Taxerait-on des véhicules qui consomment moins?
Il y a 15 ans, j’assistais au dévoilement du Kia Sportage 2005. Les stratèges de la marque ne cessaient d’encenser les qualités de ce véhicule, qui proposait à ce moment un choix de deux motorisations, dont un V6 de 2,7 litres.
Un moteur certes un peu gourmand, mais qui avait l’avantage d’offrir une souplesse remarquable tout en contribuant au confort de roulement. Jumelé à une boîte automatique à quatre rapports, ce moteur consommait en moyenne 11 L/100 km, pour une puissance de 173 chevaux.
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Chez Ford, le V6 de 3,0 litres qui était à ce moment proposé sous le capot de l’Escape en offrait un peu plus, soit 200 chevaux. Très appréciée, cette mécanique était naturellement la plus populaire de toute, et ce même si la consommation avoisinant les 12,5 L/100 km.
Aujourd’hui, les choses sont évidemment bien différentes. Le Sportage le plus puissant consomme toujours autour de 11 L/100 km, faisant cette fois appel à un quatre cylindres turbocompressé de 2,0 litres qui produit 237 chevaux. Puis, chez Ford, même portrait. Un quatre cylindres Ecoboost de 2,0 litres produisant 250 chevaux, lequel consomme toutefois beaucoup moins que le V6 du passé, avec une moyenne combinée d’environ 9,5 L/100 km.
À la lumière de cette constatation, on peut ainsi conclure que Ford s’est amélioré par rapport à Kia. Or, comprenez qu’il s’agit d’un exemple parmi tant d’autres, et que l’exercice qui consiste à réduire la consommation d’essence d’un moteur puissant est plus simple que lorsqu’il faut retrancher quelques gouttes sur des moteurs moins performants.
Des moteurs pour se conformer aux lois
Au Québec, la surtaxe à l’immatriculation n’est bêtement applicable que sur des mécaniques dont la cylindrée est supérieure à 4,0 litres. Plus la cylindrée est élevée, plus on paie. Une situation ridicule, sachant que la taille du moteur n’a rien à voir avec la consommation du moteur. À preuve, le V6 de 3,5 litres EcoBoost de Ford est exempt de taxes sur la camionnette F-150, et ce même si ce moteur consomme autant que le V8 de 5,3 litres du Chevrolet Silverado, qui est pour sa part lourdement taxé.
Évidemment, il ne se développera aucune motorisation dans l’optique de tirer avantage de cette loi ridicule, surtout qu’il ne s’agit que d’une loi provinciale. Or, lorsque vient le temps de développer un nouveau véhicule que l’on souhaite commercialiser à l’international, le défi est de se conformer aux lois de tous les marchés et de proposer des mécaniques qui, autant sur le plan législatif que taxatif, seront avantageuses pour le consommateur.
Voilà donc pourquoi depuis quelques années, on assiste à ce que j’appelle, la « turbomanie ». Une technique toute simple qui vise à réduire la taille des moteurs pour ensuite leur greffer un turbocompresseur. Cela permet d’obtenir, sur papier, un moteur de puissance comparable à celui de plus grosse taille, pour ainsi le vendre un partout dans le monde en évitant aux consommateurs de débourser de fortes taxes. Car, dans certains pays européens, vous paierez davantage de taxes pour un moteur 2,0 litres que pour un moteur de 1,8 litre.
C’est donc pour cette raison que les constructeurs proposent aujourd’hui de très petits moteurs turbocompressés dans leurs voitures et VUS. Pensez par exemple aux Chevrolet Equinox, Honda CR-V et Mitsubishi Eclipse Cross à moteur quatre cylindres de 1,5 litre turbo, pour ne nommer que ceux-là. Sont-ils réellement moins gourmands qu’un Nissan Rogue, qu’un Subaru Forester ou qu’un Toyota RAV4, qui font appel à des quatre cylindres atmosphériques de 2,5 litres? Bien sûr que non. Même que dans certaines situations, les « gros » quatre cylindres ont l’avantage sur ces petits moteurs turbo…
Cette année, Ford et GM poussent le ridicule en proposant des moteurs à trois cylindres turbocompressés pour certains de leurs VUS. Chez GM, les Buick Encore GX et Chevrolet Trailblazer 2021 hébergent une moteur à trois cylindres turbo de 1,2 et 1,3 litre, lesquels remplacent le déjà très compact quatre cylindres de 1,4 litre turbo précédemment offert sur l’Encore et le Trax. Puis, chez Ford, l’EcoSport adopte un moteur 1,0 litre de 123 chevaux, tandis que le nouvel Escape reçoit un trois cylindres de 1,5 litre produisant 181 chevaux.
C’est au volant de ce dernier, équipé des quatre roues motrices, que j’ai roulé plus de 1 000 kilomètres la semaine dernière. Un véhicule solide, confortable et drôlement mieux construit que par le passé, mais qui perd toutes ses qualités lorsque vient le temps de s’attarder à ce qui se cache sous son capot.
Chez Ford, on annonce avec la version à quatre roues motrices une moyenne de consommation combinée de 8,3 L/100 km. 8,9 en ville, 7,6 sur route. Des cotes supérieures à celle des Toyota RAV4 et Subaru Forester (2,5 litres), et à peine inférieures à celle des Nissan Rogue et Mazda CX-5 (2,5 litres).
La vérité est que si ces cotes sont comparables sur papier, elles deviennent farfelues dans la vie de tous les jours, où un moteur à trois cylindres turbocompressé et jumelé à une boîte automatique à huit rapports, est toujours mis à l’effort. Pire encore, Ford pousse le ridicule jusqu’à offrir ici la technologie de désactivation des cylindres (1 sur 3), pour soi-disant économiser davantage à la pompe, ce qui a bien sûr l’effet inverse. Pourquoi? Parce que le moteur donne constamment l’impression d’être à bout de souffle, un peu comme s’il était en pleine crise d’asthme.
Pas besoin de vous dire qu’à 1 600 kilos, l’Escape n’a donc rien de frugal. À preuve, une consommation enregistrée en ville à 10,2 L/100 km en circulation urbaine, mais surtout, à 10,4 L/100 km sur route, à une vitesse moyenne de 115 km/h. Évidemment, ces cotes auraient pu être abaissées de 10 ou 15% en période estivale. Or, ces résultats illustrent qu’un moteur d’une telle taille devient carrément inefficace sur route, consommant davantage que des moteurs presque deux fois plus volumineux, à puissance comparable.
Malgré cette réalité qui ne constitue qu’un exemple parmi tant d’autres, mais qui prouve qu’un trop petit moteur ne peut être efficace sur le plan énergétique, les différents gouvernements continuent de taxer en fonction de la cylindrée. L’Europe, l’Asie comme le Québec y vont de réprimandes financières si vous osez vous procurer un plus gros moteur. Une situation ridicule qui, évidemment, n’a aucun effet bénéfique sur le plan environnemental, puisque tout le monde sait qu’un moteur qui consomme davantage pollue davantage.
En ce qui me concerne, la solution est simple. Il faut taxer en fonction de la cote d’émission de CO2, non pas en se basant sur la cylindrée. Puis, en tant que consommateur, il faut être conscient qu’un trop petit moteur, même turbocompressé, ne peut être efficace dans un véhicule dont la masse est élevée.
En terminant, je me permets d’ailleurs de vous dire que le moteur 2,0 litres EcoBoost du Ford Escape 2020, offert en option, affiche une cote de consommation sur route inférieure à celle du moteur à trois cylindres, dont la puissance est réduite de 69 chevaux. Voilà qui dit tout.