Imperial 1957-59 : le difficile second acte
Si lancer une nouvelle marque n’est pas chose facile, l’installer dans la durée ne l’est pas moins. Chrysler va s’en donner les moyens, tant sur le plan stylistique qu’industriel. Les ventes vont décoller… puis retomber comme un soufflet qui refroidit. Il faut dire que plusieurs facteurs ne vont pas aider.
Malgré la guerre de Corée, l’Amérique d’après la Seconde Guerre mondiale est en pleine croissance. Chrysler et Ford veulent rejoindre General Motors et offrir une structure de marques à 5 niveaux. Chrysler en possède déjà quatre : Plymouth, Dodge, DeSoto et Chrysler. La corporation choisit de monter en gamme et d’introduire Imperial en 1955 pour lutter contre Lincoln et Cadillac et Packard. Ce nom est alors déjà utilisé pour le haut de la gamme Chrysler. Le lancement coïncide avec une toute nouvelle approche stylistique pour toutes les marques baptisée « The forward look » ou « The 100 million dollar look » (le style de 100 millions de dollars) dans différentes publicités. Elle est le fruit du designer Virgil Exner, surnommé Ex. Ex est un ex de Pontiac et un ex de Studebaker. Il est rentré chez Chrysler en 1949 pour prendre la tête du studio de design avancé mais ses créations flamboyantes vont l’amener en quelques années à diriger tout le design de la société. Le démarrage d’Imperial pour les années 1955 et 1956 est, disons, assez tranquille avec respectivement 11 432 et 10 628 exemplaires produits. Pour comparaison, cela représente en 1956 essentiellement 7% des ventes de Cadillac et 20% des ventes de Lincoln. Ce n’est qu’un début, certes, mais il va falloir passer la seconde pour se faire une place sur le marché nord-américain du luxe.
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Les petits plats dans les grands
Chrysler comprend certaines des lacunes d’Imperial : gamme réduite (une finition unique plus les limousines Crown Imperial) et absence de cabriolet. Ceci va être corrigé avec l’introduction de trois niveaux de finition, Imperial (de base), Crown et LeBaron, auxquels il faut ajouter les limousines, baptisées Crown Imperial. Si le choix des noms paraît confus, c’est que les limousines ne devaient au départ pas revenir au catalogue. Ces versions allongées seront finalement produites chez le carrossier Ghia, en Italie. Quant au nom LeBaron, il provient d’un carrossier fondé en 1920 qui construira des autos sur mesure pour la clientèle la plus select. La société sera rachetée par la Briggs Manufacturing Company, carrossier aussi mais plutôt spécialisé dans les très gros volumes. Briggs sera à son tour racheté par Chrysler en 1953. C’est ainsi que le nom LeBaron, alors tombé en désuétude, atterrit dans l’escarcelle de Chrysler. Il sera utilisé par Imperial jusqu’en 1975, puis par Chrysler à partir de 1977 sur une version plus huppée des Dodge Aspen / Plymouth Volare ainsi que sur de nombreuses variantes de la plateforme K tout au long des années 80 et 90. Quant au cabriolet, il ne sera proposé que dans la gamme intermédiaire Crown.

Exner commence à travailler sur le style des modèles 1957 dès 1954. Au départ, il envisage des lignes très fluides, longues et veut rabaisser l’auto le plus possible (à l’époque, une auto plus basse était signe de progrès, les temps ont changé…). Il imagine des ailes arrière hautes, longues mais parfaitement intégrées au reste de la carrosserie. Finis les feux arrière posés sur les ailes des modèles 1955-56, ils seront cette fois-ci intégrés (l’idée ne sera pas perdue et reviendra sur les modèles 1962). Pour distinguer les versions hardtop (baptisées Southampton), deux formes de toit sont dessinées : un toit plongeant doucement vers l’arrière pour les berlines 4 portes (6 glaces) et un autre avec un montant C plus important et se finissant sur le toit en forme de V pour les hardtop 2 et 4 portes. On retrouve un parebrise panoramique et le vitrage latéral sera, pour la première fois sur une auto américaine, incurvé. Le coffre plonge lui aussi sur l’arrière, limitant un peu le volume de chargement. Il pouvait être « standard » ou, en option, avec un cache de pneu de secours simulé comprenant un cerclage chromé (il sera très populaire et choisi par près des deux tiers des acheteurs).

Les phares avant vont poser un problème. La nouvelle mode de 1957 est d’en installer quatre mais ceci n’est pas encore légal dans tous les états américains. Les designers vont donc concevoir deux avants : un avec des phares simples de 7 pouces et un autre avec des phares doubles de 5 pouces, chacun recevant une grille différente mais au style similaire. Le problème sera réglé pour le millésime 1958 alors que les quatre phares seront légaux dans tous les états. Enfin, contrairement aux modèles 1955-56, les Imperial bénéficieront d’un tableau original et non emprunté à Chrysler. On y retrouve deux larges cadrans ronds avec, sur la gauche, les boutons de sélection des rapports de la boîte de vitesses automatique et, en dessous, un bouton qui remplace le levier de clignotants (peu pratique, il sera modifié en 1958 et encore en 1959).

Le travail réalisé par Exner sera tellement élégant et en avance que Plymouth utilisera le slogan « Suddenly, it’s 1960! » (Soudainement, c’est 1960!). Le style des produits Chrysler pour 1957 recevra plusieurs récompenses et sera même la cause d’une mutinerie dans les studios de design de General Motors. En effet, en apercevant en août 1956 les premiers modèles sortis des usines, les designers de GM comprennent que ce qu’ils préparent pour 1959 (essentiellement des modèles 1958 avec encore plus de chrome) est complètement dépassé. Alors que le grand patron du style, Harley Earl, est en Europe pour faire le tour des salons, ils reprennent tous leurs travaux à zéro et vont imaginer des modèles radicalement nouveaux. La direction de GM embarquera le pas et autorisera un restylage simultané des cinq divisions, une première pour la compagnie. Si la Cadillac 1959 a les ailerons arrière les plus imposants de l’histoire automobile, c’est la « faute » à Virgil Exner!

La puissance du feu
Le châssis est également revu pour 1957. Dans la guerre du « toujours plus » que se livrent les constructeurs, Chrysler a choisi de réduire les dimensions au niveau de l’empattement, de la longueur et, comme déjà dit, de la hauteur.
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Dimensions en cm |
1956 |
1957 |
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Empattement |
338 |
328 |
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Longueur |
583 |
569 |
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Largeur |
200 |
206 |
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Hauteur |
156 |
146 |
L’une des raisons de cette diminution de la hauteur, c’est l’utilisation à l’avant de barres de torsion à la place de ressorts hélicoïdaux comme éléments de suspension, de roues de 14 pouces (mettre des roues plus petites était, là encore, symbole de progrès) et d’un filtre à air redessiné. La suspension sera reconnue pour donner une bonne tenue de route (pour l’époque) aux Imperial.

Côté mécanique, le V8 FirePower à culasses hémisphériques, présenté en 1951 en 331 pouces cubes (5,4 litres), a vu passer sa cylindrée à 354 pc (5,8 litres) en 1956 pour atteindre 392 pc (6,4 litres) en 1957. Avec 325 chevaux à 4 600 tr/min et 430 lb-pi de couple à 2 800 tr/min, il est plus puissant et plus coupleux que les moteurs de base de Cadillac (365 pc, 300 chevaux et 400 lb-pi) et Lincoln (368 pc, 300 chevaux et 402 lb-pi). Il est équipé d’un carburateur Carter 4 corps. Quant à la boîte de vitesses, il s’agit de la TorqueFlite automatique à 3 rapports, installée sur les Imperial depuis février 1956. La direction et les freins (4 tambours) sont assistés de série.
C’était beau, ça passait…
Les nouvelles Imperial 1957 sont introduites sur le marché le 30 octobre 1956. En berline 4 portes (sedan ou hardtop, les prix sont les mêmes), une Imperial demande 4 838 USD / 6 392 CAD, une Crown 5 406 USD / 7 139 CAD et une LeBaron 5 743 USD / 7 793 CAD. Le cabriolet Crown est facturé 5 598 USD / 7 326 CAD et il faut débourser 15 075 USD pour une limousine.

Les intérieurs sont somptueux et l’équipement riche (horloge, sièges et vitres électriques) mais il faut mettre la main à la poche pour la climatisation, le dégivrage arrière, les ceintures de sécurité, la peinture deux tons et la radio transistorisée (avec un haut-parleur à l’arrière, l’antenne électrique et la sélection des stations par le pied gauche). L’acheteur peut aussi se procurer un original lecteur de disques placé sous le tableau de bord, le Highway Hi Fi record player, qui fait appel à des disques spécifiques de 7 pouces tournant à une vitesse de 16 2/3 tours par minute et offrant environ 45 minutes d’écoute.

Les modèles Chrysler sont très bien accueillis par presse et recevront même le titre de « Voiture de l’année 1957 » de la part du magazine Motor Trend. À la fin de l’année, le moral est au beau fixe car les ventes ont augmenté de 253,72%! Certes, Chrysler est encore loin des chiffres réalisés par Cadillac (voir tableau comparatif des productions en fin de texte) mais Lincoln est à portée de vue avec seulement 3 974 véhicules de retard. Un exploit pour une marque qui n’en est qu’à sa troisième année! Ce que les dirigeants de Chrysler ne peuvent pas savoir c’est que 1957 sera la meilleure année de son l’histoire…
Dès 1958, les nuages vont commencer à s’amonceler. Tout d’abord, les États-Unis sont en plein milieu de la « récession Eisenhower » et le marché est en baisse. Cadillac perd 17% et Lincoln 28,6% (avec pourtant de tout nouveaux modèles). Mais Imperial baisse de 64,8%! Ce chiffre est en partie attribuable à un mauvais bouche-à-oreille. Les nouveaux modèles Chrysler, pour les 5 divisions, étaient initialement prévus pour 1958 mais la direction prendra la décision de les lancer en 1957. Avec pour résultat une conception fragile, pas assez testée, et d’importants problèmes de fabrication. Les voitures vont rapidement acquérir une mauvaise réputation. Cela est pourtant nettement moins vrai pour les Imperial, qui sont produites avec beaucoup plus de soin et à des cadences réduites. Mais que pouvez-vous faire contre les rumeurs ? D’autant plus que l’image de marque compte encore plus dans le segment du luxe.

Pourtant, les nouveautés ne manquent pas pour le millésime 1958. La grille est redessinée (elle reprend le style des limousines Crown Imperial de 1957) ainsi que les parechocs. L’augmentation du taux de compression du V8 de 9,25:1 à 10,0:1 fait monter la puissance à 345 chevaux et le couple à 450 lb-pi (toujours aux mêmes régimes). Il y a de nombreuses nouvelles options disponibles : le verrouillage central des portes, le différentiel arrière à glissement limité, le rétroviseur conducteur réglable de l’intérieur ainsi qu’une toute nouvelle technologie (pour l’époque), le régulateur de vitesse. Chrysler clamait alors qu’il permettait d’économiser jusqu’à 15% d’essence.

Hemi contre Wedge, Jefferson contre Warren
L’année modèle 1959 amène aussi son lot de nouveautés. Au niveau de la gamme, le niveau de finition de base devient Custom. Extérieurement, la calandre est plus agressive avec cinq massives séparations verticales et il y a plus de chrome sur les côtés. Une nouvelle décoration du toit est proposée en option, le Silvercrest, qui comprend un fini en acier inoxydable. À l’intérieur, on retrouve une nouvelle planche de bord avec des cadrans linéaires et des boutons de contrôle du chauffage à droite des instruments (qui font en quelque sorte miroir à ceux de la boîte automatique). Le faux bois fait son apparition sur la LeBaron.

Mais la vraie nouveauté dans l’habitacle, ce sont les sièges avant qui peuvent pivoter (une option que 10 830 acheteurs sélectionneront) afin de faciliter l’entrée et la sortie.

Techniquement, le FirePower est remplacé par le nouveau 413 pc « Wedge » plus simple, plus léger et moins cher à fabriquer (sauf sur les limousines qui conservent le 392 pc). La puissance passe à 350 chevaux à 4 600 tr/min et le couple à 470 lb-pi à 2 800 tr/min. La suspension arrière peut recevoir des ressorts à air avec correcteur d’assiette automatique en option (qui sera extrêmement rare).

Le changement le plus important pour Imperial en 1959 reste cependant la nouvelle usine dédiée. De 1955 à 1958, les Imperial étaient fabriquées sur les mêmes chaînes que les Chrysler, sur le site de Jefferson Avenue, à Detroit. La production va être transférée à l’usine de Warren Avenue, toujours à Detroit. C’est là qu’étaient produites les DeSoto… dont la fabrication passe alors à Jefferson Avenue. Le changement est logique puisque les DeSoto partagent de nombreux emboutis avec les Chrysler alors que les Imperial, non. Chrysler investit dans la qualité. Il y a 75 inspecteurs sur le site et chaque auto doit passer un test de pluie (pour vérifier les fuites) et un essai routier avant d’être déclarée apte pour partir en concession. Les effets de la récession se font moins sentir et la production repart à la hausse : + 30,5%.
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1957 |
1958 |
1959 |
|
|
Série Imperial |
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|
4 portes |
5 654 |
1 926 |
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|
4 portes hardtop |
7 527 |
336 |
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2 portes hardtop |
4 885 |
1 901 |
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Série Custom |
|||
|
4 portes |
2 071 |
||
|
4 portes hardtop |
3 984 |
||
|
2 portes hardtop |
1 743 |
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|
Série Crown |
|||
|
4 portes |
3 642 |
1 240 |
1 335 |
|
4 portes hardtop |
7 843 |
4 146 |
4 714 |
|
2 portes hardtop |
4 199 |
1 939 |
1 728 |
|
Cabriolet |
1 167 |
675 |
555 |
|
Série LeBaron |
|||
|
4 portes |
1 729 |
501 |
510 |
|
4 portes hardtop |
911 |
538 |
622 |
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Série Crown Imperial |
|||
|
Limousine |
36 |
31 |
7 |
|
Total |
37 593 |
13 233 |
17 269 |
Mais en face, Cadillac, avec ses tout nouveaux modèles, reste… impériale et continue de dominer le marché! Même Lincoln souffre et voit ses chiffres se rapprocher de ceux de la marque de prestige de Chrysler. Quant à Packard, elle n’est même plus dans les choux, elle n’est plus tout court (les modèles 1957 et 1958 étaient des Studebaker restylées et mieux équipées).
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1955 |
1956 |
1957 |
1958 |
1959 |
|
|
Imperial |
11 432 |
10 628 |
37 593 |
13 233 |
17 269 |
|
Cadillac |
140 777 |
155 577 |
146 841 |
121 778 |
142 272 |
|
Lincoln (incluant Continental) |
27 222 |
52 872 |
41 567 |
29 684 |
26 906 |
|
Packard |
55 517 |
28 835 |
4 809 |
2 622 |
0 |

La suite des choses ne sera pas rose pour Imperial. La marque ne repassera la barre des 20 000 exemplaires qu’à deux reprises, en 1964 et en 1969, deux années coïncidant avec de nouvelles générations. Elle devait disparaître à la fin du millésime 1973 mais perdura cependant jusqu’en 1975. Par la suite, Chrysler tentera de faire revivre le nom entre 1981 et 1983 puis entre 1990 et 1993 et enfin avec un concept, présenté au Salon de l’auto de Detroit en 2006.
Chrysler aura eu beau faire d’importants efforts, revoir sa stratégie, innover techniquement, Cadillac était simplement trop forte à cette époque. Lincoln, qui a failli disparaître au début des années 60, apprendra la même leçon… avant de se ressaisir!
