Buick Riviera 1966-70 : le difficile second acte
Buick a un problème pour sa deuxième génération de Riviera : comment remplacer un design considéré comme l’un des plus réussis de l’après Deuxième Guerre mondiale? D’autant que différentes contraintes internes vont venir compliquer les choses encore un peu plus…
Alors que Buick utilise le nom de Riviera depuis 1949, le premier coupé Riviera comme série à part entière est présenté en 1963 en tant que réponse à la Thunderbird 1958. Le directeur général de la marque Ford, Robert McNamara, avait exigé que chaque ligne de modèle soit rentable, y compris la Thunderbird, lancée en 1955. Pour cela, le modèle va passer de deux à quatre places. Ce changement va créer la catégorie des personnal luxury coupes. Les ventes de T-Bird vont exploser. Aussi étonnant que cela puisse paraître, General Motors n’a rien pour répliquer à Ford jusqu’en 1963.
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La Riviera est partie d’une étude de style de cabriolet réalisée en 1959 par Ned Nickels sous la direction de Bill Mitchell. C’est ce dernier qui suggèrera de la transformer en coupé en y ajoutant un toit inspiré par Rolls-Royce. Mitchell, qui aura pourtant une carrière très prolifique jusqu’à son départ de GM en 1977, déclarera qu’il s’agit là de l’un des designs préférés. La reconnaissance viendra également de Sir William Lyons, fondateur de Jaguar, et de Sergio Pininfarina, le célèbre carrossier italien. On a vu pire comme références…
Après un concours interne pour savoir qui héritera de ce modèle après que Cadillac l’ait refusé, c’est finalement Buick qui sera choisie, la marque ayant grandement besoin d’un véhicule image. Cette première génération, produite de 1963 à 1965, connaîtra un joli succès commercial avec 112 544 exemplaires construits (voir tableau en fin de texte). La Thunderbird avait enfin une concurrente sérieuse. Pour Buick, il fallait maintenant enfoncer le clou.
Similaires mais différentes…
En parallèle de tout cela, GM va commencer à expérimenter sur la traction avant à partir de 1957 et démarre le développement de la plateforme E à partir de 1962. Ce programme est destiné à concurrencer la Thunderbird et l’idée est d’utiliser la traction avant comme un facteur distinctif, un élément important pour les acheteurs de haut de gamme, puisque personne ne fait alors appel à ce type de train roulant en Amérique du Nord. Mais cela est un projet ambitieux et donc risqué. Pour amortir les coûts, la direction de GM décide que Buick, avec la Riviera, Oldsmobile, avec la Toronado, et Cadillac, avec l’Eldorado, seront impliquées. Cela veut dire partage de l’UPP (pour Unitized Power Package, nom de l’ensemble moteur/boîte de vitesses) et de différents éléments de carrosserie, chaque marque conservant ses propres moteurs. Buick participera à la conception de l’UPP en travaillant sur le différentiel.
Mais les premiers essais du châssis traction avant ne vont pas bien se passer et le directeur général de Buick, Edward Rollert, va plaider le maintien à la propulsion pour la Riviera auprès d’Ed Cole, le vice-président responsable du groupe autos/camions de GM, et obtiendra gain de cause. À l’époque, chaque division possédait beaucoup plus d’autonomie qu’aujourd’hui et en voici un bon exemple. Ainsi, la seconde génération de Riviera reprendra le châssis séparé en X de la première (sur un empattement allongé de 2,97 mètres à 3,02) alors que la Toronado fera appel à une construction semi-monocoque avec châssis séparé à l’avant.
Par contre, le développement du style des Riviera et Toronado se fera de manière parallèle et les deux autos auront de nombreux éléments de carrosserie en commun, notamment au niveau de ce qui ne se voit pas : cloison pare-feu, intérieur de portes, éléments de plancher, toit, vitrage… Et c’est pour cela que même si elles ne partagent rien en matière de châssis, les Riviera, Toronado et Eldorado sont tout de même référencées sous l’unique désignation E-Body.
Les designers, sous la direction de David R. Holls, vont dans un premier temps tenter de faire évoluer les lignes du modèle 1963-65 mais vont plutôt choisir de s’éloigner des arêtes tranchées pour aller vers des courbes plus douces. La calandre en W, avec les feux de position et les clignotants dans les ailes, est un élément de continuité mais les phares principaux sont dissimulés sous la grille. La Riviera 1966 utilise peu d’ornementation, ce qui lui donne une certaine élégance, voire une élégance certaine. Au final, elle sera l’un des modèles préférés de Holls, ce qui n’est pas rien car celui-ci aura travaillé au cours de sa longue carrière chez GM (39 ans!) sur des autos mythiques comme la Cadillac 1959 (les immenses ailerons arrière, c’est lui), les Chevrolet Corvette 1963 et 1968 ou la Camaro 1970 ½.
À l’intérieur, il n’y a plus de console centrale de série parce que certains clients se sont sentis à l’étroit et se sont plaints. Une banquette avec dossiers séparés vient donc en équipement de base, incluant ou pas un accoudoir. Heureusement, les sièges baquets et la fameuse console sont disponibles en option. L’instrumentation comprend un compteur de vitesse rotatif. On remarque aussi l’absence des petites vitres de ventilation sur le devant des portes, une tendance qui va aller en s’amplifiant à Detroit avec les années.
Une classe à part
De série, la Riviera est équipée du V8 Wildcat 465 qui fait… 425 pouces cubes de cylindrée (7 litres). Le 465 fait plutôt référence au couple disponible (465 lb-pi à 2 800 tr/min). La puissance est de 340 chevaux à 4 400 tr/min. Une version à deux carburateurs 4 corps de ce V8 est offerte contre un supplément. Le couple reste le même et la puissance monte à 360 chevaux, au même régime. Dans les deux cas, la seule boîte installée est une automatique à 3 rapports Super Turbine.
Pour les 4 424 USD/6 010 CAD que la Riviera demande, elle vient de série avec direction et freins assistés (4 tambours), échappement double, colonne de direction inclinable, horloge électrique, coffre et boîte à gants éclairés, roues de 15 pouces avec enjoliveurs DeLuxe et essuie-glace à 2 vitesses. Les options sont tout à fait typiques de l’époque : radios, ouverture électrique du coffre, lampes de virages, dégivrage arrière électrique, climatisation, sièges électriques selon 4 ou 6 directions, vitres électriques, régulateur de vitesse, vitres teintées et… appuie-têtes (la sécurité est encore une option en 1966).
L’ensemble Gran Sport, alias GS et disponible depuis l’année précédente, continue d’être offert par Buick. Il comprend la boîte à air chromée, une suspension renforcée, un différentiel à glissement limité avec un rapport de pont de 3,23:1 (3,07:1 de série) et des monogrammes. Un boîtier de direction plus direct (ratio de 15:1) peut également être installé. Par contre, pour obtenir la plus sportive des Riviera, il faut encore payer un supplément pour le plus gros moteur. L'option GS sera disponible tout au long de la carrière de la seconde génération et connaîtra des chiffres de ventes respectables : 5 718 en 1966, 4 837 en 1967, 5 337 en 1968, 5 272 en 1969 et 3 505 en 1970.
La Riviera 1966 est bien accueillie par la presse. Dans son numéro de février 1966, le magazine Road & Track conclut son essai d’un modèle Gran Sport par ces mots : « Avec tous les extras et options, notre modèle d’essai coûtait environ 6 000 $, ce qui commence à compter pour une voiture. Mais compte tenu de tout ce que vous obtenez en termes de taille, de vitesse, de puissance, de confort, de luxe, de prestige et, oui, même de comportement routier, la Riviera Gran Sport doit être dans une classe à part. » Les clients lui font également un très bon accueil et la production progresse de 31,1% par rapport à 1965. La Riviera se vend mieux que la Toronado, ce qui confirme que Buick a bien fait de rester à la propulsion (spécialement dans les années suivantes, voir tableau de production en fin de texte).
Montée en puissance
À part des retouches sur la grille et les feux arrière, il ne faut pas aller chercher les gros changements du côté esthétique pour le millésime 1967. C’est plutôt sous le capot que cela se passe. Alors que la taille des moteurs ne cesse d’augmenter à l’époque, le V8 « Nailhead » de Buick, présenté en 1953 dans une cylindrée de 322 pc (5,3 litres), avait atteint la limite de ses capacités. La marque avait besoin d’une nouvelle génération pour continuer à suivre la course à l’armement. D’une cylindrée de 430 pc (7 litres), le nouveau bloc développe 360 chevaux à 5 000 tr/min et 475 lb-pi à 3 200 tr/min grâce à un carburateur 4 corps Rochester 4MV. Le V8 optionnel en 1966 n’est logiquement plus offert. Parmi les nouvelles options, on trouve des freins à disque l’avant et le rapport de pont de la GS passe à 3,42:1. La production souffre un peu (-5,6%) mais ceci est probablement dû au lancement de la nouvelle Thunderbird.
Les Riviera 1968 reçoivent un tout nouvel avant avec un pare-chocs enveloppant et une calandre divisée en deux parties. Pas forcément plus gracieux, il augmente la longueur de la voiture de 10 cm (5,47 m). Les changements cosmétiques continuent à l’intérieur avec une planche de bord, partagée avec les modèles pleine grandeur de la marque. Ces modifications limitées semblent pourtant plaire à la clientèle avec une production qui repart à la hausse (+15,2%).
Les différences esthétiques entre les millésimes 1968 et 1969 sont très réduites (dessin de la grille, clignotants, nouveau volant) et c’est finalement du côté des trains roulants qu’il faut aller chercher du neuf. La Riviera bénéficie d’une nouvelle direction assistée à rapport variable ainsi que d’une géométrie de suspension révisée, baptisée Accu-Drive. En modifiant le carrossage des roues, les ingénieurs de Buick ont réussi à obtenir une plus grande stabilité en ligne droite, spécialement face à de forts vents latéraux. Pour la première fois de son histoire, la Riviera va dépasser le cap des 50 000 exemplaires et même se permettre de passer devant la Thunderbird.
Pour sa dernière année de présence sur le marché, la seconde génération de Riviera profite d’un restylage significatif : nouveau pare-chocs avant avec phares apparents et grille redessinée, nouveau pare-chocs arrière avec plaque d’immatriculation remontée et nouvelles ailes arrière pour intégrer des caches de roues, donnant un aspect plus lourd à l’auto. Sous le capot, le V8 Buick voit, comme il fallait s’y attendre, sa cylindrée passer de 430 à 455 pc (7,5 litres) pour développer 370 chevaux à 4 600 tr/min et 510 lb-pi à 2 800 tr/min. Ces gains sont malheureusement étouffés au niveau du pont arrière dont le rapport final est allongé à 2,78:1. En partie à cause d’une économie ralentie, la production baisse de 29,4%.
Buick Riviera |
Ford Thunderbird |
Pontiac Grand Prix |
Oldsmobile Toronado |
|
1963 |
40 000* |
63 313* |
72 959 |
|
1964 |
37 958 |
92 465 |
63 810 |
|
1965 |
34 586 |
74 972 |
57 881* |
|
1966 |
45 348* |
69 176 |
36 757 |
40 963* |
1967 |
42 799 |
77 956* |
42 981 |
21 790 |
1968 |
49 284 |
64 931 |
31 711 |
26 454 |
1969 |
52 872 |
49 272 |
112 486* |
28 494 |
1970 |
37 336 |
50 364 |
65 750 |
25 433 |
Total |
340 183 |
542 449 |
484 335 |
143 134 |
Total 1963-65 |
112 544 |
230 750 |
194 650 |
0 |
Total 1966-70 |
227 639 |
311 699 |
289 685 |
143 134 |
* indique un changement de génération ou un nouveau modèle
En plus d’un joli succès commercial (il faudra attendre 1984 pour que le record de production de 1969 soit battu), la seconde génération de Riviera a été très rentable pour GM grâce au partage de composants de carrosserie. C’est pour cela que l’affiliation avec les Oldsmobile Toronado et Cadillac Eldorado deviendra la norme pour les années à venir.
Mais la direction de Buick continuera de résister au passage à la traction jusqu’en 1979, époque où cette technologie n’est plus vue comme un élément de différenciation mais comme étant indispensable pour réduire le poids et les dimensions des voitures. Même si elle a cimenté l’histoire de la Riviera, la génération 1966-70 se trouve prise en sandwich dans le cœur des amateurs entre une première génération d’une classe absolue et une troisième très polarisante qui a fait couler beaucoup d’encre. Pas une situation facile…