Les origines de la Chevrolet Camaro
Le 17 avril 1964, une bombe est tombée sur la tête des patrons de GM et Chrysler : la Ford Mustang. Il faudra attendre le millésime 1967 pour que Chevrolet réagisse. Mais dire que la direction de la marque n’a rien vu venir est beaucoup trop simpliste.
Le succès commercial de la Volkswagen Beetle dans les années 50 a forcé les trois grands de Detroit à répliquer et à offrir de nouveaux véhicules compacts à l’aube des années 60 : Chevrolet Corvair, Plymouth Valiant et Ford Falcon. C’est grâce à ces modèles que l’évolution vers des engins plus sport se fera progressivement. Et celle qui va ouvrir le bal, c’est la Corvair.
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Le point de départ
À cause de Ralph Nader et de son livre de 1965 Unsafe at any Speed (publié en français sous le titre Ces voitures qui tuent), la Corvair s’est forgé une triste réputation. Pourtant, à ses débuts, l’auto se vend très bien : 250 000 exemplaires la première année. En février 1960, Chevrolet montre un concept au Salon de l’auto de Chicago : la Corvair Monza, avec sièges baquets et toit ouvrant.
Ça n’est pas grand-chose direz-vous, mais la réaction est telle que la production du modèle de série commence en mai 1960. Ce sont 11 926 exemplaires qui seront écoulés la première année. Pour 1961, Chevrolet étend le concept à plusieurs carrosseries et les ventes s’enflamment : 143 960 Monza contre 140 835 classiques. Les immatriculations de Monza resteront toujours plus élevées jusqu’à la fin de la Corvair, en 1969.
La direction de Ford n’attend pas pour réagir et présente au cours de 1961 la Falcon Futura sur la base du coupé 2 portes, reprenant la même recette. Verdict : 44 470 exemplaires écoulés en fin d’année modèle. Il y a quelque chose dans l’air. En septembre 1961, Chevrolet lance la Chevy II, un véhicule techniquement plus traditionnel que la Corvair pour mieux lutter contre la Falcon, laquelle ne tardera pas à avoir une variante SS (pour Super Sport).
En milieu de millésime 1962, la Corvair bénéficie d’une nouvelle version Spyder dotée d’un 6 cylindres turbocompressé de 150 chevaux. Courant 1963, Ford réplique avec la Falcon Futura Sprint, équipée du nouveau V8 small block de 260 pc revendiquant 164 chevaux. À ce moment, le développement de la Mustang est déjà bien avancé.
Si proche et pourtant si loin…
Puisque c’est Chevrolet qui a démarré les hostilités, la marque observe ce segment de marché de près. En 1962, Irv Rybicki, alors directeur du style de Chevrolet (il deviendra en 1977 le vice-président responsable de tout le design de GM), assemble une petite équipe de designers et réalise en 5 mois un concept de véhicule similaire à la Mustang avec des lignes inspirées de celles de la Buick Riviera 1963 sur un châssis de Chevy II.
Le directeur général de Chevrolet, Semon E. « Bunkie » Knudsen, trouve le modèle intéressant mais estime que la marque n’a pas besoin d’une gamme de produits supplémentaire (elle vient de lancer la Chevy II et présentera l’intermédiaire Chevelle pour 1964) alors que les ventes de Corvair Monza se portent très bien.
Toutefois, les designers de Chevrolet ne lâchent pas. Le studio numéro 2, dirigé par Hank Naga, développe un concept, présenté le 4 avril au Salon de l’auto de New York. Baptisé Super Nova, il repose sur les soubassements de la Chevy II et arbore des lignes tendues, simples mais élégantes, dans l’esprit de la Riviera (selon le style « fluide » favorisé par Bill Mitchell, vice-président chargé du design depuis décembre 1958). La direction de GM n’a alors aucune intention de le produire en série. Treize jours plus tard, Ford présentera la Mustang.
Quand faut y aller, faut y aller…
Au début, GM est dans le déni et, apparemment, n’a pas les vrais chiffres de ventes de Ford. Interrogé sur pour savoir si le constructeur préparait une réponse au ponycar de Ford, Bill Mitchell aurait déclaré : « Mais nous en avons une, elle s’appelle Corvair Monza ». Très vite, il faut pourtant se rendre à l’évidence : la Mustang est un tsunami et rien ne pourra y résister, certainement pas la Corvair. En août 1964, GM autorise le développement du projet XP-836 (ou F-Body), un concurrent direct de la Ford, qui doit être prêt pour le millésime 1967. Cela signifie que les ingénieurs et les stylistes ont à peine deux ans devant eux.
Le projet F doit également rivaliser avec la Mustang dans le domaine du prix. Pour couper les coûts de développement, l’essentiel de l’ingénierie reposera sur la remplaçante de la Chevy II, qui doit être présentée en 1968 (un peu à la manière de Ford qui utilisera la Falcon pour développer la Mustang). Ainsi, nombre de choix techniques (et de design, nous y reviendrons) de la Camaro sont adoptés d’abord afin d’accommoder les aspects pratiques de la future compacte. La construction est monocoque avec un châssis séparé à l’avant (entièrement repensé par rapport à la première génération de Chevy II).
La suspension avant est indépendante avec des bras de longueur inégale (short/long arm) et des amortisseurs installés au milieu des bras. À l’arrière, on retrouve un essieu rigide monté sur un ressort monolame longitudinal (qui posera des problèmes lors de fortes accélérations). C’est la première fois que GM utilise un ordinateur pour calibrer la suspension. La Camaro passera aussi 11 jours en soufflerie (dans les locaux de Ling-Temco-Vought, à Dallas au Texas).
Durant les essais routiers, le cabriolet développera des vibrations parasitaires. Malgré les renforts de châssis, rien n’y fera et les ingénieurs seront contraints d’installer des compensateurs harmoniques aux quatre coins (des cylindres contenant des poids montés sur ressorts baignant dans l’huile et ajustés aux fréquences indésirables), alourdissant la voiture.
C’est le studio de Hank Naga, assisté de John Schinella, qui réalise le style. Comme point de départ, il utilise le modèle de Rybicki de 1962 et la Super Nova du Salon de New York. Mais la tâche des designers n’est pas facilitée par les dimensions de l’engin (notamment la hauteur de la cloison pare-feu et la position trop reculée de l’essieu avant) pour obtenir les proportions désirées. Mitchell déclarera plus tard qu’il s’agit « d’une voiture dessinée par un comité ».
Naga était également chargé de la future Corvette 68 ainsi que de l’industrialisation de la seconde génération de Corvair. Il cherchera à créer un air de famille. Les premières maquettes en argile à l’échelle sont fabriquées en décembre 1964. Les designers souhaitent une version fastback mais il n’y avait un budget que pour le coupé et le cabriolet. Ils réaliseront aussi des maquettes de cabriolet 2 places et de familiale (à la façon de la Nomad), rien n’ira plus loin cependant.
Le design intérieur est développé par l’équipe de George Angerbach. Ce dernier, également responsable de l’habitacle de la Corvette 68, utilisera l’idée d’un tableau de bord avec deux grands compteurs pour créer une filiation avec la célèbre sportive. N’ayant plus d’espace pour l’instrumentation additionnelle des versions les plus puissantes, c’est Sue Vanderbilt qui dessinera un combiné avec trois compteurs ronds dans la console centrale (c’est encore elle qui signera le bloc à 4 cadrans rectangulaires des modèles 1968 et 1969).
Un félin ou un copain?
Les essais routiers sont finalisés durant l’hiver 1965-66. À ce moment, le projet est régulièrement appelé Panther par les designers. Certaines photos de prototypes très avancés montrent clairement ce nom sur les ailes avant. Mais l’agressivité n’est plus au goût du jour. Le livre de Ralph Nader est passé par là et Pete Estes, le directeur général de Chevrolet depuis 1965, souhaite une appellation qui commence par C, pour garder un lien avec les Corvette, Corvair, Chevy II et Chevelle. Chevette a un moment été envisagé. Finalement, la réponse viendra de Bob Lund et Ed Rollert qui, en feuilletant des dictionnaires français et espagnol, trouveront le mot « camaro » qui veut dire, entre autres, ami. Voilà un sens qui devrait plaire à Ralph.
Étonnamment, le nom de l’auto est dévoilé avant l’auto elle-même. Le 29 juin 1966, Pete Estes convoque 200 journalistes à travers le pays (dont plusieurs en téléconférence) pour annoncer la première réunion de la SEPAW (Society for the Elimination of Panthers from the Automotive World, la société pour l’élimination des panthères du monde de l’automobile), mettant ainsi fin aux rumeurs.
Il dévoile lors de cette assemblée le nom de la future concurrente de la Mustang et décrète la dissolution de la SEPAW par la même occasion. La Camaro est présentée à la presse le 12 septembre 1966 et arrive en concession le 29 septembre 1966.
Et la Firebird?
Avant qu’il ne parte pour Chevrolet, Pete Estes militait auprès de la direction de GM pour lancer un modèle sport à deux places basé sur le concept Banshee XP-833. Son remplaçant, John DeLorean, en fera de même. Irrité, Ed Cole, vice-président exécutif de GM, dira à ce dernier en mars 1966 : « Vous pouvez prendre la Camaro et en faire une Pontiac. Fin de la discussion! ».
Pas question pour DeLorean de simplement commercialiser une Chevrolet rebadgée. Il obtiendra un report de 5 mois et en profitera pour faire redessiner l’avant et l’arrière, retravailler les suspensions (notamment à l’arrière), installer des mécaniques et transmissions Pontiac ainsi que pour rehausser l’équipement (sièges baquets de série). Lancée en février 1967, la Firebird aura pour rôle de concurrencer la nouvelle Mercury Cougar, version plus cossue de la Mustang.
La bataille commence
La Camaro est bien accueillie par la presse et par le public. La gamme est complète : coupé 2 portes ou cabriolet, choix parmi 5 moteurs (6 cylindres 3,8 litres de 140 chevaux; 6 cylindres 4,1 litres de 155 chevaux; V8 5,4 litres de 210 ou 275 chevaux ou le nouveau V8 5,7 litres de 295 chevaux). Les possibilités de personnalisation sont, comme avec la Mustang, extrêmement nombreuses. Suivra la sportive Z/28 avec son rageur 302 pc (4,9 litres) donné pour 290 chevaux (plus proche de 400 chevaux dans la réalité).
Lors de ses trois années de commercialisation, la première génération de Camaro/Firebird connaîtra de bonnes ventes mais n’arrivera pas à détrôner la paire Mustang/Cougar, comme vous pouvez le constater dans le tableau de production ci-dessous.
Ford Mustang |
Mercury Cougar |
Plymouth Barracuda |
Chevrolet Camaro |
Pontiac Firebird |
|
1964 |
126 538 |
23 443 |
|||
1965 |
559 451 |
64 596 |
|||
1966 |
607 568 |
38 029 |
|||
1967 |
472 121 |
150 893 |
62 534 |
220 906 |
82 560 |
1968 |
317 148 |
113 726 |
45 412 |
235 151 |
107 112 |
1969 |
299 824 |
100 069 |
31 987 |
230 799 |
87 708 |
Total |
2 382 650 |
364 688 |
266 001 |
686 856 |
277 380 |
Elle atteindra finalement la plus haute marche du podium en 1977 avec 218 853 exemplaires produits contre 153 173 pour la Ford, exploit qu’elle reproduira à plusieurs reprises entre 1978 et 1991. La Camaro n’est peut-être pas le ponycar original, mais elle a su faire rêver des millions d’amateurs à travers plusieurs décennies. Alors, finalement, arriver le premier, quelle importance…
Aparté : la Camaro 001
Peu de modèles ont connu la chance d’avoir leur tout premier exemplaire de production conservé. La première Camaro a été construite le 17 mai 1966 à l’usine de Norwood, en Ohio. Elle est la première d’une série de 49 exemplaires de préproduction. Elle est dotée du 6 cylindres 3,8 litres de base, d’une boîte manuelle à 3 rapports avec levier à la colonne, d’une radio et de ceintures de sécurité de luxe. Elle a été peinte en Granada Gold avec un intérieur coordonné.
Cette auto a été envoyée au centre technique de GM pour la réalisation de films promotionnels puis a fait le tour des concessions pour le lancement commercial. Ensuite, elle est restée dans la salle d’exposition de R.T. Ayers High Performance Chevrolet à Yukon, dans l’Oklahoma, avant de changer plusieurs fois de propriétaire et de tranquillement disparaître. Ce n’est qu’en 2009 qu’elle refait surface après de longues recherches. Dave Hanna a passé deux ans à la restaurer (elle en avait bien besoin). Aujourd’hui, elle est considérée comme un trésor historique. En même temps, elle est déjà peinte en or…