L’art de se créer des besoins

Publié le 20 février 2020 dans Blogue par Antoine Joubert

Un chroniqueur automobile essaie différents véhicules chaque semaine. Des autos sport, des compactes, de grandes voitures de luxe et surtout, des VUS. Parce qu’il en sort un nouveau chaque semaine. Parce que la demande est là et parce que l’on ne parle que de ça. Une semaine passée avec le public au Salon de l’auto de Montréal m’a d’ailleurs permis de constater que les gens s’intéressent en majorité à des VUS. Sur place, il ne se passait pas cinq minutes sans que quelqu’un me parle de l’Outback, de la Crosstrek, de l’Explorer et surtout, du très attendu Toyota RAV4 Prime.

Bien sûr, l’insistance des chroniqueurs automobiles mise sur les VUS est accentuée en hiver, alors qu’il est plus facile de tester l’efficacité et la polyvalence de ce genre de véhicules. Pour un peu de changement, cette semaine j’essaie une berline Lexus. Une ES350 à moteur V6, voiture de grande qualité et qui, à mon sens, est littéralement au sommet de son art. Parce qu’elle repousse les limites du confort, du raffinement et de la technologie, tout en demeurant traditionnelle dans son approche.

Pourquoi traditionnelle? Parce qu’il s’agit d’une berline, d’abord, mais aussi parce qu’elle fait appel à un moteur V6 atmosphérique (non turbocompressé) qui achemine uniquement sa puissance aux roues avant. Et, je dois l’admettre, je me suis presque senti handicapé par l’absence d’un rouage intégral lorsqu’est tombée la première neige de la semaine. Il faut dire qu’avant de prendre le volant de cette dernière, je remettais les clés d’une Subaru Crosstrek, laquelle est indéniablement capable de nous faire apprécier l’hiver.

Photo: Subaru

Dans les faits, la Lexus ne se comporte pas mal en hiver. Au contraire. Bien chaussée, exempte d’effet de couple malgré ses 302 chevaux et accompagnée d’un système antipatinage extrêmement efficace, elle affronte la neige et les surfaces glissantes sans grande difficulté. Or, tous ceux qui ont goûté à la traction intégrale vous le diront, il est difficile de revenir à une traction après avoir roulé en quatre roues motrices.

Comprenez par cela que l’on s’habitue rapidement aux avantages d’une voiture par rapport à une autre, et que l’automobiliste moyen, sans le savoir, se crée des besoins qui lui coûtent cher, lorsque vient le temps de changer de véhicule. Par exemple, un rouage intégral coûte toujours entre 2 000 $ et 3 000 $ de plus, montant auquel il faut ajouter les taxes, la consommation d’essence plus élevée et les frais d’entretien du différentiel, s’il y a lieu.

On peut d’ailleurs remonter loin derrière pour se souvenir qu’à une certaine époque, une bagnole équipée d’une sellerie en tissu constituait un luxe. On pouvait sans gêne facturer le client pour un rétroviseur côté passager, une radio ou même, une horloge. Dans les années 90, la climatisation est devenue de plus en plus populaire, mais demeurait toutefois une option que l’on facturait à gros frais. J’avais moi-même acheté à la fin des années 90 une Toyota Celica GT-S 1993 neuve à 24 000 $ (en 1993), laquelle était dépourvue de climatisation.

De nos jours, on peut compter sur les doigts d’une main les véhicules sans climatisation ou pire, avec des vitres à manivelle. On lève le nez sur des véhicules dépourvus de sièges chauffants, réclamant aussi l’application Apple CarPlay/AndroidAuto ainsi que la caméra de recul, ironiquement rendue obligatoire pour tout véhicule de promenade vendu au Canada!

L’acheteur moyen d’un Ford Explorer ou d’un Jeep Grand Cherokee vous parlera ainsi avec nostalgie de la Pontiac Sunbird ou de la Toyota Tercel qu’il conduisait à une certaine époque, vantant ses aptitudes et sa durabilité, admettant toutefois qu’il ne retournerait jamais dans un véhicule de si petite taille. Car aujourd’hui, le VUS est presque rendu nécessaire.

Photo: Ford Explorer 2020

À preuve, vous avez besoin de remorquer une petite tente-roulotte? Aujourd’hui, il faut obligatoirement penser à un VUS de taille moyenne. Pourquoi? Parce qu’il ne faudrait surtout pas souffrir de l’inconfort causé par une charge qui nous colle au derrière. Pourtant, en Europe il n’est pas rare de voir des compactes remorquer de petites charges. Des autos comme la Nissan Micra et la Toyota Yaris, auxquelles on pourrait par exemple accrocher une motomarine et sa remorque.

Cela m’évoque d’ailleurs le souvenir d’une Volkswagen Rabbit Diesel de 1983 que je m’étais procurée pour quelques centaines de dollars, alors que mon permis de conduire était tout frais sorti du four. Une voiture achetée auprès d’une connaissance, qui l’avait utilisée maintes fois pour trimbaler famille et bagages, un canot et une tente roulotte! Tout ça avec 48 chevaux. Mais aujourd’hui, pour un tel exercice, avouez que vous n’iriez pas en bas d’un Kia Sorento.

Alors oui, l’automobiliste a développé des habitudes et des besoins qui font en sorte que nos véhicules sont maintenant fardés de gadgets souvent superflus. Ceux-ci font évidemment grimper la facture, mais d’un autre côté, les véhicules dépourvus de ces accessoires désormais « nécessaires » sont drôlement plus difficiles à revendre.

Est-ce que votre prochain véhicule sera donc équipé d’un toit ouvrant panoramique? D’un système d’assistance au stationnement en parallèle? D’un système de conduite semi-autonome? Avant de sélectionner ces options, peut-être vaudrait-il la peine de vous interroger sur leur nécessité. Parce que sur un Ford Escape, le fait de crocheter toutes ces options vous fait vite passer d’une facture de 28 000 $ à 42 000 $, voire 45 000 $.

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