aura permis à Opel de sortir sa torpeur. Mais face à une nouvelle génération de modèles aussi sportifs et plus polyvalents (les Capri et Manta), elle va rapidement s’effacer. Ironiquement, ces modèles connaîtront à leur tour le même sort à la moitié des années 80 avec la montée en puissance des GTI (Volkswagen Golf, Peugeot 205, Ford Escort XR3, Opel Kadett GSi…). Ne jamais rien tenir pour acquis…
