L’histoire de Jaguar: De l’Angleterre à l’Inde en évitant l’Allemagne

Publié le 28 novembre 2019 dans Voitures anciennes par Alain Morin

Si l’on devait résumer l’histoire de Jaguar en deux mots, ce serait «William Lyons». Il fut le fondateur, ingénieur, directeur marketing, styliste, porte-parole et, au début, sans doute le concierge et le commissionnaire de Jaguar. Lyons était bien entouré, évidemment. Son associé de la première heure, William Walmsley, n’était pas non plus un manchot en affaires.

Les deux hommes se rencontrent en 1921. Lyons est alors un fervent pilote de moto d’à peine 20 ans tandis que Walmsley, un « vieux » de 28 ans, fabrique des side-cars dans le garage familial. Pour rappel, un side-car est un petit habitacle à une place doté d’une roue qu’on monte ensuite sur le côté des motos. Cela permettait aux familles anglaises à faible revenu de profiter d’un moyen de transport.

Lyons se rend chez Walmsley à Blackpool, une petite ville située à environ 100 km au nord de Liverpool en Angleterre, pour faire l’achat de l’une de ses créations artisanales.

Une première compagnie qui change vite de nom

Les deux hommes s’entendent fort bien et décident rapidement de s’unir et forment la Swallow Sidecar Company, basée à Blackpool. Seul hic, ils doivent attendre la majorité de Lyons avant d’aller de l’avant, majorité qui arrive le 4 septembre 1922.

Les affaires de Swallow Sidecar, commodément appelée SS, vont plutôt bien, au point où l’entreprise doit déménager dans des locaux plus grands à peine deux ans plus tard. Les deux William en profitent pour changer le nom de la société en Swallow Sidecar & Coach Building Company puisqu’elle commence à retaper des carrosseries d’automobiles.

Photo: Wikimedia Commons/Vauxford

En janvier 1927, SS &CBC produit une première voiture à deux portes, une Austin Seven 1922 dessinée par Lyons. On ne parle pas encore de prestige, loin de là. Un concessionnaire Austin de Londres, Henley, apprécie le travail des deux associés et passe une commande de 500 unités.

Dès l’année suivante, une version à quatre portes est lancée sur le marché… et la compagnie change encore son nom pour la Swallow Coachbuilding Company, bien qu’elle n’abandonne pas la fabrication de side-cars.

Le jaguar se pointe le museau

Les affaires vont bien et dès 1928 nos deux William déménagent pour se rapprocher du milieu de l’automobile britannique, Coventry. L’année suivante, une première SS, pour Standard Swallow fait son apparition. Pourquoi Standard Swallow? Parce que le châssis provient de Standard. Et puis, ça ne coûte pas cher de badges, ils demeurent les mêmes (SS)!

Photo: Jaguar

Il faut toutefois attendre le Salon de Londres 1931 pour voir la voiture qui marque, en quelque sorte, les débuts de SS dans le monde des « grands », la SS1. Les 4 000 et quelques unités construites entre 1931 et 1936 valent aujourd’hui une fortune. La première voiture à porter le nom Jaguar apparaît en septembre 1935. Il s’agit de la Jaguar SS 90. Une version plus puissante arrive l’année suivante, la Jaguar SS 100. D’où vient le nom Jaguar? Ce n’est pas très clair mais il semblerait que Standard Motor Company utilisait déjà ce nom pour l’un de ses modèles.

Enfin, Jaguar!

Le succès de la gamme SS est tel qu’il entraîne des modifications majeures. Walmsley quitte le bateau et la compagnie change encore de nom, cette fois pour SS Cars. La Seconde Guerre mondiale amène aussi son lot de retournements. Durant le conflit, SS Cars construit des side-cars et des remorques pour l’armée britannique. Après? À cause des actes commis par la police nazie, les lettres SS deviennent synonymes d’atrocités. Pas le genre de publicité dont un constructeur automobile a besoin. Le 23 mars 1945, William Lyons rebaptise son entreprise. Bienvenue Jaguar!

Autre conséquence de la guerre, le gouvernement britannique, pour relancer l’économie, décrète que 50% de la production doit être exportée. Ça tombe bien, les États-Unis vivent un extraordinaire boom économique. En 1948, Lyons passe cinq semaines en Amérique pour mettre sur pied un réseau de concessionnaires. Dès cette première année, Jaguar y écoule 238 unités.

Depuis le milieu des années 30, mais interrompus par la guerre, les ingénieurs de Jaguar travaillent sur un moteur expérimental « X », moteur qui prend l’appellation XK lorsqu’il entre en production. La première voiture à le porter est la XK120, une magnifique auto sport qui influencera le monde de l’automobile, montrée pour la première fois au Salon de Londres en 1948. En 1953, elle sera remplacée par la XK140.

Photo: en.wheelsage.org

Fabuleuse XKSS

Les années 50 sont merveilleuses pour Jaguar. Dès le début de la décennie, la marque au félin se porte acquéreur de Daimler, la contrepartie anglaise de Mercedes-Benz. Ce faisant, Jaguar acquiert une noblesse qui lui manquait, Daimler fournissant les voitures de la famille royale.

D’un autre côté, la gamme XK se vend comme des petits pains chauds et la version de course, la Type C, remporte, entre autres, les 24 Heures du Mans 1951. Et ce n’est rien en comparaison de la Type D qui la remplacera et qui gagnera cette prestigieuse épreuve en 1955, 1956 et 1957.

Photo: Jaguar

On tire de cette Type D une voiture de route, la fabuleuse XKSS. Steve McQueen en a possédé une. Malheureusement, un incendie détruit une partie de l’usine et la plupart des XKSS construites, ou en construction, sont ruinées. Seulement 16 sont sauvées. Dire qu’elles valent cher aujourd’hui serait l’euphémisme du siècle. En bas de 15 millions de dollars US l’unité, n’y pensez même pas! En 2017, Jaguar Classics a reconstruit 25 répliques exactes de ces XKSS. À 1,5 million de dollars chacune, c’était donné.

Le temps des fusions

Au début des années 50, Morris (MG) et Austin fusionnent : la BMC, la British Motor Corporation Limited, vient de naître! Une douzaine d’années plus tard, en 1966, Jaguar et BMC s’unissent pour former la British Motor Holdings (BMH).

William Lyons, dans la soixantaine avancée, cède son poste de président-directeur général mais garde le contrôle du holding. Deux années plus tard, BMH et Leyland Motors Limited, un autre important consortium anglais, s’unissent, formant ainsi la British Leyland Motor Corporation (BLMC) responsable de 95% de la production de voitures anglaises!

Tout ça, c’est bien beau mais ce sont surtout deux voitures lancées en 1961 qui retiennent l’attention.

Tout en finesse, la Mark X (XJ)

Tout d’abord, la Mark X, une berline au style révolutionnaire comparé à celui des autres berlines de Jaguar. Cette Mark X restera en production pendant 30 ans, fidèle au look original d’un charme fou. Au fil des années, la Mark X devient la XJ, produite jusqu’à 2009. La XJ qui la remplace alors est totalement différente et, bien entendu, infiniment moins distinguée.

Photo: en.wheelsage.org

Si Enzo le dit…

L’autre voiture, et non la moindre, est la Type E, connue en Amérique sous l’appellation XK-E. Elle est dévoilée en mars 1961, au Salon de Genève. Ce coupé sport, dessiné par Malcolm Sayer, est d’un esthétisme si parfait que Enzo Ferrari, pourtant peu porté à complimenter ses compétiteurs, dit qu’il s’agit de la plus belle voiture de tous les temps. Quand même.

Photo: en.wheelsage.org

En plus, la motorisation et le châssis sont à la hauteur des promesses de la carrosserie. La Type E reste en production jusqu’en 1975 même si, pour répondre aux normes de sécurité de plus en plus sévères, ses lignes perdent en finesse.

Les années 50 et 60 ont été extraordinaires pour Jaguar mais le vent change au tournant des années 70. Le 3 mars 1972, Sir Williams Lyons se retire après 50 ans de loyaux services. Son successeur, Frank Raymond Wilton ‘’Lofty’’ England, ingénieur de course pour Jaguar depuis 1946, ne reste en place que deux années.

Temps troubles

En 1975, l’industrie automobile anglaise périclite à vue d’œil, étant incapable de se renouveler pour suivre les tendances mondiales (mesures de sécurité et antipollution, globalisation des marchés, etc.). BLMC, dont Jaguar fait partie, doit se résoudre à demander de l’aide au gouvernement.

Plutôt que lui prêter des sommes colossales, l’administration publique la nationalise. Mais cela ne change pas grand-chose, les marques les moins rentables appauvrissant les autres. Pour sauver Jaguar, il est décidé de la privatiser (1984).

Une fleur dans l’asphalte

En 1988, Jaguar présente l’une des plus sublimes voitures de production à avoir roulé sur la planète, la XJ220. Véritable gouffre financier pour l’entreprise, cette bagnole supersportive extrêmement longue et basse, développée en collaboration avec Tom Walkinshaw Racing (TWR), a pour mission de tenir tête aux Ferrari F40 et Porsche 959. Rien que ça.

Photo: Jaguar

Soulignons que son châssis est fabriqué avec de l’aluminium provenant d’Alcan. La production commence en 1992 et se termine en avril 1994 après 281 unités.

L’époque Ford… puis Tata

En 1999, Jaguar entre dans la famille Ford! Eh oui. Ford crée alors la Premier Automotive Group qui comprend, outre Jaguar, Aston Martin, Volvo et, à partir de l’année suivante, Land Rover. Sous l’ère Ford, Jaguar diversifie son offre mais génère peu de profits.

Pour cette raison, dès les premiers signes d’une récession économique en juin 2007, Ford annonce la vente de Jaguar et de Land Rover. C’est un important constructeur indien qui s’en porte acquéreur, Tata Motors Inc.

Alors que les pires scénarios se dessinent dans l’imagination de plusieurs critiques automobiles, les années ultérieures prouvent que Tata avait une vision d’avenir pour Jaguar et Land Rover et, mieux, une excellente compréhension du marché de la voiture de luxe.

Photo: Jaguar

Depuis le rachat par Tata, Jaguar, comme Land Rover, a connu un incroyable regain de popularité. Grâce à un programme très élaboré de recherches et de développements, elle ne suit plus la parade en termes de technique, elle en fait partie.

Si seulement, Jaguar pouvait régler ses problèmes de fiabilité…

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