Chevrolet Corsica et Beretta : potentiel non réalisé
Chez Chevrolet, on y croyait! C’était certain, les Corsica et Beretta allaient enfin en montrer aux véhicules japonais. Ces modèles allaient même permettre à la marque de reconquérir des parts de marché. Dix ans plus tard, le bilan était, allez soyons gentils, mitigé.
« Il s’agit de l’un des lancements les plus cruciaux de notre histoire » expliquait Thomas Staudt, directeur du marketing de Chevrolet, lors du lancement officiel des deux autos en mars 1987. Et pour rentabiliser son investissement de 1,5 milliard USD (pour le développement et la modernisation des usines), la marque va procéder à un lancement assez original.
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Soupe Alphabet
Non, nous n’allons pas explorer le contenu de votre assiette mais la nomenclature des plateformes GM dans les années 80 pour comprendre le positionnement des Corsica et Beretta. Pour cela, il faut commencer en 1980 avec l’introduction des modèles compacts X-Body traction avant (Chevrolet Citation, Pontiac Phoenix, Oldsmobile Omega et Buick Skylark) et dans lesquels GM a une confiance totale pour reprendre des parts de marché aux véhicules importés (déjà…). Le résultat sera un quasi-désastre avec un record de rappels à la clé.
En 1982, la compagnie présente les A-Body traction avant (ne pas confondre avec les A-Body propulsion présentées en 1978 et qui deviennent G-Body cette année-là) qui sont basés sur les X-Body (mêmes éléments mécaniques de base et empattement) mais plus longs, ce qui en fait des intermédiaires (Chevrolet Celebrity, Pontiac 6000, Oldsmobile Cutlass Ciera et Buick Century). Toujours en 1982, ce sont les compactes J-Body (Chevrolet Cavalier, Pontiac Sunbird, Oldsmobile Firenza, Buick Shyhawk et Cadillac Cimarron) qui arrivent en concessions. Issues d’un développement international (les J-Body seront également vendues en Amérique du Sud, Europe, Japon et Australie), elles sont plus petites que les X-Body mais en reprennent différents composants mécaniques.
Devant l’échec des X-Body, GM introduit en 1985 une nouvelle génération de compactes : les N-Body (Pontiac Grand Am/Oldsmobile Calais/Buick Somerset et Skylark). Vous remarquerez qu’il n’y a pas de Chevrolet parmi ces modèles. C’est parce que la marque travaille de son côté sur la remplaçante de la Citation, qui sera basée sur une plateforme (plus ou moins) spécifique désignée L-Body. Voici un petit tableau récapitulatif pour y comprendre quelque chose :
4 portes (mm) |
Empattement |
Longueur |
Prix de base 1988 |
Chevrolet Cavalier (J-Body) |
2 571 |
4 531 |
9 398 CAD |
Chevrolet Citation (X-Body) |
2 664 |
4 488 |
Arrêtée fin 1985 |
Chevrolet Corsica (L-Body) |
2 627 |
4 659 |
11 239 CAD |
Pontiac Tempest (L-Body) |
2 627 |
4 659 |
11 528 CAD |
Pontiac Grand Am (N-Body) |
2 627 |
4 509 |
13 261 CAD |
Chevrolet Celebrity (A-Body) |
2 664 |
4 783 |
14 298 CAD |
Les L-Body vont être uniquement vendues comme des Chevrolet… sauf au Canada, nous y reviendrons. Ainsi, dans la gamme Chevrolet 1988, nous retrouvons les Corsica/Beretta placées entre les compactes Cavalier et intermédiaires Celebrity. Une sorte de compactermédiaire… Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser Chevrolet à sortir un tel modèle?
Question de style et d’organisation
En 1982-83, GM s’est fait copieusement allumer pour sortir des modèles qui ne se distinguent pas assez les uns des autres. Le magazine Fortune réalise une couverture dévastatrice pour GM le 22 août 1983 en plaçant côte à côte quatre A-Body de couleur bourgogne, un par division. Seul un œil averti peut éventuellement arriver à les distinguer. Quant au client lambda… bonne chance! Et ce genre de problème va se reproduire avec d’autres modèles. On pense notamment aux Oldsmobile 98, Buick Electra et Cadillac DeVille C-Body de 1985 dont Lincoln se moquera allégrement dans un spot télé où des propriétaires ne parviennent pas à reconnaître leurs propres autos en sortant d’un restaurant.
C’est en partie pour cette raison que les Corsica et Beretta ont un style propre par rapport aux Grand Am, Calais et Skylark. Et Chevrolet va pousser sa logique de différenciation en essayant de convaincre les acheteurs que les deux modèles sont deux autos complètement distinctes même s’ils utilisent la même plateforme, les mêmes mécaniques et trains roulants ainsi que les mêmes planches de bord. Le marketing dans tout ce qu’il a de plus stupide…
L’autre raison de cette distinction, c’est que les L-Body sont les premiers modèles issus de l’immense réorganisation démarrée en 1984. Elle a été « pensée » par Roger Smith, nommé PDG de GM en 1981, afin de rendre la société plus réactive aux besoins du marché et d’améliorer la qualité des produits. Il s’agira au final d’un gigantesque foutoir qui va lui coûter une fortune et la fragiliser plus qu’autre chose. Dans ce contexte, les Corsica et Beretta sont un peu le thermomètre de la réorganisation.
Première étape
Chevrolet va réaliser un lancement en deux parties pour les Corsica et Beretta, une première dans l’histoire de la marque. Une première série de voitures millésimées 1987 est envoyée chez les concessionnaires et les loueurs d’autos fin 1986 à des fins d’évaluation. Aucune publicité n’est faite. À cela, il y a deux raisons : garnir les cours des concessionnaires en prévision du lancement officiel et effectuer des tests de qualité grandeur nature. Les modèles 1988 recevront des améliorations suite à ces essais.
Deuxième étape
Le lancement, le vrai, a lieu au milieu du mois de mars 1987 avec des modèles 1988. Et là, Chevrolet fait de la publicité dans les journaux et à la télé. La marque organise aussi une énorme loterie en coopération avec Procter & Gamble où pas moins de 750 véhicules sont à gagner. Les ventes combinées projetées sont alors estimées à 500 000 exemplaires par an.
Le choix des noms peut paraître étrange. Celui de la berline est tout simplement inspiré de la Corse alors que celui du coupé provient de… on ne sait pas trop. Ce qui est certain, c’est que le fabricant italien d’armes à feu éponyme ne sera pas très heureux que sa marque se retrouve sur le coffre d’une auto américaine. Elle enverra une lettre d’huissier à la présentation du modèle. Sans réponse de la part de GM, elle intentera un procès en juillet 1988 et demandera 250 millions de dollars de dommages.
L’affaire se règlera à l’amiable en février 1989 avec un échange de produits (l’armurier recevra une Beretta noire qu’il conserve encore dans sa collection privée et GM un pistolet) et GM donnant 500 000 dollars à la Fondation Beretta de recherche contre le cancer. Le magazine Car and Driver se moquera gentiment de l’histoire en publiant un essai comparatif entre une Beretta V6 GTU et un pistolet Model 92F 9 mm Parabellum, tous deux du millésime 1989 (le 92F réalisera la meilleure accélération de l’histoire de la publication en effectuant le 0 à 60 mph en 0.000044 seconde!).
Bien… mais pas si bien
Au lancement, la gamme Corsica se compose de deux versions : de base et LT. Le moteur de série est le 4 cylindres LL8 2 litres développant 90 chevaux. Le V6 LB6 de 2,8 litres produisant 125 chevaux est offert en option. Dans les deux cas, une boîte manuelle à 5 rapports est installée de série alors qu’une automatique à 3 rapports est proposée contre supplément. C’est plus en regardant la liste des prix que les dimensions de la Corsica que l’on comprend le positionnement du modèle. À 11 239 CAD, elle se situe presque exactement entre les Cavalier et Celebrity.
Mais à ce prix, l’équipement est loin d’être généreux. Il faut recourir aux options (notamment le groupe d’équipement CL disponible en 4 niveaux) pour obtenir climatisation, confort électrique, peinture métallisée, régulateur de vitesse, vitres teintées, ouverture électrique du coffre, roues en aluminium, essuie-glace à balayage intermittent ainsi que, et c’est assez étonnant sur ce genre de véhicule, une suspension renforcée.
Quant à la Beretta, elle vient aussi en deux versions (base et GT), la dernière n’étant disponible qu’avec le V6. Facturée 12 448 CAD de base, elle offre essentiellement les mêmes options que la Corsica à quelques différences près : un tableau de bord à affichage digital ainsi qu’un ensemble sportif GT Z51 (comprenant la suspension renforcée, des pneus Goodyear Eagle GT+ en 205/60R15 et l’échappement double) sont également proposés. Le Canada n’aura pas droit à la version GTU, inspirée des véhicules engagés dans le championnat IMSA dans la catégorie « Grand Touring Under 3 liters » (d’où le nom). Il s’agit principalement de modèles GT dotés de nombreuses options et d’un ensemble esthétique (spoiler avant, aileron arrière, bas de caisse, roues aluminium en 16 pouces). La société Cars and Concepts assurera la conversion de 13 627 exemplaires durant les millésimes 1988 et 1989.
L’accueil de la presse américaine est plutôt tiède, reconnaissant que le style est agréable mais que les autos n’apportent rien de nouveau et se situent simplement dans la moyenne du marché. Le Guide de l’auto, dans son édition 1988, sera plus sympathique en parlant de la Corsica : « En proposant une finition en progrès et vendue à un prix très compétitif face aux voitures japonaises, frappées par la force du yen, la Corsica possède plusieurs atouts pour livrer concurrence aux autres voitures, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs. Mais à la condition de choisir la bonne combinaison d’options. Car en version de base, il est difficile de s’enthousiasmer. » Le style, le V8 de 2,8 litres et la tenue de route sont dans la colonne des plus pour les deux modèles. Mais des reproches sont faits sur la finition, l’ergonomie des commandes et le freinage. Enfin, la Corsica finit neuvième sur douze dans un grand comparatif de modèles compacts, tout juste devant les Plymouth Sundance et Subaru GL et assez loin derrière la grande gagnante, la Mazda 626.
Mais tout va pour l’instant dans le meilleur des mondes avec plus 566 000 exemplaires produits pour 1988. Les objectifs sont dépassés (mais sur un millésime allongé) et les dirigeants de Chevrolet pensent déjà à augmenter les cadences dans les usines de Wilmington, dans le Delaware, et de Linden, dans le New Jersey.
Les occasions ratées
Pour autant, Chevrolet ne se repose pas sur ses lauriers. Pour 1989, le V6 LB6 passe à 130 chevaux. La Beretta évolue peu (la GT reçoit la suspension sport de série ainsi que l’instrumentation électronique, mais pour un an seulement) et c’est la Corsica qui bénéficie des plus grosses nouveautés. Elle reçoit une version hatchback avec une bulle arrière. Le volume de chargement passe de 382 litres avec la 4 portes à 668 litres dans la 5 portes, voire 1 107 litres avec la banquette arrière rabaissée. Malgré un supplément raisonnable de 500 CAD, cette carrosserie ne connaîtra pas le succès. Elle sera retirée du marché après seulement trois millésimes (deux au Canada) et 42 104 exemplaires produits.
Une version plus « sportive » de la Corsica est également ajoutée : la LTZ. Celle-ci vient d’office avec le V6, la suspension renforcée FE3, l’instrumentation complète, des roues de 15 pouces en aluminium et une grille spécifique de couleur carrosserie. Cette variante ne sera commercialisée au Canada que deux ans. La production est en baisse de 25,6%... mais sur un millésime de longueur normale. Il va falloir attendre encore un an pour voir si la sauce a pris.
Le V6 LB6 de 2,8 litres est remplacé par le LH0 de 3,1 litres (140 chevaux) et le 4 cylindres LL8 par le LM3 de 2,2 litres (98 chevaux) pour l'année modèle 1990. Les sièges sont également redessinés et certaines commandes du tableau de bord sont modifiées, répondant ainsi aux critiques sur l’ergonomie. La version de base de la Corsica est retirée du catalogue. Les nouveautés importantes sont pour la Beretta. Elle bénéficie d’une nouvelle version GTZ dotée du 4 cylindres Quad 4 (code LG0, 2,3 litres, 16 soupapes, 180 chevaux, uniquement disponible avec une boîte manuelle 5 rapports). Ce bloc, développé par Oldsmobile, est certes plutôt puissant mais il va se démarquer par un manque flagrant de raffinement et par un niveau élevé de bruit et de vibrations. La GTZ vient également avec une finition monochromatique de l’extérieur, des roues de 16 pouces, la suspension renforcée et des sièges baquets moulants. Elle est proposée à 19 498 CAD (contre 14 099 pour un modèle de base) et fait preuve d’assez bonnes performances.
L’autre nouveauté de poids, c’est la carrosserie cabriolet. Celle-ci sera dévoilée au 500 milles d’Indianapolis 1990 alors qu’elle tiendra le rôle de pace car. L’auto est officiellement annoncée et toutes les caractéristiques techniques figurent dans la brochure de 1990. Seulement voilà, Chevrolet se rend à l’évidence en janvier 1990 que l’auto n’offre pas une rigidité structurelle suffisante et décide tout simplement de ne pas la commercialiser. La traditionnelle édition commémorative des 500 milles sera basée sur le coupé (1500 exemplaires en jaune et 3000 en turquoise). Les chiffres de fin d’année sont attristants : la production baisse de 30,1% et c’est la Beretta qui prend le gros de la chute. Ceci annonce la tendance des années 90 : les coupés ne sont plus dans le coup…
L’année modèle 1991 est marquée par l’arrivée d’une nouvelle planche de bord et d’un coussin gonflable pour le conducteur. La Corsica n’est plus offerte qu’en finition LT et ses feux arrière sont redessinés. Du côté de la Beretta, la GTZ peut recevoir le V6 3,1 litres en option (mais uniquement avec la boîte automatique). Pour 1992, le 4 cylindres LM3 est remplacé par le LN2 de 110 chevaux, la boîte manuelle n’est plus disponible sur le V6 et les freins ABS sont de série. On passe alors sous la barre des 200 000 exemplaires produits.
Pas de changements significatifs pour 1993. Le 4 cylindres gagne 10 chevaux et un nouveau V6 est introduit pour 1994. Le L82 Gen III de 3,1 litres développe 155 chevaux et ne peut être accouplé qu’à une boîte automatique à 4 rapports. La Corsica n’est disponible qu’en version de base et perd sa boîte manuelle sur le 4 cylindres (qui peut cependant bénéficier d’une automatique 4 rapports en option). La Beretta GT disparaît du catalogue tandis que la GTZ est remplacée par la Z26. Elle est toujours équipée du Quad 4 (mais celui-ci perd 10 chevaux) et peut recevoir le V6 en option.
Les évolutions sont limitées pour 1995 : fini extérieur monochrome pour la Corsica, retrait de la boîte auto 4 sur la Corsica 4 cylindres (toujours disponible sur la Beretta) et abandon du Quad 4 (permettant ainsi au V6 de profiter de la boîte manuelle à 5 rapports).
Rien à signaler pour 1996.
Corsica |
Corsica Hatchback |
Beretta |
Total |
|
1987 |
8 973 |
8 072 |
17 045 |
|
1988 |
291 163 |
275 098 |
566 261 |
|
1989 |
204 589 |
26 578 |
190 055 |
421 222 |
1990 |
181 520 |
13 001 |
99 721 |
294 242 |
1991 |
187 981 |
2 525 |
69 868 |
260 374 |
1992 |
144 833 |
52 451 |
197 284 |
|
1993 |
148 232 |
42 263 |
190 495 |
|
1994 |
143 296 |
64 277 |
207 573 |
|
1995 |
142 073 |
71 762 |
213 835 |
|
1996 |
148 652 |
42 476 |
191 128 |
|
Total |
1 601 312 |
42 104 |
916 043 |
2 559 459 |
La Corsica sera remplacée en 1997 par la Malibu et la Beretta… ne sera pas remplacée. La plateforme L-Body s’en ira sur la pointe des pieds du marché… et de nos mémoires. Ce sont des modèles pratiquement impossibles à trouver en collection, même si quelques inconditionnels ne jurent que par leur Beretta (GTZ ou Z26 bien évidemment…).
Tempête localisée
Il reste cependant à parler de la plus canadienne des Corsica : la Pontiac Tempest. Au Canada, la marque Pontiac a toujours été vue comme plus statutaire et a longtemps proposé des véhicules spécifiques au pays, titillant certainement la fibre patriotique. Le nom Tempest a été introduit en 1961 pour un modèle compact. La Tempest a servi de base à la GTO de 1964 et sera commercialisée jusqu’en 1970. Au lancement de la Corsica, Pontiac Canada a souhaité bénéficier d’un modèle au même niveau de prix (voir tableau en début de texte), placé sous la Grand Am. La Tempest ne sera proposée qu’en carrosserie 4 portes et en deux niveaux de finition : base ou LE. Elle ne se distingue de sa cousine Chevrolet que par ses écussons, sa grille de calandre, ses feux arrière (qui seront installés sur la Corsica à partir de 1991), ses bas de caisse foncés et, évidemment, une instrumentation en kilomètres.
Elle offre exactement les mêmes mécaniques que la Corsica et connaîtra les mêmes évolutions avant d’être retirée du marché à la fin du millésime 1991. Si vous avez les chiffres de production exacts, nous sommes preneurs…mais ils ne doivent certainement pas dépasser les quelques milliers d’exemplaires. Une tempête dans un verre d’eau comme qui dirait.