Cadillac 1959-60 : l’apothéose!

Publié le 22 novembre 2025 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Si l’on vous demande de penser à une voiture américaine des années 50, il y a de fortes chances que l’image d’une Cadillac 1959 et ses immenses ailerons apparaisse dans votre esprit. Symbole d’une Amérique conquérante et totalement décomplexée, elle est le sommet d’une époque. Elle est d’ailleurs l’une des rares autos à avoir eu un timbre à son effigie. Mais l’accouchement de ce modèle a été… compliqué!

L’histoire des Cadillac 1959-60, c’est avant tout une histoire de design et des hommes qui sont derrière. Le premier protagoniste de notre récit est Harley Earl. Après avoir travaillé pour son père qui était carrossier, Earl est contacté par General Motors en 1926 pour réaliser les lignes de la LaSalle 1927 (marque compagne de Cadillac). Face au succès du modèle, GM lui confiera la tâche de créer le premier studio de design de la compagnie, nommé « Art and Colour », dont il sera le directeur. Caractériel, Earl a un goût sûr, un talent incroyable pour deviner ou anticiper les attentes du public et son influence sera énorme sur la production automobile nord-américaine des années 30, 40 et 50. Et paradoxalement pour un designer, il savait à peine dessiner!

Photo: General Motors

La douche froide!

En 1956, cela fait près de 30 ans qu’il est à la tête du design de GM et cela commence un peu à se sentir. Pour les modèles du millésime 1958, il a ordonné d’importantes quantités de chrome… qui n’étaient pas du goût de ses collaborateurs… et, dans une moindre mesure, du public. Alors que les studios commençaient à travailler sur les modèles 1959 (le cycle de développement du style est en général de trois ans à l’époque), il exigeait qu’il y ait encore plus chrome!

C’est dans ce contexte qu’entre en jeu notre deuxième protagoniste : Virgil Exner. Après être passé dans les studios de Pontiac (et donc travaillé pour Earl), il part en 1938 chez Raymond Loewy, un designer industriel en charge du style de Studebaker. En 1944, il signe un dessin directement pour Studebaker sans que Loewy soit au courant. Furieux, il le licencie et Exner part travailler pour la marque de South Bend. En 1949, il s’en va chez Chrysler pour prendre la tête du studio de design avancé.

Lorsque consulté sur les futurs modèles de série de 1955 par la direction de Chrysler, il les juge simplement sans intérêt. Il se voit alors confier le style des modèles 1955 et il crée le « Forward look », parfois appelé « The 100 million dollar look » (le style de 100 millions de dollars) en référence à la somme que la compagnie aurait dépensée pour dessiner ses nouveaux modèles. Pour 1957, il développe des véhicules aux lignes élégantes avec des ailes arrière très bien intégrées. Plymouth utilisera, à juste titre, le slogan « Suddenly, it’s 1960! » (Soudainement, c’est 1960!). Les Chrysler de 1957 (voir photo ci-dessous) recevront plusieurs titres pour leur design.

Photo: Chrysler

Nous sommes un après-midi du mois d’août 1956. Ce jour-là, Chuck Jordan (futur vice-président du design de GM de 1986 à 1992) conduit autour d’une usine Chrysler sur Six Mile Road. Il veut apercevoir les lignes des nouvelles Chrysler 1957. Il s’agit d’une coutume courante entre les designers des différentes marques car, à l’époque, les photos espion de modèles sont encore extrêmement rares. Et là, c’est le choc! Ce qu’il découvre est quasiment l’antithèse de ce que GM est en train de développer pour 1959 (à ce moment, les lignes des modèles 1958 sont déjà figées). Aussitôt revenu chez GM, Jordan informe le troisième protagoniste du récit : Bill Mitchell. Ce dernier est le numéro deux du design chez GM et remplaçant désigné de Earl. Il part à son tour voir les Chrysler sur place. Le balai des designers GM devant l’usine Chrysler durera plusieurs jours. Après une période de panique, une conclusion s’impose : il faut réagir!

Harley Earl est à cette période en Europe, pour faire le tour des salons et comprendre les tendances sur le vieux continent. C’est le moment de tout reprendre à zéro. La rébellion est organisée par Bill Mitchell lui-même et, bientôt, c’est toute la direction de GM qui soutiendra le mouvement. À ce moment, tous les designers sont priés de venir avec des idées neuves. Pendant un temps, rien ne sera trop fou : troisième aileron arrière central, phares au milieu de la calandre, ailerons horizontaux (ceux-ci seront finalement retenus chez Chevrolet et Buick). Quand Earl reviendra d’Europe, il ne pourra que s’incliner devant le travail très avancé des studios. Même s’il avait le licenciement facile, il ne pouvait tout de même pas renvoyer tout son staff! Passé un moment de choc, il acceptera les nouvelles orientations et participera activement à la finition des modèles 1959. Earl prendra sa retraite en novembre 1958 après avoir régné en maître suprême du style chez GM (voir même de toute l’Amérique du Nord). Il sera remplacé par Bill Mitchell le 1er décembre 1958.

Photo: Cadillac

Le bureau de style de Cadillac est dirigé par Ed Glowacke. Et celui-ci a un problème : il doit faire avec la forme des portes avant qui lui est imposée (nous y reviendrons). Le léger décroché qui part de la base du parebrise oblige à avoir une ligne de caisse descendante vers l’arrière. Et c’est pour compenser cette inclinaison que les ailes arrière seront au final aussi élevées. Celles-ci sont signées Dave Holls. Entré chez GM en 1952, il y fera l’ensemble de sa carrière jusqu’en 1991 où il occupera des postes à responsabilité chez Pontiac, Buick et Chevrolet. Parmi les voitures sur lesquelles il a travaillé, on retrouve la Buick Riviera 1966, les Corvette 1963 et 1968 ou bien la Camaro 1970 ½.

Les travaux sur le style extérieur commencent en octobre 1956. Au début, les ailes sont relativement simples et pas très hautes. Puis, vint l’idée d’y intégrer des feux, entrainant l’ajout d’inserts profilés. Comme toutes les autos nord-américaines de l’époque, l’aéronautique est une grande source d’inspiration. On la retrouve sur la Cadillac 1959 avec les feux arrière en forme de tuyère faisant penser à des réacteurs. On découvre aussi à l’arrière une grille qui fait écho à celle de l’avant (séparée en deux parties par une longue ligne chromée). Quant au style de l’habitacle, son développement est dirigé par Bob Scheelk.

Photo: Cadillac

Une Cadill-uick en quelque sorte…

Devant l’ampleur de la tâche et les délais demandés (environ deux ans pour la conception), la direction de GM va imposer des mesures drastiques pour réduire les coûts et la durée de développement. Il faut se souvenir que, à l’époque, les différentes divisions fonctionnent de manière autonome avec des châssis et moteurs spécifiques. Mais cela fait un moment que Fisher Body, la branche carrosserie de GM, joue avec l’idée d’augmenter le nombre de pièces communes entre les marques, une idée assez novatrice pour l’époque. Ainsi, les 5 divisions partageront toutes un ensemble de dimensions communes fixées par Buick et de nombreux éléments de tôle (berceau moteur, cloison pare-feu et, donc, les fameuses portes avant qui vont agacer les designers) ainsi que le parebrise panoramique.

La variation des dimensions, importante pour préserver la hiérarchie des marques, sera réalisée par l’extension de l’empattement et des porte-à-faux avant et arrière. Plusieurs styles de toits seront également mis en commun. Chez Cadillac, il y en a quatre de base : plongeant pour les berlines (dit toit 6 fenêtres), panoramique pour les berlines (avec un immense vitrage arrière, dit toit 4 fenêtres, voir photo ci-dessous), plongeant pour les coupés et formel pour les limousines. Il existe en fait un cinquième type de toit, monté sur l’Eldorado Brougham, un modèle très à part dont nous parlerons plus loin.

Photo: Cadillac

Le châssis en X, inauguré chez Cadillac en 1957 et qui permet d’abaisser la hauteur de la voiture, repose sur quatre amortisseurs hélicoïdaux de série mais il est possible d’obtenir en option une suspension pneumatique (chère et peu fiable, celle-ci restera très confidentielle et sera même souvent remplacée par un amortissement conventionnel par les propriétaires). Là encore, il y a de la rationalisation dans l’air. Si la gamme Cadillac 1958 utilisait quatre empattements différents, il n’en reste plus que deux en 1959 : 149,8 pouces (3,80 m) pour les limousines et châssis commerciaux (dont la plus célèbre incarnation sera l’ECTO-1 du film « Ghostbusters » de 1984) et 130 pouces (3,30 m) pour tous les autres modèles. Les longueurs sont de 225 pouces (5,71 m) pour la gamme classique et de 244,8 pouces (6,22 m) pour les limousines.

Photo: Cadillac

L’uniformité selon Cadillac

La gamme se compose de 5 lignes : Série 62, DeVille, Eldorado, Fleetwood Sixty Special (un nom inauguré en 1938) et Série 75 (ou Fleetwood Seventy Five) pour les limousines et châssis commerciaux (veuillez vous reporter au tableau des chiffres de production en fin de texte pour voir les différentes carrosseries disponibles sur chaque modèle). Les noms des modèles peuvent paraître assez disparates mais il faut savoir que, avant la guerre, les désignations se faisaient par série numérique. Plus le chiffre était élevé, plus le véhicule était haut dans la gamme (par exemple 60, 65, 75 et 90 en 1938). Après la guerre, les noms DeVille et Eldorado vont apparaître respectivement en 1949 et 1953.

Photo: Cadillac

Chaque modèle se distingue bien évidemment pour son niveau d’équipement et la qualité des garnitures intérieures mais on peut aussi les repérer par des attributs extérieurs. Les Série 62 et DeVille ont « relativement » peu de chrome. Toujours pour des raisons de rationalisation, les Eldorado Biarritz (cabriolet) et Seville (coupé) perdent leurs ailerons spécifiques et bénéficient simplement de barres chromées en haut et en bas se prolongeant jusqu’aux feux arrière, ainsi que des bas de caisse chromés. La Sixty Special reçoit quant à elle des barres chromées se finissant en pointe sur les ailes arrière avant les feux et de fausses entrées d’air sur les portes arrière.

Photo: Cadillac

Prix de base

1959

1960

USD

CAD

USD

CAD

Série 62

4 892

6 233

4 892

6 256

DeVille

5 252

6 471

5 252

6 715

Eldorado

7 401

9 412

7 401

9 454

Sixty Special

6 233

7 926

6 233

7 958

Série 75

9 533

12 092

9 533

12 150

Les Eldorado Biarritz et Seville expliquent leur prix plus élevé par un équipement plus généreux que les autres modèles : suspension pneumatique, verrouillage central, radio avec deux haut-parleurs et antenne électrique, chauffage et phares antibrouillards. Par contre, les sièges et vitres électriques restent en option sur tous les modèles.

Techniquement, les Cadillac 1959-60 font appel à un V8 dont les origines remontent à 1949. D’abord d’une cylindrée de 331 pouces cubes (5,4 litres), il sera réalésé à 365 pc (6 litres) en 1956 avant de passer à 390 pc (6,4 litres) pour 1959. Cette année-là, deux variantes sont disponibles : 325 chevaux (carburateur 4 corps Carter AFB) de base ou 345 chevaux (trois carburateurs deux corps Rochester 2GC) de série sur les Eldorado et offert en option sur tous les autres modèles. Dans tous les cas, la boîte de vitesses est une automatique Hydra-Matic à 4 rapports. Plusieurs rapports de pont sont proposés : 2,94:1 de base; 3,21:1 en option ou de série avec la climatisation et le moteur de 345 chevaux et enfin 3,36:1 sur les Séries 75 ou 3,77:1 en option. Les freins sont à tambour aux quatre coins et sont assistés de série, tout comme la direction.

Photo: Cadillac

Le développement simultané des modèles pleine grandeur pour les cinq divisions aurait coûté à GM un milliard de dollars, une somme colossale pour l’époque. Mais cela va permettre à la compagnie de réaliser le deuxième plus gros profit de son histoire avec 873 millions de dollars américains (contre 1,19 milliard en 1955). Pour Cadillac, c’est le retour à des niveaux de production similaires à ceux de 1957. Face à Lincoln et Imperial, la marque assoit sa domination dans le segment du luxe (voir chiffres de production en fin de texte).

Le calme après la tempête

Après un tel effort industriel, pas question de tout changer pour 1960. Mais Bill Mitchell va commencer à imposer sa patte et calmer un peu le design. Les ailes sont moins hautes, plus effilées, la calandre est simplifiée, le pare-chocs avant est redessiné alors que les ailes arrière finissent sur deux feux au lieu d'un. La quantité de chrome est réduite, particulièrement sur la Sixty Special qui reçoit de discrètes sorties d’air sur les ailes arrière. La gamme n’évoluera pas, ni les motorisations. Cette « retenue » plaira à la clientèle et Cadillac ne produira que 88 exemplaires de moins par rapport à 1959.

Photo: Cadillac

1959

1960

Série 62

Berline hardtop 6 fenêtres

23 461

26 824

Coupé hardtop

21 947

19 978

Berline hardtop 4 fenêtres

14 138

9 984

Cabriolet

11 130

14 000

Berline export

 60

 38

DeVille

Berline hardtop 6 fenêtres

19 158

22 579

Coupé hardtop

21 924

21 585

Berline hardtop 4 fenêtres

12 308

9 225

Eldorado

Coupé Seville

 975

1 075

Cabriolet Biarritz

1 320

1 285

Brougham

 99

 101

Fleetwood Sixty Special

Berline hardtop

12 250

11 800

Série 75

Berline 9 places

 710

 718

Limousine 9 places

 690

 832

Châssis commercial

2 102

2 160

Total

142 272

142 184

Photo: Cadillac

Dans la guerre qui oppose les marques de luxe américaines, le grand gagnant de la décennie 50 est clairement Cadillac. Packard est disparue, Imperial va vivoter et Lincoln passera proche de l’échafaud avant de trouver un véritable second souffle dans les années 70. Pour GM, l’année 1960 signifie une forte augmentation des profits, à 959 millions de dollars américains. La décennie 60 commence bien!

1955

1956

1957

1958

1959

1960

Cadillac

140 777

155 577

146 841

121 778

142 272

142 184

Lincoln (incluant Continental)

27 222

52 872

41 567

29 684

26 906

24 821

Imperial

11 432

10 628

37 593

13 233

17 269

17 719

Packard

55 517

28 835

4 809

2 622

 0

 0

Photo: Cadillac

Le luxe à l’italienne

Reste maintenant à parler de la plus rare, de la plus exclusive et, probablement, de la moins connue des Cadillac 1959-60 : l’Eldorado Brougham. Pour comprendre l’origine de ce modèle, il faut remonter à 1955 alors que Cadillac dévoile à l’exposition Motorama le concept Eldorado Brougham. L’année suivante, une nouvelle version de modèle est présentée ainsi qu’une variante à chauffeur baptisée Eldorado Brougham Town Car. La version de production arrive au millésime 1957 (voir photo ci-dessous).

Elle va rentrer en concurrence directe avec la Continental Mark II, produite par Lincoln. Le style de l’auto est spécifique et les portes sont à ouverture antagoniste. Côté équipement, c’est bien simple, tout, absolument tout, est de série. Il y a même un ensemble de gobelets argentés, un nécessaire à maquillage ainsi qu’un flacon du parfum « Arpège » de Lanvin. Mais tout ceci à un coût : 13 074 USD! À titre de comparaison, une Cadillac Série 62 coupé coûte 4 677 USD tandis qu’une Eldorado (Biarritz ou Seville) demande 7 286 USD. Cela va évidemment limiter la production du modèle : 400 exemplaires en 1957 et 304 en 1958.

Photo: Cadillac

Pourtant, Cadillac décide de continuer l’aventure pour 1959. La marque va par contre changer son fusil d’épaule. Le style est beaucoup plus proche des modèles de grande série mais conserve quelques spécificités : calandre simplifiée sans la séparation horizontale, capot unique, parebrise non panoramique, ailerons plus petits (similaires à ceux du millésime 1960) et ligne de toit plus anguleuse, qui préfigure les modèles 1961. Au final, aucun panneau de carrosserie n’est interchangeable avec les modèles conventionnels. Là encore, tout est de série : régulateur de vitesse, phares automatiques « Autronic-Eye », climatisation et vitres teintées en plus de l’équipement des autres Eldorado. Par contre, il n’y a plus les accessoires personnels et de beauté. Dix-neuf teintes extérieures et seize combinaisons de couleurs intérieures sont proposées.

Photo: Cadillac

Le prix augmente de façon symbolique : 13 075 USD. La production est envoyée chez le carrossier italien Pinin Farina (qui ne prendra le nom de Pininfarina qu’en 1961). Celui-ci produira 99 exemplaires en 1959 et 101 en 1960. Pour ce second millésime, seuls la calandre et les feux arrière sont modifiés de façon similaire aux autres Cadillac. Devant le peu de rentabilité du modèle, Cadillac choisit logiquement d’arrêter l’expérience pour 1961. Sur les 200 exemplaires produits, combien en reste-t-il aujourd’hui dans le monde?

À voir aussi : Antoine joubert présente la brochure de la Cadillac 1973

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