Ford Thunderbird 1967-71 : Sacrilège!
Pour sa cinquième génération, la Ford Thunderbird est rendue loin, très loin de ses origines de petit cabriolet biplace capable de concurrencer la Chevrolet Corvette. Nous sommes plutôt en face d’une grosse barge luxueuse et ultra confortable. Il n’y a plus de variante découvrable, une première depuis 1955, et Ford propose à la place, on ose à peine l’écrire, une version… 4 portes.
Présentée en 1955, la Thunderbird n’a failli connaître qu’une seule génération. Robert McNamara, alors directeur général de la marque Ford, impose la rentabilité sur toutes les lignes de modèles. Pour sauver la T-Bird, les ingénieurs font appel à une plateforme monocoque et utilisent le site de production des Lincoln. Ce faisant, la Thunderbird passe à 4 places en 1958 et ceci va avoir un impact important sur ses ventes et sur la concurrence, qui mettra du temps à se réveiller, mais qui se réveillera (on pense notamment à la Buick Riviera 1963). Pour 1961, Ford essaye une nouvelle approche stylistique, qui lui réussira plutôt bien. La quatrième génération de 1964 n’en sera qu’une évolution, tant sur le plan des lignes que de la plateforme. Ce modèle connaît un excellent démarrage mais en 1966, les ventes se tassent (voir tableau de production de 1955 à 1971 à la fin du texte). Ford est conscient qu’il va falloir réagir.

Cernée de tous les côtés!
La compétition s’est nettement développée pour les millésimes 1966 et 1967, que ce soit à l’externe (Oldsmobile Toronado, Cadillac Eldorado) ainsi qu’à l’interne (Mercury Cougar). Autre problème, les ventes de cabriolets ont baissé dès l’apparition du coupé en 1958 et sont rendues à des niveaux faméliques en 1965 (6 846 exemplaires) et 1966 (5 049 exemplaires). Ford comprend que concevoir cette carrosserie ne sera pas rentable et choisit de ne pas la renouveler pour 1967.
Les études de style commencent dès 1964. De nombreuses allées sont explorées. Tout d’abord, les designers travaillent sur une évolution du thème de 1961 à 1966 mais ils comprennent rapidement qu’ils sont allés au bout de ce qu’il était possible de faire. On trouve ensuite une approche assez similaire au coupé Lincoln Continental 1966 et qui préfigure (un peu) la future Lincoln Continental Mark III de 1969. Gene Bordinat, vice-président responsable du design, choisit finalement une carrosserie développée sous la direction de L. David Ash au studio des projets corporatifs (Ash sera également le designer responsable de la Mark III, un modèle que nous retrouverons plus loin dans l’histoire). Celle-ci incorpore une calandre verticale massive avec des phares escamotables, favorisée par Lee Iacocca, directeur général de la marque Ford depuis 1960, alors que l’on retrouve à l’arrière un large bandeau lumineux avec des clignotants à allumage séquentiel (introduits avec le millésime 1965).

Le designer Bill Boyer, qui travaillait sur une autre proposition pour la Thunderbird, commença à développer une variante 4 portes de son projet. Lorsque Iacocca la vit, il déclara : « Voilà la remplaçante du cabriolet ! » Initialement, l’ouverture des portes arrière était classique mais il sera finalement choisi une ouverture antagoniste, à la manière des Lincoln Continental de l’époque (peut-être pour évoquer l’aspect plus luxueux du modèle).

Il n’y a pas qu’au niveau du design que des changements importants sont effectués. La Thunderbird abandonne la construction monocoque au profit d’un châssis séparé, permettant d’améliorer le confort. Ceci va considérablement complexifier la production car la Thunderbird sera toujours assemblée à l’usine de Wixom, dans le Michigan, qui fabrique également les Lincoln Continental qui, elles, restent des monocoques. Le soubassement provient essentiellement des Ford pleine grandeur mais avec un empattement réduit : 115 pouces pour les 2 portes (2,92 m) et 117 pouces (2,97 m) 4 portes au lieu de 119 pouces (3,02 m). Les longueurs atteignent 206,9 pouces pour la 2 portes (5,25 m, contre 5,22 m pour le modèle 1966) et 209,4 pouces (5,32 m) pour les 4 portes. L’un des avantages de la construction monocoque est la réduction du poids mais ce n’est pas le cas ici puisque le modèle 1967 est plus léger : 4 348 lb à vide (1 972 kilos, 2 portes de base) contre 4 386 pour le modèle 1966 (1 989 kilos).

Ça part bien…
Les Thunderbird 1967, comme tous les autres modèles Ford, sont introduites sur le marché le 30 septembre 1966. La gamme se compose de trois modèles, tous avec des vitres sans montant : la 2 portes hardtop, la 2 portes hardtop Landau (avec toit en vinyle et barres chromées en S qui rappelle les vieux cabriolets) ainsi que la 4 portes hardtop Landau (dont la barre en S masque subtilement une partie de l’ouverture de la porte arrière). Les tarifs sont respectivement de 4 603 USD / 5 546 CAD, 4 704 USD / 5 660 CAD et 4 825 USD / 5 814 CAD.

L’équipement de base est relativement complet pour l’époque : sièges baquets, console centrale, colonne de direction Tilt-Away (qui décale le volant vers la droite pour faciliter l’accès, proposé depuis 1961, ainsi que, et c’est nouveau pour 1967, l’ajustement en hauteur, voir photo ci-dessous), direction assistée, radio AM, horloge électrique, boîte à gants éclairée, freins assistés (disques à l’avant et tambours à l’arrière). Le moteur de base est le 390 pouces cubes (6,4 litres) à carburateur 4 corps (315 chevaux à 4 600 tr/min et 427 lb-pi à 2 700 tr/min) mais un 428 pc (7,0 litres) est également offert contre supplément (345 chevaux à 4 600 tr/min et 462 lb-pi à 2 800 tr/min). Dans tous les cas, la boîte de vitesses est une automatique à 3 rapports Cruise-O-Matic.

Évidemment, les options ne manquent pas : intérieur de luxe SL, le panneau de contrôle installé au plafonnier (Convenience Control Panel comprenant 4 lampes pour indiquer de boucler les ceintures, si une porte est ouverte, si le niveau d’essence est bas et quand les feux d’urgence fonctionnent), sièges électriques en 6 directions, vitres électriques, différents systèmes audio stéréos, haut-parleurs arrière, antenne électrique, sellerie en cuir ou en vinyle, pneus à flancs blancs, peinture deux tons, régulateur de vitesse, vitres teintées, différentiel arrière à glissement limité, air conditionné et siège passager inclinable.

Dans sa littérature pour les vendeurs, Ford cite les Oldsmobile Toronado et Buick comme concurrentes de la 2 portes tandis que la 4 portes vise directement les Oldsmobile 98 et Buick Electra 225. La presse spécialisée apprécie le confort et le silence de roulement mais certains se demandent ce que l’auto apporte encore face à une Galaxie ou une LTD, spécialement en termes de tenue de route alors que les autos partagent leurs trains roulants. Mais la clientèle suit et les ventes remontent de 12,8% par rapport à 1966. La 4 portes est bien accueillie et réalise 32% des ventes totales de la Thunderbird. La nouvelle T-Bird tient le coup face à la concurrence.

… ça continue pas pire…
Les changements esthétiques sont mineurs pour 1968 : grille de calandre redessinée, bande centrale des feux arrière en noir au lieu d’argenté et nouvelles roues. Côté technique, le 428 pc optionnel est remplacé par un nouveau 429 pc (7,0 litres) Thunder Jet développant 360 chevaux à 4 600 tr/min et 480 lb-pi à 3 200 tr/min. Ce V8, de la famille 385, a été conçu en même temps que le 460 pc Lincoln (7,5 litres) et les deux blocs partagent leur course (3,85 pouces, d’où le nom de la série). Les freins à disque sont revus. À l’intérieur, c’est dorénavant une banquette classique qui accueille les passagers alors que les sièges baquets et la console centrale migrent vers la liste des options. La production baisse de 16,7% tandis que la 4 portes réalise 33,8% du total.

Le modèle 1969 se distingue un peu plus à l’extérieur : nouvelle calandre comprenant 8 grands rectangles et disparition du bandeau arrière remplacé par des feux séparés (toujours séquentiels) reliés par des barres chromées. La version Landau voit son toit s’étirer jusqu’à la porte avec le retrait de la vitre de custode (qui reste sur les modèles de base). Techniquement, le 390 pc est retiré du catalogue et il ne reste donc que le 429 pc. Les suspensions sont revues en profondeur ce qui entraine une réduction de la hauteur de quelques millimètres. Un toit ouvrant électrique est proposé pour la première fois en option. La production baisse de 24,1%. La raison principale de cette chute est probablement le lancement de la Lincoln Continental Mark III. Ce modèle repose sur le châssis de la Thunderbird 4 portes. Bien que sensiblement plus cher (6 741 USD / 8 808 CAD contre 4 947 USD / 5 793 CAD pour une T-Bird 2portes Landau), il offre un design exclusif ainsi que plus de luxe et séduira rapidement une bonne partie de la clientèle (30 858 exemplaires sur un millésime 1969 allongé).

… puis ça tombe!
Initialement, Ford pensait continuer à respecter son rythme d’une nouvelle génération Thunderbird aux 3 ans. Mais de nombreux projets (Maverick en 1969, nouvelle Continental en 1970, Pinto et Mustang en 1971) vont retarder ces plans. Alors, à la place, Ford va offrir à la T-Bird un restylage significatif pour 1970. Et si le nouvel avant en pointe vous donne un air de déjà-vu à la Pontiac, ce n’est pas tout à fait un hasard. L’histoire veut qu’on le doive à Semon « Bunkie » Knudsen, un ancien de chez GM. Après avoir dirigé Pontiac et Chevrolet, il aspirait au titre de président de GM mais perdra la course face à Ed Cole. Extrêmement déçu, il sera recruté par Henry Ford II en février 1968 pour prendre la présidence de Ford. Ce qui ne va pas plaire à Lee Iacocca, qui estimait que ce poste lui revenait de droit. Bien qu’entré chez Ford début 1968, Knudsen connaît les plans de Pontiac pour sa Grand Prix au millésime 1969. On sait que l’homme passait pas mal de temps dans les bureaux de style (voir l’histoire du développement de la Lincoln Continental Mark IV) et c’est là qu’il aurait suggéré ce nouvel avant pointu. Finalement, à force de « clasher » avec Iacocca, Knudsen sera renvoyé par HFII en septembre 1969.

Mais les changements ne s’arrêtent pas là. Le toit prend une allure plus « fastback » et est rabaissé, y compris sur la Landau, où la barre en S disparaît. Celle-ci reste cependant sur la 4 portes, dont le toit n'évolue pas. À l’arrière, le bandeau lumineux fait son retour. Les suspensions sont recalibrées pour des pneus radiaux de série. À l’intérieur, la banquette et les sièges baquets optionnels sont redessinés. Mais tout ceci ne permet à Ford qu’une progression de la production de 2,2%. Pire, les ventes de 4 portes sont quasiment divisées par 3 par rapport à 1967. Serait-ce dû au lancement des toutes nouvelles Lincoln Continental pour 1970?

Les changements, limités, seront essentiellement esthétiques pour 1971 : nouvelle grille avant avec 4 barres chromées et retour du toit classique de 1969 (sans vitres de custode) sur le modèle Landau mais sans la barre en S (le modèle de base conserve le toit « fastback »). Les ventes de Mark III se portent bien et GM vient de renouveler les Riviera et Toronado pour 1971. Logiquement, la production de la Thunderbird plonge : -28,4%. La désaffection du public pour le modèle 4 portes se confirme alors qu’il réalise près d’un quart du volume de 1967.
|
1967 |
1968 |
1969 |
1970 |
1971 |
Total |
|
|
Coupé hardtop |
15 567 |
9 977 |
5 913 |
5 116 |
9 146 |
45 719 |
|
Coupé Landau hardtop |
37 422 |
33 029 |
27 664 |
36 847 |
20 356 |
155 318 |
|
Berline Landau 4 portes |
24 967 |
21 925 |
15 695 |
8 401 |
6 553 |
77 541 |
|
Total |
77 956 |
64 931 |
49 272 |
50 364 |
36 055 |
278 578 |

La production de la Thunderbird 1971 repasse sous les niveaux de 1958 (voir ci-dessous). Clairement, il faut faire quelque chose pour 1972. La réponse viendra de la Continental Mark IV, qui sera jumelée à la T-Bird, et dont les lignes serviront de base à celle du modèle Ford. Évidemment, l’expérience de la 4 portes ne sera pas reconduite. Les choix de Ford seront les bons car les ventes entre 1972 et 1976 repartiront à la hausse, malgré la première crise du pétrole de 1973.
|
Production |
|
|
1955 |
16 155 |
|
1956 |
15 631 |
|
1957 |
21 380 |
|
1958 |
37 892 |
|
1959 |
67 456 |
|
1960 |
90 843 |
|
1961 |
73 051 |
|
1962 |
78 011 |
|
1963 |
63 313 |
|
1964 |
92 465 |
|
1965 |
72 972 |
|
1966 |
69 086 |
|
1967 |
77 956 |
|
1968 |
64 931 |
|
1969 |
49 272 |
|
1970 |
50 364 |
|
1971 |
36 055 |
Si les modèles 1961-63 et 64-66 sont recherchés des collectionneurs, ceux de la génération 1967-71 sont relativement tombés dans l’oubli. On en voit peu dans les expositions. Peut-être que l’idée d’une T-Bird 4 portes repousse les puristes. On ne touche pas à une institution comme ça!
