Concept Dodge Tomahawk : la mauto délirante!

Publié le 12 octobre 2024 dans Voitures anciennes par Hugues Gonnot

Lundi 6 janvier 2003, la grand-messe de l’automobile en Amérique du Nord, le Salon de Detroit, bat son plein sous les flashs de la presse du monde entier. C’est une grosse édition avec des nouveautés dans tous les coins. Mais personne n’était prêt à ce qu’avait préparé Dodge!

Côté concepts, il n’y en avait que pour Dodge chez Chrysler en 2003. Sur son immense stand, la marque vient déjà de présenter la Kahuna (une minifourgonnette compacte inspirée par le surf et la Californie) et l’Avenger (qui préfigure déjà, un peu, la Dodge Avenger de 2008).

Photo: Chrysler

Arrive alors Wolfgang Bernhard, le directeur de l’exploitation de Chrysler, sur l’engin le plus improbable qu’il soit possible d’imaginer. En blouson noir, le beau gosse de Chrysler chevauche ce qui est essentiellement un moteur V10 de Viper avec 4 roues aux extrémités, une espèce d’hybride entre auto et moto. Dans l’assemblée, la claque est totale (y compris pour votre serviteur qui était présent ce jour-là). Chrysler avait réussi, encore une fois, à voler la vedette. Mais comment en sommes-nous arrivés là?

Photo: Chrysler

Avec des si, on mettrait un moteur de Viper dans une moto

Tout commence par la discussion de deux employés de Chrysler : Bob Schroeder et Dave Chyz. Ils se demandent à quoi ressemblerait une moto propulsée par un moteur de Viper. L’utilisation d’un moteur de voiture dans une moto n’est pas nouvelle. Par exemple, la compagnie Boss Hoss Cycle installe depuis 1990 des V8 d’origine Chevrolet dans ses créations. Très vite, ils proposent leur idée à Freeman Thomas, alors chargé des studios de design avancés de la firme. Thomas, entré chez Chrysler en 1999, ne déteste pas repousser les limites. Chez Volkswagen, avec J Mays, il a travaillé sur deux concepts importants pour la compagnie allemande : la Concept 1 de 1994 (qui allait ultimement devenir la New Beetle) et l’Audi TT de 1995 (qui allait devenir… l’Audi TT de 1999). Il confie le projet au designer Mark Walters. « Ma première réaction à cette idée a été que cela ne semblait pas être l’utilisation la plus intelligente de la puissance. Mais je devais l’admettre : c’est un projet cool » expliquera-t-il.

Photo: Chrysler

C’est Walters qui suggère d’utiliser 4 roues au lieu de 2. Les raisons sont multiples. Du point de vue du design, les 4 roues remplissent mieux l’espace, spécialement avec un moteur aussi gros, et cela donne une allure exclusive, à la manière de la moto du film Tron (1982), inspiré des jeux vidéo de l’époque. Du point de vue de l’ingénierie, cela permet de rendre le véhicule plus stable et de mieux faire passer la puissance au sol en augmentant la surface de contact. Après quelques semaines derrière la table à dessin, il fait une présentation en mai 2002 à la haute direction de Chrysler : Dieter Zetsche, PDG, et le susnommé Wolfgang Bernhard. Les deux adorent le projet et donnent le feu vert immédiat pour un dévoilement au Salon de Detroit 2003.

Photo: Chrysler

Faire son numéro!

Depuis que le Salon de Detroit a pris un statut international en 1989, il a été le théâtre de nombreux coups d’éclat. Chaque année, le but de chacun des trois grands constructeurs locaux est de voler la vedette aux deux autres. Et à ce jeu-là, Chrysler en connaît un rayon. Grâce à Tom Gale, les concepts de Chrysler sont parmi les plus réussis dans les années 90 et la compagnie est habituée aux présentations spectaculaires. C’est au volant d’un Jeep Grand Cherokee que Bob Lutz (avec le maire de Detroit, Coleman Young, comme passager) défonce les portes vitrées du Cobo Hall en 1992. La cascade sera refaite en 2006 avec un Jeep Wrangler Rubicon 2007. En 1995, c’est une minifourgonnette de nouvelle génération, conduite par un sosie de Kermit la grenouille, qui saute au-dessus d’un faux étang pour montrer que Chrysler dépassait une nouvelle fois la concurrence (leapfrogging en anglais). En 2006, les journalistes se retrouveront sous une tornade de confettis pendant plusieurs minutes pour simuler une tempête de neige lors de la présentation du VUS Chrysler Aspen (vous souvenez-vous du Chrysler Aspen?). Les équipes de nettoyage du Cobo Hall en auront pour plusieurs jours à tout balayer. En 2008, ce sont 120 têtes de bétail qui défileront dans les rues de la ville pour annoncer l’arrivée du nouveau Ram 2009. Mais tout ça, c’était avant la crise des subprimes… et la baisse de popularité des salons… et la reprise de Chrysler par Fiat… et la création de Stellantis…

Photo: Chrysler

Du rêve à la réalité

Bref, revenons à mai 2002. Walters est face à un problème de taille : il lui reste environ 8 mois avant la date butoir alors que ce genre de projet en prend généralement 15. Pour gagner du temps, le designer va s’installer directement dans les ateliers de fabrication. Tout reste à inventer avec la contrainte supplémentaire que le concept doit être roulant. Chrysler s’associe à RM Motorsports, un garage spécialisé dans les véhicules de course basé à Wixom dans le Michigan. Ce sont eux qui vont suggérer l’utilisation d’une lubrification par carter sec au lieu de la lubrification classique afin d’abaisser le moteur au plus près de la route et, par conséquent, le centre de gravité.

Photo: Chrysler

Le moteur est donc le centre de l’attention. Il s’agit d’un V10 de 8,3 litres provenant de la seconde génération de Dodge Viper. Il développe 500 chevaux à 5 600 tr/min et 525 lb-pi de couple à 4 200 tr/min. L’un des principaux problèmes est son refroidissement. Impossible de glisser un radiateur de voiture dans un tel ensemble sans que cela ait l’air ridicule. L’équipe de RM a installé deux radiateurs de 45 centimètres par 20 dans le V du moteur et une arrivée d’air forcée pour arriver à leur fin. La puissance est acheminée aux roues arrière par une boîte de vitesses à 2 rapports en aluminium construite sur mesure. Les suspensions sont développées par RM et leur dessin sera breveté. Leur configuration permet (théoriquement) une inclinaison de la mauto en virage allant jusqu’à 45 degrés. Chaque roue de 20 pouces (P120/60R-20 à l’avant et P150/50R-20 à l’arrière) est dotée d’un disque de frein monté directement dans la jante. À l’avant, elles reçoivent 2 étriers à 4 pistons chacune (soit 16 pistons au total) alors qu’un seul étrier à 4 pistons est installé sur chaque roue arrière (8 pistons au total tout de même). Tout ce qui se voit ou presque est en aluminium usiné dans la masse.

Photo: Chrysler

En travaillant avec de nombreux fournisseurs extérieurs, Walters et RM parviennent à respecter les délais et livrer un engin fonctionnel pour sa présentation. Le produit final repose sur un empattement de 193 cm, mesure 259 cm de long et pèse 681 kilos! N’importe quel motard vous dira qu’il est impossible de relever un tel engin s’il se renverse. Mais ici, pas de problèmes : la suspension arrière est dotée d’un système de blocage qui lui permet de rester debout à l’arrêt et de se passer d’une béquille. Là où l’on voit la limite du projet, c’est dans la taille du réservoir d’essence : seulement 11,35 litres. Quand on sait qu’une Viper de 2003 consomme en moyenne 18,5 L/100 km, on comprend que l’on n’ira pas très loin (certes, la Viper pèse 1 526 kilos).

Une baffe, une claque, une gifle

Le fameux 6 janvier 2003, les gens de Chrysler jubilent. Leur objectif a été atteint. Trevor Creed, vice-président responsable du design, explique : « C’est une gifle audacieuse à la médiocrité. La Tomahawk est un parfait exemple de ce que les esprits créatifs peuvent faire lorsqu’on leur donne la possibilité de créer librement. C’est une pure sculpture mécanique et une joyeuse célébration du talent artistique et de l’émotion du design ». Dans son premier communiqué de presse, Dodge va plus loin et annonce une vitesse maximale « potentielle » de 420 mph (688 km/h). Dans les communiqués suivants, la marque parlera plutôt d’une vitesse estimée de plus de 300 mph (490 km/h) et un 0 à 60 mph estimé à 2,5 secondes. De tels chiffres paraissent cependant parfaitement irréalistes. La marque se base sur la puissance et le rapport de pont final sans tenir compte de la résistance de l’air, de la résistance au roulement, de problèmes de stabilité et autres. Dans la réalité, personne n’est allé chercher la vitesse maximale… trop dangereux. Il semblerait que la Tomahawk soit montée jusqu’à environ 160 km/h lors d’essais.

Photo: Chrysler

Pour attirer l’attention de la presse et des visiteurs, les concepts ne manquent pas au Salon de l’auto de Detroit 2003 mais deux vont vraiment se démarquer : la Cadillac Sixteen et son V16 de 13,6 litres développant 1000 chevaux ainsi que la Tomahawk. La réponse est telle que plusieurs acheteurs potentiels contactent Chrysler. La compagnie ne donne pas suite, le projet est trop compliqué et ne fait pas partie de ses priorités.

Pourtant, on voit apparaître en page 61 du catalogue de Noël 2003 de la maison Neiman Marcus la Tomahawk offerte au prix de 555 000 USD. Il s’agit d’une réplique de qualité, mais le catalogue précise qu’elle n’est pas destinée à un usage routier ni même à être conduite. Ce que le distributeur propose ici, uniquement à titre d’agent de publicité, ce sont des engins pas totalement fonctionnels construits par RM Motorsports. Au total, neuf véhicules auraient été produits entre 2003 et 2006 (le conditionnel s’applique dans ce cas car certaines sources diffèrent).

Le concept a été critiqué par des motards comme étant une vision erronée du monde de la moto par une industrie automobile à court d’idées. Certes, la mise au point de l’engin était loin d’être finie (si même elle était possible) et les chiffres de performance annoncés étaient franchement dingues. Quoi qu’il en soit, plus de 20 ans après sa présentation, la Tomahawk fait encore rêver et parler d’elle. Pour les gens de Chrysler, c’est « Mission réussie »!

À voir aussi : Antoine Joubert présente la brochure de la Dodge Viper 1992

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