Plymouth Barracuda 1967-69 : refaire les mêmes erreurs

Publié le 20 janvier 2024 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

La première génération de Barracuda n’a réussi à faire que quelques éclaboussures sur le marché face au tourbillon qu’a engendré la Ford Mustang. Est-ce que vous pensez que les dirigeants de Chrysler auront compris leur leçon pour la seconde?

Au début des années 60, les planificateurs de plusieurs marques automobiles anticipent la venue de nouveaux acheteurs sur le marché : les baby-boomers. Pour eux, plus question de bonnes grosses berlines débordant de chrome. Il va falloir sortir quelque chose d’un peu plus excitant. En réponse, Plymouth présente le 1er avril la première génération de Barracuda. La marque arrive la première sur le marché mais le répit sera de courte durée : 16 jours exactement. Le 17 avril, Ford présente la Mustang et plus rien ne sera jamais comme avant. Au cours des deux premiers millésimes et demi, Ford produira 1 293 557 exemplaires de sa pony car. En comparaison, Plymouth en fabriquera moins d’un dixième (126 068 exemplaires).

La faute en est à un style à l’avant trop proche de la compacte Valiant qui lui sert de base technique, la disponibilité d’une seule carrosserie et un choix de moteurs un peu limité. Si la Barracuda est pratique avec sa banquette rabattable et son espace de chargement capable d’accueillir des objets de 7 pieds de long, la Mustang, elle, est cool. À cette époque, c’est ce qui compte le plus.

Photo: Plymouth

Copie revue

Pour 1967, la Plymouth Valiant doit être redessinée. Elle va reposer sur un empattement de 108 pouces (2,74 m) au lieu de 106. Mais cette fois-ci, la Valiant et la Barracuda sont développées en même temps, ce qui permet de penser aux besoins de cette dernière. Le berceau avant bénéficie de rails plus écartés pour pouvoir accueillir de plus gros moteurs (la voie avant augmente de 4 cm).

Côté style, les designers ont un plus large mandat : réaliser trois carrosseries (coupé, cabriolet et fastback) pour entrer directement en concurrence avec la Mustang. Le travail débute à l’automne 1964. C’est le fastback qui est dessiné en premier. Plusieurs voies sont explorées : un coupé ressemblant un peu à la Dodge Charger 1966 mais avec une bulle en verre à l’arrière, un autre mélangeant l’avant d’une Valiant 1967 non modifiée avec un arrière similaire à celui des Barracuda 1964-66. Mais c’est un projet réalisé par John Herlitz qui retient l’attention de Richard Macadam, directeur du studio de design Plymouth (et qui deviendra vice-président responsable du design de Chrysler de 1973 à 1980).

Baptisé Barracuda SX, il s’agit d’un coupé qui reposerait une plateforme spécifique avec des proportions semblables à celles de la Mustang (capot long) et un arrière joliment sculpté. Le style est raffiné au cours de l’hiver et la Barracuda SX est montrée à la direction de Chrysler. Celle-ci la rejettera pour cause de coûts de développement trop élevés. Une décision qui viendra hanter les responsables de la compagnie plus tard. Finalement, la Barracuda SX est montrée dans quelques salons comme véhicule concept et rien n’ira plus loin.

C’est au printemps 1965 qu’émergent les lignes finales. L’avant (conçu par John Samsen) est similaire à celui de la Valiant (mais pas identique) avec une calandre spécifique. L’arrière (réalisé par Milt Antonick, qui avait déjà dessiné le logo Barracuda) reçoit des lignes fluides avec un pilier C imposant et un bandeau reliant les feux en forme de U. C’est également Antonick qui viendra avec l’idée du bouchon de remplissage d’essence de type course. C’est au final un style qui possède une personnalité propre… même si l’on devine encore facilement les dessous de Valiant. Ce qui est aussi le cas à l’intérieur.

Photo: Plymouth

À partir de là, les designers vont développer les lignes du coupé et du cabriolet. Et il faut dire qu’ils vont avoir la main moins heureuse : le coffre a l’air interminable et le toit du coupé est d’abord pensé pour dégager suffisamment d’espace pour la tête des passagers arrière.

Photo: Plymouth

Bonne dernière…

Les Plymouth 1967 sont présentées le 29 septembre 1966 mais les Barracuda n’arriveront en concessions que le 25 novembre (sauf les cabriolets qui ne seront disponibles qu’en décembre). À signaler que le fastback prend parfois le nom de Barracuda Sport. Les autos reposent sur une construction monocoque avec des suspensions à barre de torsion à l’avant et des ressorts à lames à l’arrière. Les freins sont à tambour aux quatre roues mais des freins à disque à l’avant sont proposés en option. Il y a deux modèles de base : l’un avec le traditionnel 6 cylindres penché de 225 pc (3,7 litres) et l’autre avec le V8 de 273 pc (4,5 litres). Deux autres V8 sont disponibles contre supplément (voir tableau des moteurs ci-dessous). La boîte de vitesses de série est une manuelle à 3 rapports mais une manuelle 4 rapports est également proposée (pas sur le 6 cylindres) ainsi qu’une automatique TorqueFlite à 3 rapports.

Moteurs canadiens

1967

1968

1969

L6 225 pc

S (145 ch, 215 lb-pi)

S (145 ch, 215 lb-pi)

S (145 ch, 215 lb-pi)

V8 273 pc 2 corps

S (180 ch, 260 lb-pi)

V8 273 pc 4 corps

O (235 ch, 280 lb-pi)

V8 318 pc

S (230 ch, 340 lb-pi)

S (230 ch, 340 lb-pi)

V8 340 pc

O (275 ch, 340 lb-pi)

O (275 ch, 340 lb-pi)

V8 383 pc

O (280 ch, 400 lb-pi)

O (300 ch, 400 lb-pi)

O (330 ch, 410 lb-pi)

V8 440 pc

O (375 ch, 480 lb-pi)

Prix de base (USD / CAD)

2 449 / 2 951

2 605 / 3 107

2 674 / 3 174

L’équipement de série comprend les essuie-glaces à deux vitesses, le chauffage et le dégivrage, la banquette avant en vinyle (sauf le cabriolet qui vient avec des sièges baquets). Le cabriolet bénéficie d’une capote électrique et le fastback d’une banquette arrière rabattable pour installer des objets allant jusqu’à 7 pieds (10 pieds avec le siège passager avant replié). Par rapport à 1964-66, l’aspect utilitaire est encore présent dans les brochures mais nettement moins mis en avant. La liste des options est généreuse : sièges baquets, volant sport en similibois, direction assistée, enjoliveurs de luxe ou sport, compte-tours, ensemble décoration, ensemble remorquage, vitres teintées, climatisation, radio AM, rétroviseur avec télécommande, suspension renforcée et différentiel à glissement limité (allant de 2,93:1 à 3,91:1).

Deux groupes de performance, baptisés Formula S (Formule S au Québec) sont également offerts. L’un avec le V8 273 pc de 235 chevaux, les pneus à filet rouge montés sur des roues de 14 pouces, la suspension renforcée et la barre antiroulis avant. La Formula S-383 comprend le 383 pc (6,3 litres) et ajoute en plus l’échappement double et (heureusement) les freins à disque ainsi que des logos spécifiques. Il faut alors ajouter les options obligatoires que sont la boîte manuelle 4 rapports ou l’automatique, les sièges baquets et la console centrale. Mais, malgré l’élargissement du compartiment moteur, il ne reste alors plus de place pour le compresseur de climatisation ou le boîtier de direction assistée, si bien que ces deux options ne sont pas disponibles. Les Formula S connaîtront un certain succès auprès des acheteurs : 5 352 exemplaires avec le 273 et 1 841 avec le 383 seront produits.

Photo: Plymouth

Sur le papier, la Barracuda offre quelques arguments. Mais la Mustang reste encore totalement dominante et, pour bien arranger les choses, de nouvelles concurrentes apparaissent pour le millésime 1967 : Chevrolet Camaro, Pontiac Firebird et Mercury Cougar. La Camaro, sa rivale principale (les Firebird et Cougar sont plus chères) réalise un excellent démarrage (voir tableau des chiffres de production ci-dessous). Alors certes, les ventes de Barracuda augmentent de 64% par rapport à 1966, mais la Plymouth reste malheureusement bonne dernière du segment. Et ça ne va pas s’arranger pour 1968…

Hemi!

La déferlante des pony cars est telle que même AMC, avec des moyens pourtant limités, présente son alternative dans le segment : la Javelin. Même cette dernière parviendra à mieux se vendre que la Barracuda! La production de la Plymouth baisse de 27% (à sa décharge, l’effet nouveauté commence à se tasser et même l’indétrônable Mustang enregistre une baisse de production de 33%). Pourtant, la marque a continué de faire évoluer son modèle.

Le 273 pc est remplacé par un nouveau 318 pc (5,2 litres) de la série LA. Quant au 273 pc à 4 corps, c’est un 340 pc très vitaminé qui prend sa place. Grâce à de plus grosses soupapes, des collecteurs plus libres, un nouveau carburateur et des arbres à cames plus agressifs (spécifiques dans le cas de la manuelle ou de l’automatique, mais juste pour 1968), le bloc développé par l’équipe de Tom Hoover aime prendre des tours. Sa puissance maximale donnée (de façon conservatrice) à 275 chevaux est atteinte à 5 000 tr/min. Disponible avec le groupe Formula S, il sera installé sous 3 917 capots. Le 383 pc est également retravaillé (plus grosses soupapes, nouveaux collecteurs et nouveaux arbres à cames) et voit sa puissance monter à 300 chevaux. La Formula S-383 sera produite à 1 279 exemplaires.

Photo: Plymouth

Esthétiquement, la grille avant adopte une nouvelle texture et le bandeau arrière est inversé (rouge au centre et gris à l’extérieur). Les sièges baquets sont dorénavant de série (mais la banquette est encore disponible gratuitement). Un nouvel ensemble « Décor » apparaît, tout comme la radio AM/FM et le lecteur de cassettes 8 pistes.

La plus bestiale et la plus rare des Barracuda est dédiée exclusivement aux pistes de drag et a été fabriquée aux alentours de 75 exemplaires. Finies chez Hurst Performance, elles reçoivent des ailes en fibre de verre, des portes en acier plus léger, des vitres en Lexan et un intérieur totalement dépouillé. Sous le capot, également en fibre de verre, se cache le fameux Hemi 426 pc (7,0 litres) développant (au bas mot) 425 chevaux. Grâce à tout cela, les Barracuda pouvaient alors passer sous la barre des 11 secondes sur le quart de mille. Mais essayez d’en trouver une aujourd’hui…

Une bête indomptable

La principale nouveauté de 1969 est l’apparition du groupe optionnel ’Cuda cherchant à donner un frisson sportif à moindre coût (un peu dans l’esprit de la Road Runner 1968). On peut les distinguer grâce à leurs grilles avant noires, des bandes décoratives noires sur le capot, un autocollant ’Cuda avec la cylindrée du moteur et deux prises d’air additionnelles sur le capot (non fonctionnelles). Elles comprennent également la suspension renforcée, les échappements doubles, la banquette avant en vinyle, la boîte manuelle 4 rapports avec levier Hurst. Initialement, l’option est disponible avec les V8 340 et 383 pc (qui, en passant, reçoit de nouveaux arbres à cames et peut enfin bénéficier de la direction assistée) mais en avril 1969, un nouveau bloc est ajouté : le 440 pc (7,2 litres) de 375 chevaux.

Son apparition permet à Plymouth de revendiquer le titre du plus gros moteur installé dans un pony car à ce moment-là. Si le 383 rentrait au chausse-pied, celui-ci rentre au forceps. Toujours pas question de climatisation ou de direction assistée, mais il n’est pas non plus possible d’installer l’assistance de freins ou la boîte manuelle. Résultat, la ’Cuda 440 doit se contenter de tambours non assistés à l’avant. On peut facilement imaginer les sueurs froides à l’abord d’un virage. D’autant que le 440 pc pèse son poids et rend l’auto sévèrement sous-vireuse. À réserver à la piste de drag! Sur les 1 467 ’Cuda produites, seules 340 seront des 440. En comparaison, la Formula S est fabriquée à 2 557 exemplaires incluant 1 839 340 et 718 383.

Photo: Plymouth

Autre nouveauté importante, et rare, le toit « Mod Top ». En plus du nouveau toit en vinyle traditionnel en option, il était possible de commander un dessin à fleurs très dans l’air du temps (pensez Woodstock…) en couleur jaune ou vert et noir. Le motif peut être rappelé dans l’habitacle, contre un supplément, sur les centres des sièges et dans les contre-portes. Le matériau était fourni par la société Toscany Company, basée à New York et spécialisée dans les rideaux de douche et les nappes en vinyle. Il semblerait que seulement 937 Barracuda aient reçu cette option.

Photo: Plymouth

Évidemment, la gamme entière bénéficie de quelques changements : nouvelle calandre avec des grilles à motif carré, nouveau capot avec une arête centrale plus marquée, panneau arrière argenté entre les feux plus larges intégrant le nom du modèle en lettres séparées. Mais tout cela ne suffit pas. Les ventes baissent encore de 30% et, de nouveau, la Barracuda est bonne dernière de son segment.

Barracuda fastback

Barracuda coupé

Barracuda cabriolet

Total Barracuda

Ford Mustang

Chevrolet Camaro

AMC Javelin

1964

23 443

23 443

126 538

1965

64 596

64 596

559 451

1966

38 029

38 029

607 568

1967

30 110

28 196

4 228

62 534

472 121

220 906

1968

22 575

19 997

2 840

45 412

317 148

235 151

55 124

1969

17 778

12 757

1 442

31 977

299 824

230 799

40 675

Total

196 531

60 950

8 510

265 991

Au final, la seconde génération de Barracuda a été produite à 139 923 exemplaires alors que sur la même période Ford sortait 1 089 093 Mustang et Chevrolet 686 856 Camaro. Les raisons de cet échec sont probablement dues à un manque d’image du modèle suite à une première génération discrète mais surtout à une filiation encore trop évidente avec la Valiant. Qui pourrait deviner que sous les lignes de la Mustang se cache une compacte Falcon ou bien que sous celles de la Camaro se dissimule une Chevy II Nova?

Photo: Plymouth

Alors pour la prochaine fois, les dirigeants de Chrysler ne referont plus les mêmes erreurs et vont changer leur fusil d’épaule en utilisant une plateforme capable de recevoir confortablement les plus gros moteurs de la compagnie et avec des lignes complètement exclusives. Mais est-ce que cela suffira pour que la Barracuda devienne enfin un succès commercial?

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de la Dodge Charger 1971

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