Vous souvenez-vous de la… Volkswagen Passat W8?
Au début des années 2000, Volkswagen se donne un nouveau défi : rivaliser avec Mercedes sur le terrain du luxe. La Passat W8 était la première brique de ce chantier pharaonique… qui n’ira nulle part.
La décennie 70 est compliquée pour Volkswagen. La Beetle se vend encore très bien, mais le moteur refroidi par air en position arrière commence à faire vieillot et la compagnie ne semble pas savoir comment faire face à une concurrence qui se modernise à grande vitesse. La solution viendra de l’achat d’Auto Union en 1964 et de NSU en 1969.
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À partir de 1973, VW lance son « offensive traction avant » avec les Passat, Golf (1974) et Scirocco (1975). Voiture du renouveau, la première Passat repose sous les soubassements de l’Audi 80 B1 (Fox en Amérique du Nord) de 1972. Au fil des années, cette gamme gagne en taille et reçoit des moteurs de plus en plus puissants, dont le fameux VR6 à partir de la troisième génération.
On se rapproche!
En 1991, la marque de Wolfsburg présente son 6 cylindres en V rapproché. L’architecture n’est pas nouvelle puisqu’elle a été inventée en 1915 par Vincenzo Lancia, fondateur de la marque portant son nom. Cependant, Volkswagen la remet au goût du jour pour pouvoir installer un moteur de forte cylindrée dans ses modèles compacts (Golf, Jetta et Corrado). L’ouverture du V entre les deux bancs de cylindres est de seulement 15 degrés (contre généralement 60 voire 90 degrés dans un V6 classique).
Les avantages d’une telle disposition sont la réduction de l’encombrement (quasiment similaire à celui d’un 4 cylindres) et l’utilisation d’une culasse unique contre deux dans un V6 traditionnel. Les inconvénients de ce choix technologique sont par contre une gestion compliquée des échanges thermiques ainsi que des compromis dans le dessin des têtes et des tubulures à cause de la compacité de l’ensemble. Mais ce moteur, dans ces différentes configurations (il y aura même un VR5), s’avère populaire à travers le monde. Alors, Volkswagen ne va pas s’arrêter là.
L’architecture des moteurs en W n’est pas nouvelle mais c’est Ferdinand Piëch, président du groupe Volkswagen depuis 1993, lui-même qui décidera de l’utiliser (il ne faut pas oublier qu’il est ingénieur de formation). Il s’agit d’une évolution logique des blocs en V rapprochés puisqu’elle correspond à l’assemblage de deux VR à 72 degrés d’ouverture. On trouve ainsi 4 rangs de cylindres avec seulement deux culasses. La première application publique sera un W12 installé dans un concept, justement nommé W12 Synchro, présenté au Salon de Tokyo 1997.
Les premiers concepts Bugatti, suivant le rachat de la marque en 1998, auront même droit à des W18 de 6,3 litres (soit 3 rangs de VR6) avant que les ingénieurs ne choisissent d’utiliser un W16 (soit deux rangs de VR8) pour la Chiron. À partir de 2001, et jusqu’à aujourd’hui, plusieurs modèles du groupe Volkswagen pourront être équipés d’un W12 de 6 ou 6,3 litres.
(VR6-2) x 2 = W8
Le lancement de la petite Mercedes Classe A au salon de Francfort 1997 met Ferdinand Piëch dans tous ses états. Si Mercedes-Benz descend en gamme pour concurrencer Volkswagen, eh bien Volkswagen montera en gamme pour concurrencer Mercedes! décrète-t-il. C’est ainsi que naîtra l’extravagant projet VW611, qui deviendra la Phaeton, future concurrente des Mercedes Classe S et BMW Série 7. En attendant, il va falloir habituer la clientèle à payer le gros prix pour acheter une « voiture du peuple ». Peut-être qu’une super Passat pourrait faire l’affaire…
Pour cela, pas question d’utiliser le V8 de 4,2 litres déjà vu chez Audi, celui-ci ne rentrant pas sous le capot de la Passat aux dires des ingénieurs. C’est ainsi que VW va développer une version 8 cylindres de son W12, ainsi donc composé de deux VR4, reprenant les mêmes cotes de course et d’alésage (soit 90,2 mm par 84 mm). D’une cylindrée de 4 litres, ce bloc est compact (420 mm de long) et léger (193 kilos grâce à un alliage d’aluminium et de silicium).
Il est doté d’un vilebrequin à manetons décalés (de 12,5 degrés), de culasses à 4 soupapes par cylindres, d’une injection Bosch Motronic ME7.1 et de deux arbres d’équilibrage (qui tournent deux fois plus vite que le vilebrequin afin de réduire les vibrations) par rang de cylindres. En configuration nord-américaine, il délivre 270 chevaux à 6 000 tr/min et 273 lb-pi de couple à 2 750 tr/min, autorisant une vitesse de pointe de 250 km/h (autolimitée) et un 0 à 100 km/h en 6,8 secondes. Va-t-il pouvoir séduire les acheteurs?
La voiture du peuple… aisé
La Passat de cinquième génération a été présentée en Amérique du Nord pour le millésime 1998 et a reçu un restylage en 2002. C’est là que Volkswagen en profite pour dévoiler la version W8. Outre son moteur exclusif, elle bénéficie en série de la transmission intégrale 4Motion (à différentiel Torsen), d’un châssis renforcé, d’une meilleure insonorisation, d’un réservoir d’essence de 80 litres (au lieu de 62), de 4 sorties d’échappement, de l’ABS, de phares bixénon, de roues de 16 pouces (17 en option), d’un intérieur en cuir, de sièges électriques et d’un système audio Monsoon à 8 haut-parleurs. Elle offre le choix entre une boîte manuelle à 6 rapports et une automatique à 5 rapports Tiptronic. Cerise sur le gâteau, une variante familiale est aussi proposée. Tout ça s’annonce très bien et Volkswagen prévoit d’en écouler 5 000 exemplaires annuellement entre les États-Unis et le Canada.
Mais l’accueil face à ce nouveau modèle est plutôt froid. Pour commencer, la W8 ne se distingue guère à l’extérieur de ses cousines à 4 ou 6 cylindres. Ensuite, elle est proposée au Canada à 53 400 $ (54 575 $ en familiale), soit près de 10 000 $ de plus qu’une V6 4Motion et presque 24 000 $ de plus qu’une Passat de base. Trop cher!
Certes, la concurrence désignée (Audi A6 4.2, BMW 540, Jaguar S-Type, Lexus GS 430 et Mercedes E500) est sensiblement plus dispendieuse mais offre plus de puissance, plus de prestige, une expérience de conduite plus enivrante, une meilleure valeur de revente … et l’absence d’un logo que l’on retrouve sur une Golf à 18 000 $. Enfin, le W8 n’impressionne personne par son caractère et il s’avérera plus tard d’un entretien difficile et cher ainsi que d’une fiabilité en dessous de la moyenne. Autant dire que les clients ne se pressent pas en concessions…
Le couperet tombe en septembre 2004 : la production de la W8 est arrêtée après seulement un peu plus de 11 000 exemplaires pour le monde entier (dont 4 931 combinés pour les États-Unis et le Canada en moins de 3 ans, la W8 étant arrivée au cours de 2002). Les plans pour utiliser ce moteur dans d’autres modèles (dont la Skoda Superb, cousine de la Passat, et une éventuelle Golf R40) sont annulés et la Passat restera le seul modèle du groupe à en avoir bénéficié (Audi refusera de l’utiliser et même la Phaeton fera appel à un V8 classique).
Avec l’échec de la Phaeton, la vision de la montée en gamme de Piëch tombera à l’eau dans un « splash » retentissant et coûtera au groupe plusieurs milliards de dollars. Conclusion : il ne fallait PAS S’ATtaquer aux reines de la catégorie pour se retrouver avec des actionnaires PAS SATisfaits.